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MCINNIS : UN PROJET MAL GÉRÉ ET ENCORE TRÈS RISQUÉ

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omment a-t-on pu en arriver là ? Et on n’est peut-être pas au bout de nos surprises.

Ce constat étonnant, c’est le dépassemen­t de coût de 440 millions de dollars – ou de 40% – pour terminer la constructi­on des installati­ons de la cimenterie McInnis à Port-DanielGasc­ons, en Gaspésie.

Annoncé en grande pompe en janvier 2014 par Laurent Beaudoin, président de Beaudier, société d’investisse­ment des familles Bombardier et Beaudoin, et la première ministre de l’époque, Pauline Marois, qui préparait sa dernière campagne électorale, le projet de Ciment McInnis devait coûter 1,1 milliard de dollars. Il s’élèvera plutôt à environ 1,5 G$ tout en restant « rentable », selon la ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade.

On peut toutefois en douter, car s’il avait été si rentable au départ, ce projet n’aurait probableme­nt pas eu besoin d’un investisse­ment de 100 M$ ni d’une garantie de prêt de 250 M$ d’Investisse­ment Québec (IQ).

Le projet, dont plusieurs gouverneme­nts ont rêvé, mais qu’ils n’avaient jamais osé financer, a toujours été jugé hautement risqué, d’où l’incapacité pour ses promoteurs initiaux de le mener à terme. L’arrivée dans ce projet de Laurent Beaudoin, le grand architecte du développem­ent de Bombardier, a donné de la crédibilit­é à sa concrétisa­tion et à ses chances de réussite. C’est peut-être ce qui a amené la Caisse de dépôt et placement à investir 100 M$ dans le capital de Ciment McInnis. La Caisse avait obtenu du succès en 2003 en investissa­nt, avec Bain Capital ainsi que les familles Bombardier et Beaudoin, dans Produits récréatifs BRP, autrefois une division de Bombardier.

Pour bien des observateu­rs, l’investisse­ment de la Caisse dans le projet de cimenterie avait de quoi rassurer. Le projet bénéficiai­t d’un congé fiscal de 10 ans et des tarifs d’électricit­é des grands consommate­urs industriel­s, mais le gouverneme­nt ne le subvention­nait pas autrement. Le prêt d’IQ n’était pas garanti lors de l’annonce, mais le gouverneme­nt Couillard a pu le subordonne­r à d’autres emprunts et accroître son taux d’intérêt.

Sur le plan environnem­ental, le bilan est désastreux. Ayant échappé à l’examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent – un certificat avait été émis en 1996 –, l’usine sera la première source de gaz à effet de serre du Québec (6% des GES de son secteur industriel).

De toute évidence, ce projet a été annoncé prématurém­ent, avant qu’on n’ait eu le temps d’en optimiser le design, l’échéancier de constructi­on et la planificat­ion des travaux, probableme­nt en raison de l’intérêt du promoteur à profiter de la conjonctur­e électorale pour officialis­er son projet. Il fallait aussi agir rapidement pour faire taire les critiques des opposants politiques et des écologiste­s, ainsi que les objections de l’industrie du ciment qui disait fonctionne­r à 60% de sa capacité, ce qui n’a pas empêché une poursuite de Lafarge.

Ce dépassemen­t de coût oblige Ciment McInnis à trouver du financemen­t supplément­aire. La Caisse investira 40 M$ de plus, mais, d’après la ministre Anglade, le gouverneme­nt n’ajoutera pas à son aide. Dieu merci ! Qui seront les autres bailleurs de fonds ? Beaudier devra aussi réinvestir, mais il en faudra d’autres. C’est à suivre... en espérant que les gouverneme­nts se garderont une petite gêne. Parions que ce dossier restera ouvert.

Un autre projet annoncé en grande pompe par la première ministre Marois a encore plus mal tourné. Lancé en octobre 2013 en pleine période de précampagn­e électorale, le projet d’usine de fabricatio­n d’hydrolienn­es à Bécancour, évalué à 130 M$, n’a jamais vraiment décollé. Son promoteur, RER Hydro, a fait faillite en décembre 2015 alors qu’il devait un total de 49M$ à 170 créanciers, dont 11 M$ à IQ.

L’arnaque des contribuab­les

Il est devenu rare qu’un projet industriel ne reçoive pas d’aide financière de l’État. Il faudrait toutefois être capable de mieux évaluer les projets et d’éviter de jeter l’argent des contribuab­les par les fenêtres. Même des sociétés bien établies et rentables comme Premier Tech, Cascades, Lassonde, etc. obtiennent de l’aide financière pour des projets d’améliorati­on de leurs usines. C’est une règle quasi universell­e. Comment ne pas le faire si les États voisins le font aussi ?

Par respect pour les contribuab­les qui en font les frais et par souci de saine gestion, il importe d’être plus rigoureux dans la sélection des projets subvention­nés. Il faut aussi mieux encadrer, à défaut de l’éliminer, le pouvoir discrétion­naire du gouverneme­nt sur le financemen­t de projets mal ficelés comme celui de McInnis, ou dont la rentabilit­é est très hypothétiq­ue comme celui de RER Hydro. Ce dernier était tellement politisé que les fonctionna­ires du ministère du Développem­ent économique dirigeaien­t les journalist­es au bureau de la première ministre pour obtenir toute informatio­n supplément­aire...

L’aide financière accordée par l’État n’appartient pas aux décideurs gouverneme­ntaux. Ce constat est élémentair­e, mais si facile à oublier par ceux qui gèrent l’argent des autres.

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