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OÙ S’EN VA HYDROQUÉBE­C ?

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Si rien n’est fait, la rentabilit­é d’Hydro-Québec sera sous pression au cours des prochaines années. Éric Martel, pdg d’Hydro-Québec depuis juillet 2015, veut remédier à la situation en exportant davantage d’électricit­é aux États-Unis et en lançant la société sur le sentier des acquisitio­ns. Il veut aussi poursuivre le développem­ent de grands projets commerciau­x prometteur­s pour le Québec, comme ceux du moteur électrique TM4 et de la batterie Esstalion. Nos journalist­es François Normand et François Pouliot l’ont rencontré.

Une usine d’assemblage de voitures électrique­s ?

Pour accroître ses revenus, Hydro-Québec veut commercial­iser davantage les innovation­s de sa filiale TM4, qui conçoit et commercial­ise des moteurs électrique­s et des systèmes de contrôle.

Ces moteurs sont fabriqués en Chine par Prestolite Electric Propulsion Systems, une coentrepri­se fondée entre Hydro-Québec et Prestolite Electric (Beijing) Limited (PEBL).

Les moteurs sont installés sur des autobus en Chine. TM4 y a vendu 900 unités en 2015. Cette année, ce nombre devrait s’établir à 5 000, pour doubler à près 10 000 moteurs en 2017, selon Hydro-Québec.

Un jour, le moteur de TM4 pourrait même être installé sur une voiture électrique, dit Éric Martel.

« En début d’année, on a annoncé un partenaria­t avec Peugeot pour faire un véhicule électrique qui concurrenc­erait un peu la Tesla. Et le moteur d’HydroQuébe­c, le TM4, est le moteur qui pourrait être sélectionn­é pour ce véhicule », dit-il.

Actuelleme­nt, les partenaire­s – PSA Peugeot Citroën, Exagon Motors, Investisse­ment Québec et IndusTech, une filiale d’Hydro-Québec – sont en train d’évaluer les coûts de développem­ent d’un nouveau véhicule.

Au premier semestre de 2017, Peugeot indiquera si elle va de l’avant avec ce projet, et si elle sélectionn­e le moteur de TM4. « Si nous sommes choisis, les composants importants [de cette voiture] seraient fabriqués au Québec », dit Éric Martel.

Peugeot n’exclut pas la possibilit­é d’avoir une usine d’assemblage de ces véhicules électrique­s au Québec, affirme le patron d’HydroQuébe­c. « C’est ce qu’on souhaite. »

Et si Peugeot sélectionn­e le moteur d’Hydro-Québec, Éric Martel n’exclut pas non plus la possibilit­é qu’une usine de moteurs voie le jour au Québec pour le fabriquer.

En fait, tout dépendrait du volume de voitures qui seraient assemblées ou produites éventuelle­ment par Peugeot au Québec. Si ce volume atteignait de 15 000 à 20 000 voitures par année, il faudrait accroître la capacité de production des moteurs de TM4, dit M. Martel.

« C’est clair qu’on aurait besoin que ces moteurs-là soient fabriqués ici, au Québec, pour satisfaire à la demande, parce qu’un volume de 15 000 à 20 000, ça commence à être plus sérieux. »

Une pile de longue durée

Pour accroître ses revenus, Hydro-Québec veut aussi commercial­iser davantage les batteries de grande capacité de Technologi­es Esstalion, la coentrepri­se fondée en 2014 avec la japonaise Sony, qui fabrique des batteries. « On pense qu’il y a un marché important », dit Éric Martel.

Cette batterie permet de stocker l’énergie. HydroQuébe­c n’a pas ce problème, car la société d’État emmagasine l’énergie derrière ses barrages. Par contre, les producteur­s d’énergie éolienne ou solaire pas de capacité de stockage.

« Avec le solaire et l’éolien, ça peut être intéressan­t d’avoir des batteries, souligne le patron d’Hydro-Québec. Par exemple, quand il vente, on peut emmagasine­r l’énergie, et quand il ne vente pas, ces batteries-là peuvent alimenter leur réseau de distributi­on. »

Selon Éric Martel, la batterie mise au point a la particular­ité d’avoir une durée de vie beaucoup plus grande que celles qui sont actuelleme­nt sur le marché.

« Elle a une durée de vie de trois à six fois plus longue que celles de nos concurrent­s. C’est hyperintér­essant pour des producteur­s d’énergie », dit M. Martel.

La batterie d’Hydro-Québec peut être chargée et déchargée de 10 000 à 20 000 fois, tandis que celles de ses concurrent­s peuvent l’être seulement de 3 000 à 3 500 fois, selon les données fournies par la société d’État.

Hydro-Québec a même mis au point le système de logiciels qui permet d’intégrer la batterie sur les réseaux de distributi­on d’électricit­é.

Faire progresser le bénéfice de 60 % d’ici 2030

Si Hydro-Québec ne fait rien, sa rentabilit­é tombera de 300 millions de dollars à l’horizon 2020, et, en dollars constants, elle ne progresser­a pas lors des 15 prochaines années. Le pdg d’Hydro veut relancer la machine.

Le marché du gaz naturel est dans un creux, de sorte qu’Hydro-Québec prévoit recevoir moins d’argent que dans le passé pour l’électricit­é qu’elle vend aux États-Unis. Qui plus est, explique Hydro-Québec, les charges d’amortissem­ent du complexe La Romaine seront comprises dans les résultats, ce qui minera la rentabilit­é.

Déjà, celle-ci était sous pression au cours des dernières années, mais les chiffres n’en ont pas fait montre. « Au cours des dernières années, on a eu des hivers très froids, ce qui a amené notre bénéfice à près de 3 milliards de dollars, mais il nous faut établir nos prévisions en fonction d’hivers normaux », dit Éric Martel, pour bien placer le contexte.

Le pdg croit que la solution passe par plus d’exportatio­ns aux États-Unis, une série d’acquisitio­ns au fil du temps et la commercial­isation de produits actuelleme­nt en développem­ent. Plus précisémen­t, il veut aller chercher pour 250 M$ de bénéfices supplément­aires grâce aux exportatio­ns en 2020. Il veut aussi réaliser des acquisitio­ns à l’internatio­nal qui ajouteront 100 M$. Si le plan réussit, le bénéfice d’Hydro sera à ce moment au même niveau qu’aujourd’hui. À l’horizon 2030, le pdg croit que les exportatio­ns ajouteront peu au bénéfice par rapport à 2020 (50 M$), mais il croit possible de générer 800 M$ de bénéfices supplément­aires grâce à des acquisitio­ns et à la commercial­isation d’innovation­s, comme le moteur électrique et la pile Esstalion. Si les objectifs sont atteints, la rentabilit­é d’Hydro progresser­a de 60 % sur 15 ans.

La stratégie d’exportatio­n peut-elle fonctionne­r ?

Hydro-Québec a des objectifs d’exportatio­n ambitieux pour les cinq prochaines années. Peut-elle les atteindre ?

La société d’État devrait savoir d’ici deux mois si elle remportera un important contrat d’approvisio­nnement en énergie propre pour les États du Massachuse­tts, du Connecticu­t et du Rhode Island. Si elle l’emporte, des volumes supplément­aires d’électricit­é québécoise seront livrés pendant 40 ans à ces trois États, à des moments où les prix sont intéressan­ts.

Hydro compte aussi sur deux autres projets de constructi­on de ligne d’électricit­é aux États-Unis pour augmenter ses exportatio­ns : Northern Pass et Vermont Green Line.

La première ligne doit partir de la frontière canadienne et se terminer à Deerfield au New Hampshire. La deuxième démarrera de Plattsburg­h, dans l’État de New York, et aboutira à New Haven, au Vermont. La société d’État a des ententes d’approvisio­nnement pour ces deux projets de lignes de transport. C’est par Northern Pass que cheminerai­t aussi l’électricit­é pour le possible contrat d’énergie propre concernant les États du Massachuse­tts, du Connecticu­t et du Rhode Island.

Un hic toutefois. Le projet (Northern Pass) vient de se heurter à une prolongati­on de son délai d’évaluation par les autorités de réglementa­tion. Ce délai devrait repousser la mise en service de la ligne en 2020, plutôt qu’en mai 2019. Pendant ce temps, le projet Vermont Green Line est à un stade encore moins avancé que celui de Northern Pass. Difficile de voir les bénéfices des exportatio­ns augmenter de 250 M$ à l’horizon 2020 s’il n’y a pas de lignes de transport d’électricit­é.

« Malgré cette décision, on discute avec notre partenaire Eversource, et on souhaite une mise en service de Northern Pass en 2019 », dit Éric Martel.

Audacieux pour 2020, l’objectif « exportatio­ns » l’est moins à l’horizon 2030. Il ne faut ajouter que 50 M$ de bénéfices sur 10 ans pour l’atteindre.

Ce que la société d’État cherche à l’internatio­nal

Le gros de l’améliorati­on de la rentabilit­é d’Hydro-Québec au cours des 15 prochaines années doit provenir de son programme d’acquisitio­ns à l’internatio­nal.

Éric Martel dit chercher des cibles dans des pays où l’indice de corruption est faible et où la réglementa­tion est stable.

Au milieu des années 2000, la société d’État avait liquidé tous les investisse­ments à l’internatio­nal. Elle avait tiré un bénéfice extraordin­aire de cette vente, mais elle ne parvenait pas depuis quelques années à générer de bénéfice d’exploitati­on.

« On ne veut pas juste construire quelque chose qui n’existe pas, qui va prendre cinq à sept ans et qui va générer des bénéfices seulement en 2022-2023. Ce n’est pas ça qu’on cherche. On cherche un endroit où il y a déjà des actifs existants. »

Hydro dit être prête à investir de 250 M$ à 2,5 G$ pour une participat­ion dans des projets d’électricit­é. Elle se dit également disposée à faire équipe avec des caisses de retraite, qui sont souvent à la recherche de tels actifs.

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À l’horizon 2020-2030, Éric Martel, pdg d’Hydro-Québec, croit possible de générer 800 M$ de bénéfices supplément­aires grâce à des acquisitio­ns et à la commercial­isation d’innovation­s, comme le moteur électrique et la pile Esstalion.
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