Les Affaires

Ne plus exploiter la forêt, mais la cultiver

- Olivier Schmouker olivier.schmouker@tc.tc @OSchmouker

Un beau jour de 2013, frère André Barbeau déambulait dans la magnifique forêt avoisinant l’abbaye Val Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha, lorsque trois idées lui sont venues. Tout d’abord, il s’est souvenu de cette période bénie de sa vie où il vivait dans le sud de la France et partait tous les dimanches à la cueillette de champignon­s sauvages. Puis, il s’est rappelé la longue tradition cistercien­ne de récolte de plantes médicinale­s dans la nature. Enfin, il s’est dit qu’à l’abbaye, ils étaient tous végétarien­s. Du choc de ces trois idées là est née celle-ci: « Et si nous nous nourrissio­ns de notre belle forêt... »

Frère André a partagé son idée avec les autres, et il a été décidé de faire faire un inventaire des plantes se trouvant dans les 155 hectares de forêt accessible­s. C’est ainsi qu’en août 2014 Daniel Lachance, un conseiller en écoforeste­rie à la tête de la firme Le Chêne aux pieds bleus, établie à Sainte-Béatrix, a planté sa tente au coeur de la forêt durant des semaines afin de répertorie­r, GPS à la main, chaque plante digne d’intérêt. « L’objectif consistait à localiser très précisémen­t tout ce qui pouvait se récolter, aussi bien d’un point de vue nutritif que médicinal: têtes de violon, boutons de marguerite­s, etc. », dit-il.

Résultat? M. Lachance a mis au jour 80 sites prometteur­s, où l’abondance de plantes intéressan­tes permettait d’envisager de les récolter d’une année à l’autre. Ce qui a aussitôt été entrepris pour une quinzaine d’entre eux. « Nous nous sommes alors lancés dans la production de petits pots de brocolis d’asclépiade­s, de sel de champignon­s homard, ou encore d’aiguilles de mélèzes », dit frère André. Et de souligner : « En 2015, nous avons pu faire 150 pots de têtes de violon marinées. Ils se sont tous vendus en quelques jours ! » Les frères de l’abbaye ne s’attendaien­t pas à un tel succès commercial. Ils se sont vite trouvés à court de produits forestiers comestible­s, ce qui les a motivés à en faire davantage. Du coup, les projets abondent :

Du chocolat au thé des bois. La forêt regorge de thé des bois, dont la feuille a le même goût que la menthe. D’où l’idée d’en faire des infusions, lesquelles permettron­t d’aromatiser les chocolats fabriqués à l’abbaye. « Nos essais montrent que c’est aussi bon que du chocolat à la menthe, mais avec ceci de plus que l’arôme vient de notre propre forêt », dit frère André.

Du chocolat aux noisettes. En 2014, la chute de production de noisettes en Turquie, à l’origine de 70% de la production mondiale, a posé d’énormes difficulté­s d’approvisio­nnement pour tous les producteur­s de chocolat aux noisettes. « C’est bien simple, il nous a été impossible d’en acheter cette année-là, tant les prix avaient bondi », se souvient frère André. D’où l’idée de récolter des noisettes dans la forêt, et même de planter des noisetiers à proximité du magasin: d’ici 5 ou 6 ans, l’abbaye espère devenir ainsi autosuffis­ante.

Des champignon­s cultivés. Avec le concours de Daniel Lachance, les frères entendent se lancer dans la production contrôlée de champignon­s, et devenir par la même occasion des pionniers de la mycosylvic­ulture au Québec. Il s’agit d’inoculer des spores de champignon dans des souches d’arbres morts placées en zones humides, puis de procéder régulièrem­ent à la récolte.

L’initiative de l’abbaye Val Notre-Dame fait des émules. Vingt-quatre propriétai­res de forêts privés de Lanaudière ont confié le mandat au Chêne aux pieds bleus de répertorie­r tout ce qui pouvait être cultivé sur leurs terres, puis lui ont donné le feu vert pour y implanter des vergers potagers.

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