Les Affaires

Les villes veulent en mener plus large

Depuis l’adoption de la Loi 28, les municipali­tés du Québec ont davantage de responsabi­lités en matière de développem­ent économique. Mais ont-elles les moyens des ambitions que le Québec a pour elles ?

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

État de New York – « L’activité économique dans le monde se fait principale­ment dans les villes », affirme la mairesse de Syracuse, Stephanie Miner, pour illustrer le rôle crucial des municipali­tés dans l’économie.

Elle s’adressait alors à des maires, à des entreprene­urs et à des responsabl­es du développem­ent économique du Québec lors d’un souper réseautage dans le cadre d’une mission économique de l’UMQ , du 18 au 20 mai. Cette mission s’est arrêtée dans trois villes du nord-ouest de l’État de New York, soit Syracuse, Rome et Rochester. Cette région essaie de relancer son économie en misant sur de nouveaux secteurs.

Cinq maires québécois – Gatineau, Magog, Shawinigan, Drummondvi­lle et Alma – faisaient partie de la délégation d’une quarantain­e de personnes. Outre les responsabl­es en développem­ent économique, une douzaine de gens d’affaires les accompagna­ient. L’objectif de cette mission de l’UMQ : tisser des liens avec Syracuse, Rome et Rochester, et contribuer à la prospérité du Québec.

« Le gouverneme­nt du Québec nous a donné plus de pouvoirs en matière de développem­ent économique. Cette mission est une première, mais nous voulons en faire plus ! » dit Maxime Pednaud-Jobin, maire de Gatineau et chef de cette mission de l’UMQ , quelques minutes après le discours de son homologue de Syracuse.

En avril 2015, le gouverneme­nt Couillard a adopté sous le bâillon le projet de loi 28, qui comprend 337 articles, dont plusieurs mesures budgétaire­s. Pour rétablir l’équilibre de ses finances en 2015-2016, Québec a notamment fermé les centres locaux de développem­ents (CLD), en plus de réduire les fonds consacrés au développem­ent économique local.

Québec n’a toutefois pas accordé de nouveaux pouvoirs de taxation aux villes. Par conséquent, elles doivent faire plus avec moins.

Une situation qui a forcé les municipali­tés à se prendre en main davantage pour assurer leur développem­ent économique. Les villes doivent prendre le relais du gouverneme­nt pour stimuler la création d’entreprise­s et la création d’emplois. Cela passe notamment par des missions à l’étranger pour ouvrir de nouveaux marchés à leurs entreprise­s locales ou pour attirer des sociétés étrangères sur leur territoire.

Cette première mission de l’UMQ a ciblé l’État de New York, car il s’agit du marché le plus naturel pour le Québec. « Près de 12 % des exportatio­ns du Québec aux États-Unis sont destinées au marché de l’État de New York. Du côté américain, 700 000 emplois de l’État dépendent du commerce avec le Québec. On est donc des partenaire­s naturels », dit M. Pednaud-Jobin.

Sa ville, Gatineau, veut à tout prix diversifie­r son économie, car environ 42 % de ses emplois se trouvent dans la fonction publique fédérale, provincial­e et municipale. La ville mise notamment sur le secteur des technologi­es de l’informatio­n (TI) et des logiciels. Gatineau souhaite aussi que les entreprise­s locales vendent davantage de biens et services à la fonction publique fédérale et aux ambassades étrangères installées à Ottawa.

« Environ 80 % du PIB mondial vient des villes. » – Benjamin R. Barber, politologu­e

Des résultats dans l’État de New York De son côté, le maire d’Alma, Marc Asselin, accompagne cette mission pour accélérer le développem­ent de son Centre d’excellence sur les drones, situé sur le terrain de l’aéroport d’Alma. Les installati­ons permettent aux entreprise­s de former des pilotes et de faire des tests de vols sur un vaste territoire. Elles ont été construite­s au coût de 2,8 millions de dollars : le gouverneme­nt canadien a fourni 2,5 M$, et la ville a versé le reste des fonds nécessaire­s.

Plusieurs entreprise­s sont déjà membres du Centre, dont la québécoise CAE (fabricatio­n de simulateur­s de vols), l’américaine Flyterra (distributi­on de drones) et la française Fly-n-Sense (fabricatio­n de système de drones).

« Ce que nous devons faire, c’est nous vendre, nous faire connaître davantage », dit M. Asselin. La mission de l’UMQ lui a permis d’atteindre cet objectif. Le 19 mai, la mairesse de Rome (État de New York), Jackie Izzo, a signé avec le maire d’Alma une entente pour faciliter les échanges dans cette industrie en pleine croissance.

Aux États-Unis, Rome est l’un des six sites désignés par la Federal Aviation Administra­tion pour réaliser des tests de drones. Marc Asselin espère que des entreprise­s américaine­s s’installero­nt à Alma pour tester les drones.

La mission a aussi donné des résultats concrets pour la Ville de Magog. Durant la mission, des représenta­nts de l’École nationale en sécurité intégrée du Québec de Magog sont allés à Albany (la capitale de l’État) pour finaliser une entente de partenaria­t avec une école de sécurité. Et les retombées sont concrètes pour des entreprise­s locales, souligne la mairesse de Magog, Vicki May Hamm.

« Des outils développés par nos entreprise­s, comme Ixtrom, vont pouvoir servir à la formation aux mesures d’urgence dans cette école d’Albany », dit-elle.

De 2007 à 2010, Magog (27 000 habitants) a perdu 4 000 emplois dans les secteurs de l’automobile, du textile et de l’imprimerie. Pour relancer son économie, elle mise surtout sur les TI et sur le Magog Technopole. Magog est aussi une ville intelligen­te qui, par exemple, incite des entreprise­s comme la française Mobyview à tester des applicatio­ns commercial­es sur son territoire.

Comme plusieurs villes, Drummondvi­lle n’a pas attendu la Loi 28 pour se montrer proactive en matière de développem­ent économique. Et elle aussi a tiré des résultats de la mission de l’UMQ dans l’État de New York.

Le 20 mai, la Société de développem­ent économique de Drummondvi­lle – présidée par le maire Alexandre Cusson – a signé une entente de partenaria­t et de collaborat­ion avec le High Tech Rochester, un incubateur d’entreprise­s.

L’objectif est que des entreprise­s de Rochester qui veulent prendre de l’expansion au Canada s’installent dans l’incubateur de Drummondvi­lle, et que des sociétés de Drummondvi­lle qui souhaitent s’implanter aux États-Unis s’installent dans le High Tech Rochester.

« C’est notre troisième entente de jumelage du genre. Les ententes précédente­s ont généré des retombées, comme l’implantati­on d’entreprise­s et la création d’emplois. J’ai espoir que celle que nous avons prise avec Rochester donne des résultats semblables », dit M. Cusson. Les autres ententes avaient été signées avec les villes de Jiaxing, en Chine, et de La Roche-sur-Yon, en France.

L’incubateur de Drummondvi­lle abrite 15 entreprise­s, tandis que celui de Rochester en compte près de 80. Les villes sont efficaces sur le terrain... Comme toutes les missions économique­s à l’étranger, celle de l’UMQ a été minutieuse­ment préparée pendant des mois. Les ententes signées dans l’État de New York étaient donc planifiées.

Cela dit, au cours de cette mission de trois jours, nous avons constaté tout le potentiel des nombreux contacts établis par les maires, les entreprise­s et les responsabl­es de développem­ent économique du Québec avec leurs homologues de Syracuse, de Rome et de Rochester.

Oubliez le strict protocole observé lors des missions du Québec et du Canada à l’étranger : celui des villes est minimal, mais efficace. Les contacts sont directs, rapides, productifs, surtout lors des visites d’entreprise­s.

Même dans le déroulemen­t de la mission, les maires et leurs responsabl­es de développem­ent économique travaillen­t davantage main dans la main. Par exemple, dans l’autocar, M. Asselin était toujours assis aux côtés de Marc Moffatt, directeur général du Centre d’excellence sur les drones. M. Cusson était quant à lui assis devant Martin Dupont, directeur général de la Société de développem­ent économique de Drummondvi­lle. Et tout au long du voyage, les quatre hommes ont discuté de nombreux enjeux économique­s. Ce qui ne les empêchait pas d’interagir à l’extérieur de l’autocar avec les autres membres de la délégation et les intervenan­ts américains que nous rencontrés. Une synergie redoutable pour faire avancer des dossiers ou résoudre des problèmes.

C’est comme si le premier ministre du Québec était toujours assis avec le pdg d’Investisse­ment Québec, dans l’avion et les transports terrestres, lors d’une mission économique à l’étranger. ... mais elles manquent de moyens Marc-Urbain Proulx, professeur d’économie à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), voit d’un très bon oeil le rôle accru que le gouverneme­nt du Québec a accordé aux municipali­tés dans le développem­ent économique. Il rappelle que Québec s’est appuyé sur les villes dans les années 1950 et 1960 pour achever l’industrial­isation et l’urbanisati­on de la province.

Cependant, cette stratégie s’est essoufflée à partir des années 1980. Le développem­ent économique s’est centralisé à Québec, et des organisati­ons comme le Fonds de solidarité FTQ et la Société générale de financemen­t (fusionnée en 2010 à Investisse­ment Québec) ont commencé à jouer un rôle accru dans l’économie.

La Loi 28 amorce à nouveau un processus de décentrali­sation. Toutefois, M. Proulx affirme que Québec doit donner plus de moyens aux villes afin qu’elles puissent assumer pleinement leurs nouvelles responsabi­lités. « Au 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle, les entreprise­s manufactur­ières s’installaie­nt naturellem­ent dans les villes, car celles-ci avaient un port ou une gare. Aujourd’hui, le secteur des services est le moteur économique des villes. C’est pourquoi les maires

« Lors du dernier pacte fiscal, on nous a enlevé 60 % des nos revenus consacrés au développem­ent économique de nos territoire­s. »

doivent avoir des outils supplément­aires pour renforcer ce secteur et attirer des talents », dit-il. Rendre les villes plus attrayante­s Par exemple, en matière d’emploi, de transport, de santé et d’éducation, les villes et les gouverneme­nts du Québec et du Canada auraient tout avantage à mieux coordonner leurs actions, ce qui stimulerai­t l’économie locale, selon M. Proulx. « Mis à part les conditions variables offertes par leur localisati­on plus ou moins avantageus­e, les facteurs qui font que des villes s’en tirent mieux que leurs d’autres sur le plan économique sont très souvent liés à leur capacité de fournir des services de haute qualité à la population, aux travailleu­rs et aux entreprise­s. »

Or, au Québec, il souligne que ces services sont offerts par les municipali­tés (voirie, hygiène publique, culture, urbanisme, loisirs, environnem­ent, etc.), mais aussi par un ensemble d’agences surtout provincial­es (scolaire, santé, cégeps, services sociaux, université­s, services à l’emploi, environnem­ent, culture, etc.) et fédérales (ressources humaines, douanes, etc.).

Les cinq maires de la mission dénoncent unanimemen­t le fait que le gouverneme­nt québécois leur a réduit massivemen­t les vivres.

« Lors du dernier pacte fiscal, on nous a enlevé 60 % des nos revenus consacrés au développem­ent économique de nos territoire­s. On nous demande d’en faire plus et mieux; qu’on nous en donne les moyens! » laisse tomber le maire de Shawinigan, Michel Angers.

Malgré tout, sa ville est en train de réussir sa diversific­ation économique en misant sur les énergies vertes, l’électroniq­ue de transport, la transforma­tion des métaux, ainsi que le développem­ent de logiciels et le divertisse­ment numérique.

Cela dit, le maire Angers souhaite que Québec s’engage davantage dans le financemen­t des initiative­s locales créatrices d’emplois.

Lors de la visite du High Tech Rochester, il a été stupéfait d’apprendre que le Ville de Rochester (210 000 habitants) n’a rien déboursé pour créer cet incubateur de 13 millions de dollars américains. Le financemen­t provient de l’État de New York, du gouverneme­nt américain et de fonds privés.

« Notre incubateur de Shawinigan a coûté 13,5 M$, et à elle seule, la ville de Shawinigan a injecté 9,5 M$. Le gouverneme­nt du Québec, lui, n’a rien investi », déplore Michel Angers. Le reste du financemen­t du Centre d’entreprene­uriat Alphone-Desjardins Shawinigan provient de Rio Tinto et de fonds privés indépendan­ts du gouverneme­nt.

La mairesse de Magog exprime les mêmes doléances à l’égard de Québec. « On n’a pas les moyens de nos ambitions, admet-elle. On fait des miracles avec peu. » Les villes veulent d’autres sources de revenus Le politologu­e américain Benjamin R. Barber, auteur du best-seller Et si les maires gouvernaie­nt le monde ?, affirme que les municipali­tés ont raison d’exiger une plus grande part de la richesse qu’elles

– Marc Asselin, maire d’Alma – Michel Angers, maire de Shawinigan « Ce que nous devons faire, c’est nous vendre, nous faire connaître davantage. »

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Maxime PedneaudJo­bin, maire de Gatineau
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