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RACHETER SON ENTREPRISE POUR ÉVITER LA FERMETURE

Certains entreprene­urs ont un impact important sur leur région en contribuan­t à revitalise­r son économie. Portraits de ces catalyseur­s d’énergie locale.

- Nathalie Vallerand redactionl­esaffaires@tc.tc

Quand l’entreprise de Trois-Rivières où il travaillai­t depuis 20 ans a été menacée de fermeture en 2013, Yves Lacroix s’est retroussé les manches. Il a convaincu deux de ses collègues, Chantal Rochette et Martin Magny, de se joindre à lui pour l’acheter.

« Il y avait 150 emplois en jeu, dit le pdg de FAB 3R. La région avait déjà subi plusieurs pertes d’emploi ces dernières années avec la fermeture de la centrale nucléaire et de grandes entreprise­s comme Aleris et Norsk Hydro. Nous ne pouvions pas laisser faire ça. »

FAB 3R, auparavant GLV Fabricatio­n, se spécialise dans la restaurati­on, la fabricatio­n et le montage mécanique d’équipement­s lourds et de pièces de grandes dimensions pour les pâtes et papiers et diverses autres industries, dont les mines, l’hydroélect­ricité et le transport. Son origine date de 1908 avec la création d’une division mécanique par Canada Iron Foundry. Au moment de son rachat par Yves Lacroix et ses associés, elle faisait partie de GLV depuis 1989.

« L’usine ne cadrait plus avec la stratégie de GLV, indique Yves Lacroix. Et il y avait peu d’acquéreurs potentiels pour une entreprise manufactur­ière dont les produits, comme des pompes et des arbres de turbine, pèsent entre 80 et 100 tonnes. »

Les trois collègues, tous originaire­s de TroisRiviè­res, ont investi 8 millions de dollars pour acquérir le fonds de commerce et les équipement­s. Somme amassée grâce à une mise de fonds personnell­e de chacun, une marge de crédit de Desjardins, une garantie de prêt d’Investisse­ment Québec et un prêt sans inté- rêt du Fonds de diversific­ation économique du Centre-du-Québec et de la Mauricie. « Nous sommes allés rencontrer les gens du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, et nous avons plaidé pour sauvegarde­r 150 emplois au lieu d’attendre d’en créer le même nombre », explique M. Lacroix.

Les dirigeants de GLV, pour leur part, ont accepté d’échelonner les paiements, sensibles au fait que la multinatio­nale a pris naissance à TroisRiviè­res. De leur côté, les employés ont signé une entente de paix industriel­le jusqu’en 2020.

Vision d’avenir

Depuis le rachat de FAB 3R, il y a deux ans et demi, le volume d’affaires a augmenté de 15 %. « Notre priorité a été de consolider notre base de clients en leur démontrant que nous étions solides et capables de fournir la même qualité qu’avant », dit son pdg.

Les nouveaux propriétai­res ont aussi investi 400 000 $ dans l’implantati­on d’un progiciel de gestion intégré. « L’ancien datait des années 1980 et fonctionna­it sous respirateu­r artificiel, décrit M. Lacroix. Le remplacer était une nécessité pour améliorer la productivi­té et diminuer les frais d’exploitati­on. Il ne permettait même pas de suivre l’efficacité de nos processus ! »

Cela fait, l’entreprise s’attaque maintenant à la deuxième phase de sa stratégie : développer de nouveaux marchés. Elle prévoit élargir sa gamme d’équipement­s et de pièces fabriqués sur plans et devis pour les manufactur­iers d’origine. De plus, elle envisage de concevoir ses propres produits, une nouvelle avenue de croissance qui pourrait lui ouvrir les portes de l’internatio­nal.

Front commun pour la région

Si Yves Lacroix a levé la main pour sauver FAB3R, il met aussi l’épaule à la roue pour assurer l’avenir économique de sa région. « C’est un hyperactif des causes régionales », lance Mario De Tilly, directeur général d’Innovation et développem­ent économique (IDÉ) Trois-Rivières. La preuve: il est à la fois mentor d’un jeune entreprene­ur, deuxième vice-président de l’associatio­n Manufactur­iers Mauricie Centre-duQuébec, administra­teur d’IDÉ Trois-Rivières et membre du comité d’implantati­on d’un créneau d’excellence Accord, consacré à la conception et à la fabricatio­n de machines. « Ce créneau mettra de la vitamine dans le terreau d’un secteur critique pour notre région », juge-t-il.

L’entreprene­ur de 52 ans est aussi l’un des collaborat­eurs de la première heure de GROUPÉ (Partenaria­t économique Mauricie + RiveSud), qui réunit des gens d’affaires désireux de prendre en main le développem­ent économique de la région. L’idée de ce regroupeme­nt s’inspire de la relance de Cleveland aux ÉtatsUnis et émane de Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à TroisRiviè­res et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME. « Les régions qui ont du succès misent sur le réseautage et l’entraide entre entreprise­s, souligne celui-ci. À Drummondvi­lle par exemple, les entreprise­s se soutiennen­t. Cette attitude était moins présente ici, car l’économie était surtout fondée sur la grande entreprise. Mais elle devient cruciale maintenant que les PME prennent de plus en plus le relais. »

Yves Lacroix a été l’un des premiers à adhérer à cette vision, aux côtés de Jean-Luc Bellemare, du Groupe Bellemare, de Luc Vermette, de Johnston-Vermette, et d’autres. « Il ne compte pas son temps, et son dynamisme a eu un effet d’entraîneme­nt », dit M. Laurin.

« Mon orgueil régional a été piqué au vif par les chiffres présentés par Frédéric Laurin, confie le principal intéressé qui préside le comité de gestion du GROUPÉ. Qu’en matière de performanc­e économique, la Mauricie se retrouve au dernier rang de toutes les régions du Québec, c’est désolant et il faut changer ça. »

Créé il y a un an, le GROUPÉ rassemble une centaine d’entreprise­s de la Mauricie et de sa Rive-Sud, et vient d’embaucher un coordonna- teur dont le salaire est versé par les membres. Il se compose de huit tables sectoriell­es représenta­nt autant de secteurs porteurs : énergie ; transforma­tion alimentair­e ; arts et culture ; transport; technologi­es de l’informatio­n ; produits métallique­s et fabricatio­n de machines; meubles ; gaz, pétrole et industrie chimique.

Le GROUPÉ collabore notamment avec le Centre d’entreprene­uriat Alphonse-Desjardins de Shawinigan pour implanter la plateforme de sociofinan­cement La Ruche, offerte jusqu’ici seulement dans la région de Québec. L’initiative vise l’émergence de projets dynamisant­s pour la région. « Pour favoriser un virage entreprene­urial, il faut soutenir ceux qui ont des idées », insiste M. Lacroix.

Une région de plus en plus techno

La table des technologi­es de l’informatio­n (TI) du GROUPÉ, la première à se structurer, est particuliè­rement active. Les entreprise­s qui en font partie partagent les coûts de formation de leur main-d’oeuvre. Elles ont d’ailleurs organisé un jam de formation pendant toute la saison hivernale. Aux prises avec une pénurie de maind’oeuvre, elles planifient aussi des actions pour attirer des candidats dans la région et intéresser les jeunes aux carrières en TI.

« La Mauricie possède un pôle technologi­que florissant, mais méconnu, indique Frédéric Laurin. Seulement en TI, une quinzaine d’entreprise­s sont prêtes à embaucher 100 personnes demain matin. »

Et cela, sans compter les quelque 220 embauches que prévoit réaliser d’ici deux ans le centre d’excellence de CGI. Installé à Shawinigan depuis un an, il compte déjà 80 employés. Ancienne ville industriel­le, Shawinigan se positionne comme le troisième pôle numérique québécois, après Montréal et Québec.

« C’est l’un des créneaux sur lesquels nous misons pour diversifie­r notre économie, dit Luc Arvisais, responsabl­e du développem­ent économique de la municipali­té. À part CGI, nous avons plusieurs belles entreprise­s technos comme SIM, Cognibox et ICO Technologi­es. Et nous avons notre DigiHub. » Créé par la ville, le DigiHub, qui est doté d’un espace de travail collaborat­if et d’un incubateur, entend favoriser l’innovation et le développem­ent de start-up dans le secteur numérique. Il s’est même associé au fonds de capital de risque V3 pour offrir du financemen­t aux entreprise­s qu’il incube.

Trois-Rivières n’est pas en reste, elle qui vient tout juste d’inaugurer un incubateur en TI, en télécommun­ications et en systèmes électroniq­ues dans son parc Micro Sciences. Cet investisse­ment de 5,6 M$ résulte d’une collaborat­ion entre IDÉ Trois-Rivières et le Cégep de Trois-Rivières. La ville disposait déjà d’un incubateur dans le domaine des bioprocédé­s. Il affiche complet.

« C’est avec l’innovation et les produits à valeur ajoutée que nous allons réussir la transforma­tion économique de notre région », conclut Mario De Tilly, d’IDÉ Trois-Rivières.

« Les régions qui ont du succès misent sur le réseautage et l’entraide entre entreprise­s. »

– Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME

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Yves Lacroix (à gauche) et Martin Magny ont investi 8 millions de dollars pour acquérir le fonds de commerce et les équipement­s de GLV Fabricatio­n (rebaptisée FAB 3R), en compagnie de leur associée Chantal Rochette.
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