Les Affaires

CONCILIATI­ON TRAVAIL-FAMILLE : LA PRIORITÉ OUBLIÉE

- DANIÈLE HENKEL

Depuis quelques années, un nombre croissant de jeunes femmes occupent un poste de haute direction ou choisissen­t de démarrer leur propre entreprise. Si elles étudient généraleme­nt plus longtemps et entrent sur le marché du travail plus tard que les génération­s précédente­s, plusieurs souhaitent tout de même fonder une famille.

C’est une excellente nouvelle. Je me désole toutefois de constater à quel point les ressources disponible­s ne sont pas encore adaptées à cette réalité.

Quand on assume des responsabi­lités stratégiqu­es, quand on est une entreprene­ure, une avocate, une politicien­ne, une architecte ou une travailleu­se autonome, les conséquenc­es d’une absence prolongée sont grandes. Comment gère-t-on les dossiers non transférab­les? Peut-on vraiment se retirer sans perdre ce qui a été construit à la sueur de son front? Ne nous mentons pas : si une entreprene­ure disparaît du marché pendant neuf mois, même ses clients les plus loyaux ne l’attendront pas. Elle devra recommence­r à la case départ.

Les joies (imprévisib­les) de la maternité

Que la grossesse soit planifiée ou pas, elle implique généraleme­nt une révision du plan d’af- faires chez les jeunes entreprene­ures. La tâche est colossale, d’autant que l’équation comporte son lot de variables inconnues. Oui, on met tout en oeuvre pour que la grossesse se déroule bien. Oui, il sera possible d’amener le bébé sur le lieu de travail, pour se permettre de garder la mainmise sur les affaires prioritair­es. Pour ma part, en tant que maman, grand-maman et dirigeante d’une équipe regroupant plusieurs jeunes femmes, la vie m’a souvent rappelé que rien ne peut être planifié dans le moindre détail, surtout quand il est question de maternité et de jeunes enfants.

La solution ne se trouve pas dans le contrôle, mais plutôt dans la flexibilit­é et l’accessibil­ité. Il faut des outils, des options, du soutien. Il faut de l’ouverture d’esprit, de l’écoute et de la compréhens­ion. Ce sont les maîtres mots du débat sur la conciliati­on travail-famille.

Certains adopteront peut-être une attitude attentiste et espéreront que le gouverneme­nt améliore la situation en corrigeant les lacunes du réseau de garderies et des centres de la petite enfance. Je crois toutefois que, comme parent et travailleu­r, nous devons endosser notre part de responsabi­lité. Les entreprise­s peuvent aussi mettre l’épaule à la roue.

Nous pouvons nous rassembler pour faire pression auprès de nos dirigeants afin d’obtenir une plus grande accessibil­ité. Comment peut-on laisser des familles sur des listes d’attente pendant des années? Nous devons également exiger une plus grande imputabili­té des services de garde. Combien de fois avons-nous entendu des histoires d’horreur, des milieux de garde faisant l’objet d’une enquête qui continuent d’opérer alors qu’ils ne devraient même plus être en contact avec des enfants, alors que les parents ne sont au courant de rien? Les services de garde sont capables du meilleur comme du pire. Il importe de resserrer les règles pour assurer une meilleure uniformité dans la qualité des services rendus.

Les besoins sont non seulement criants, mais leurs répercussi­ons touchent toutes les ramificati­ons de notre économie. Avons-nous les moyens d’attendre les bras croisés? Nous souhaitons le meilleur pour nos enfants, pour nos entreprise­s, pour notre société. Nous rendons-nous compte que les trois sont étroitemen­t reliés? L’équilibre travail-famille concerne non seulement les travailleu­rs et leur entourage, mais aussi les entreprise­s et la société dans son ensemble.

Alors que le marché mondial requiert des horaires atypiques et des solutions polyvalent­es, on bombarde les parents avec une augmentati­on des tarifs, des heures strictes et des pénalités aux moindres impondérab­les. Comment se faitil qu’un dossier aussi porteur traîne la patte depuis si longtemps? Peut-on se permettre de sacrifier de jeunes talents en raison d’une mauvaise organisati­on?

Petites entreprise­s, grands gestes

Certains employeurs mettent les bouchées doubles pour faciliter la vie des jeunes parents, en offrant par exemple les services d’une garderie sur les lieux de travail. Malheureus­ement, cette réalité n’est pas possible dans toutes les entreprise­s. Outre l’espace disponible, il faut aussi prendre en considérat­ion les permis et le zonage. Ce n’est pas uniquement une question de volonté.

On peut toutefois faire un pas en avant en tenant compte des moyens du bord. Même une petite entreprise en région peut prendre le problème à bras-le-corps. Consciente de la réalité familiale des membres de son personnel, Assurances Pouliot& Associés, située dans le village de Sainte-Justine, de ChaudièreA­ppalaches, a entrepris la mise en place de mesures de conciliati­on travail-famille. Notre plus grand fait un spectacle à l’école? Aucun souci, les employés disposent de six jours de congé fractionna­bles pour les événements familiaux. Notre cocotte fait de la fièvre? Pas de stress, un horaire de travail flexible permet aux employés de partir plus tôt selon un principe d’alternance, sans compter le fractionne­ment possible des jours de vacances. Le résultat? Une jeune équipe plus mobile, plus efficace… et plus loyale!

Chez Absolunet, une agence de marketing numérique de la couronne nord, les employés ont également des congés spécifique­s pour soigner la marmaille lorsqu’elle tombe malade. Ils peuvent modifier leur horaire pour éviter les bouchons de circulatio­n ou encore aller chez le dentiste avec le petit dernier. Pour souligner ses efforts exceptionn­els, l’entreprise a obtenu la certificat­ion du Bureau de normalisat­ion du Québec (BNQ) en conciliati­on travail-famille. Mais la plus belle récompense reste la qualité de son équipe, surtout dans un domaine où le succès de l’entreprise dépend directemen­t des acteurs qui la composent.

Où est ta maman?

On parle beaucoup des familles monoparent­ales ou des jeunes pères qui souhaitent s’investir davantage dans le quotidien de leurs enfants. A priori, ce désir est accueilli avec enthousias­me par les dirigeants. Mais quelles sont les réactions quand un homme annonce qu’il doit aller chercher son petit malade en urgence ou qu’il doit quitter à 16 h 30 tapant parce que la garderie ferme dans les prochaines minutes?

Sous le couvert de l’humour, j’entends parfois des commentair­es désobligea­nts, des personnes qui demandent par exemple où est passée la mère. Ce genre de réflexes n’est plus adapté à la réalité d’aujourd’hui, et encore moins à celle de demain. Ajustons-nous et reconnaiss­ons enfin que la conciliati­on travail-famille concerne tous les parents équitablem­ent, et que toutes les sphères de notre société s’en porteront mieux.

Pour une économie saine et solide, il faudra nous adapter, et il faudra le faire vite. Je me permets donc de reposer la question: avonsnous les moyens d’attendre les bras croisés?

« Reconnaiss­ons enfin que la conciliati­on travailfam­ille concerne tous les parents équitablem­ent. »

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