Qu’attend-on pour venir au chevet des médias écrits ?
Plusieurs demandes d’aide ont été faites ces derniers mois par différentes personnes associées à l’industrie des médias écrits. Ce texte se veut objectif, mais il doit être lu en tenant compte du fait que ce journal fait partie de ce secteur d’activités. Commençons par quelques chiffres. Le plus grand éditeur de quotidiens du Canada, Postmedia, qui possède notamment The Gazette, a affiché une perte nette de 229M$ pour le semestre terminé le 29 février 2016. À cette date, son avoir propre accusait un déficit de 341 M$, ce qui veut dire que ce groupe est en faillite technique. Puisqu’il devra rembourser une dette de 312 M$ en août 2017, il est clair que Postmedia devra se restructurer. Son action s’échangeait récemment à 0,03$ et sa valeur boursière était de 8 M$.
Torstar, qui publie le Toronto Star, le journal ayant le plus important tirage du Canada, trois quotidiens régionaux et plus de 100 médias communautaires, a subi une perte de 54 M$ lors du trimestre terminé le 31 mars 2016. La valeur de son action en Bourse était récemment de 1,80$, par rapport à 20$ il y a 10 ans.
Au Québec, Le Devoir a révélé avoir subi en 2015 une perte de 313 537$ sur ses activités courantes, mais celle-ci a été compensée par une campagne de financement qui a généré des dons de 360 000$ des amis du journal.
La Presse ne publie pas de chiffres, mais il est clair qu’elle fonctionne à perte depuis plusieurs années. Depuis la vente de ses quotidiens régionaux à Groupe Capitales Médias, elle mise sur La Presse+ et sur la vente à l’étranger de cette technologie pour assurer sa survie.
Transcontinental, propriétaire de Les Affaires, ne publie pas les résultats nets de son secteur médias, mais l’entreprise a déjà dit que la situation était difficile pour ses journaux
La survie des médias écrits est un enjeu qui ne peut pas laisser indifférent un gouvernement qui a la démocratie à coeur.
communautaires, dont la moitié ont été repris de Québecor après que cette dernière eût déclenché une guerre de prix meurtrière.
La publicité, qui représente de 80 à 90% des revenus des médias écrits, ne cesse de chuter. Les recettes publicitaires des quotidiens canadiens, qui ont atteint 1,6 milliard de dollars en 2014, étaient en baisse de 61% par rapport à celles de 2005, reflétant un recul de 28 à 14% de leur part de marché de l’ensemble de la publicité au Canada au cours de cette période.
Les journaux communautaires perdent aussi du terrain, leur part du volume publicitaire étant passée de 11% en 2005 à 8% en 2014 (revenus de 968 M$). La part des hebdos du Québec dans les revenus publicitaires canadiens des médias communautaires était de 18% en 2014, et elle a sans doute encore baissé l’an dernier à la suite de la fermeture d’une dizaine de titres.
La tendance est tout autre en ce qui concerne les ventes de publicité des médias numériques, qui sont passées de 562 M$ en 2005 à 3,8G$ en 2014. Ainsi, leur part de marché dans l’ensemble de la publicité est passée de 6% à 31%. Ce sont surtout de grandes multinationales comme Google et Facebook – elles ne paient pour aucun contenu –, qui empochent ces revenus publicitaires.
L’enjeu du recyclage
En plus du marché publicitaire qui glisse vers les médias numériques, les médias écrits du Québec font face à une situation unique au Canada en contribuant financièrement à la collecte et au recyclage du papier journal au bénéfice des municipalités.
Selon RecycleMédias, qui regroupe les médias écrits du Québec, ceux-ci verseront cette année aux municipalités 4,6 M$, somme qui passerait à 5,4 M$ en 2017 et à 6,3 M$ en 2018. Ces sommes s’ajoutent aux dons d’espaces publicitaires de 3,6 M$ prévus pour chacune de ces années. S’additionnent à cela les frais exigés par Recyc-Québec et RecycleMédias, qui totaliseront cette année 633 000$. Par tonne de papier, les compensations exigées de la part des médias écrits s’élèvent cette année à 107$, en hausse de 60% par rapport à 2014 (67$).
RecycleMédias demande au gouvernement du Québec de renoncer aux compensations monétaires versées aux municipalités. Ailleurs au Canada, les municipalités ne sont pas compensées ou le sont en dons d’espaces publicitaires.
Par ailleurs, plusieurs suggestions ont émané d’un récent colloque organisé par la Fédération nationale des communications, qui a réuni des journalistes et des gestionnaires d’entreprises de presse. On a suggéré notamment d’augmenter les budgets publicitaires de l’État, d’octroyer des crédits d’impôt, de diminuer ou abolir les taxes de vente, et même d’imposer des taxes dédiées sur des produits concurrents, par exemple des tablettes électroniques. Le Québec imiterait ainsi de nombreux pays.
Il semble étrange a priori que des entreprises de presse, qui sont très jalouses de leur indépendance, en arrivent à solliciter l’aide de l’État. Si elles en sont là, c’est pour protéger ce qui reste des médias écrits, qui jouent un rôle essentiel dans l’information et l’éducation des citoyens, la dénonciation des abus de toutes sortes et la protection de la démocratie. Voilà un enjeu qui ne doit pas laisser indifférent tout gouvernement qui a la démocratie à coeur.