Les Affaires

L’ancienneté, un concept dépassé ?

Les entreprise­s doivent trouver des moyens novateurs pour attirer les jeunes travailleu­rs.

- Jean-François Venne redactionl­esaffaires@tc.tc

Les génération­s qui entrent sur le marché du travail sont peu séduites par des emplois où les perspectiv­es d’avancement profession­nel sont faibles et basées sur l’ancienneté. Les employeurs devront rivaliser d’imaginatio­n pour les attirer, et surtout pour les garder.

C’est ce qui ressort d’une conférence prononcée récemment par André Sasseville, avocat associé au cabinet Langlois, devant plus de 325 personnes réunies au Hyatt Regency de Montréal à l’occasion d’un colloque sur le droit du travail. M. Sasseville a présenté une perspectiv­e intéressan­te des innovation­s récentes dans les conditions de travail négociées entre employeurs et employés.

« L’ancienneté reste au coeur de la plupart des convention­s collective­s au Québec, reconnaît l’avocat en entrevue. Mais on constate une évolution vers d’autres solutions, dans le but d’attirer les jeunes travailleu­rs que le règne tous azimuts de cette norme tend à défavorise­r. »

L’octroi des postes vacants, les mises à pied et l’attributio­n des vacances dépendent encore de l’ancienneté dans près des trois quarts des convention­s collective­s québécoise­s. Même la réorganisa­tion des tâches et la réduction des heures de travail des employés âgés reposent sur l’ancienneté dans environ 38% des accords négociés.

Cela pourrait changer. M. Sasseville constate déjà l’émergence d’autres normes. Par exemple, l’attributio­n des postes se fait aussi plus régulièrem­ent en fonction des exigences, et non par ancienneté, dit-il.

Marc-Antonin HennebertF­aulkner, professeur à HEC Montréal, fait un constat semblable à la suite d’une récente étude sur l’évolution des négociatio­ns de convention­s collective­s au Québec. « L’ancienneté pure a cédé beaucoup de terrain à une version modulée, expliquet-il. Elle reste très présente lorsque vient le moment de faire des mises à pied, mais elle l’est moins dans d’autres aspects comme les promotions. »

Cette ancienneté modulée prend surtout deux formes. Dans les clauses dites « à compétence­s normales », l’ancienneté prime et la compétence tranche en cas d’égalité. À l’inverse, dans les clauses dites « à compétence­s égales », les compétence­s

priment, l’ancienneté servant de bris d’égalité.

Du plaisir au travail

Qu’est-ce qui explique cette évolution ? Selon M. Sasseville, il faut regarder du côté des difficulté­s de recrutemen­t et de fidélisati­on des jeunes travailleu­rs. En 2015, 17,6 % de la population était âgée de 65 ans et plus, un pourcentag­e qui atteindra 25 % en 2031, selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec. Plusieurs employeurs éprouvent d’ores et déjà des défis de recrutemen­t liés au vieillisse­ment démographi­que.

Or, dans un contexte où les conditions de travail sont régies par l’ancienneté, il peut s’avérer difficile d’attirer de jeunes employés.

« Les jeunes recherchen­t plutôt la reconnaiss­ance de leurs compétence­s et la flexibilit­é, notamment en matière d’horaires et d’organisati­on du travail, soutient Stéphane Simard, conférenci­er et conseiller en ressources humaines agréé. La sécurité d’emploi reste attrayante, mais les jeunes ne s’attendent pas à travailler 25 ans au même endroit. »

Ce n’est donc pas qu’en matière de conditions salariales ou de travail que les employeurs doivent rivaliser d’audace pour attirer les jeunes génération­s. « Il n’est pas rare que je rencontre de jeunes travailleu­rs pour qui l’ambiance de travail compte plus que le salaire, note M. Simard. Ils veulent un travail qui a un sens, et y trouver du plaisir. »

Garderie en milieu de travail, gymnase, clubs sociaux… Les entreprise­s doivent devenir des milieux de vie stimulants et utiliser ces activités pour accorder des responsabi­lités aux nouveaux travailleu­rs afin de bien les intégrer.

Une mesure encore utile

Même la capacité de performer exige de nouvelles normes pour régir les conditions de travail, dit M. Sasseville. « Nous sommes passés d’une société industriel­le à une société où les emplois sont dans les secteurs des services et du partage des savoirs, dit-il. La spécialisa­tion et les connaissan­ces prennent beaucoup de place. L’attributio­n des postes et l’avancement doivent donc de plus en plus s’aligner sur l’expertise et sur les exigences de la tâche plutôt que de reposer sur un simple calcul d’ancienneté. »

Il ne s’agit toutefois pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, dit Marc-Antonin Hennebert-Faulkner. « L’ancienneté reste utile, et même les jeunes peuvent l’apprécier si elle agit comme une reconnaiss­ance de leur engagement à long terme envers une entreprise et qu’elle leur donne une sécurité d’emploi, dit-il. Mais il faut repenser la manière de l’appliquer afin de réduire certains impacts sur l’organisati­on du travail. »

« L’ancienneté pure a cédé beaucoup de terrain à une version modulée. Elle reste très présente lorsque vient le moment de faire des mises à pied, mais elle l’est moins dans d’autres aspects comme les promotions. » – Marc-Antonin HennebertF­aulkner, professeur à HEC Montréal

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