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DE COMBIEN QUÉBEC PEUT-IL « TONDRE » JEAN COUTU ?

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- François Pouliot françois.pouliot@tc.tc Chroniqueu­r | P f_pouliot

etite visite à l’assemblée annuelle de Jean Coutu, il y a quelques jours. La question au sortir : de combien le gouverneme­nt du Québec peut-il « tondre » la rentabilit­é de la société ?

Deux menaces importante­s planent sur la rentabilit­é du Groupe. Elles touchent la filiale de médicament­s génériques Pro Doc.

Même s’ils n’y sont pas obligés, les franchisés de Jean Coutu s’approvisio­nnent chez Pro Doc. Pour l’essentiel, la filiale ne produit pas ses médicament­s et les achète plutôt chez des tiers. Jean Coutu se trouve en fait à garantir un volume au fabricant et se prend un bénéfice d’intermédia­ire.

Pour l’exercice 2016 (terminé en février), Pro Doc a généré un bénéfice avant intérêts, impôts et amortissem­ent (BAIIA) de 90,4 millions de dollars, alors que le bénéfice total de Jean Coutu s’est élevé à 331 M$.

Voyons de plus près les menaces et leur ampleur potentiell­e.

Première menace: la hausse des ristournes

Le gouverneme­nt du Québec a décidé de réduire les honoraires profession­nels des pharmacien­s. Pour calmer le tohu-bohu et les compenser, il a choisi de hausser le plafond des ristournes que leur accordent les fabricants de produits génériques. Depuis avril, la commission versée par les fabricants aux pharmacien­s est passée de 15% à 25% du prix. Elle grimpera à 30% à l’automne. Et, au début de 2017, il n’y aura plus de limite.

Pro Doc devra évidemment payer cette ristourne. À combien s’élèvera-t-elle en 2017, année du déplafonne­ment ? Quel sera l’impact sur la rentabilit­é ? Il y a toutes sortes d’hypothèses. Des analystes parlent de ristournes de 35%, d’autres de 45%, et même plus.

Certains croient que la hausse de compensati­on sera assumée à parts égales entre Pro Doc et le manufactur­ier fournisseu­r. D’autres pensent plutôt que l’augmentati­on sera assumée à 50% pour la première hausse du plafond (de 15% à 25%), mais que, après coup, les fabricants ne participer­ont plus parce qu’ils font déjà des marges moindres en vendant à Pro Doc.

BMO Marchés des capitaux est de cette seconde école et estime qu’il est possible que la commission grimpe à 40% (et plus). C’est le scénario que l’on retiendra. Impact sur le bénéfice de Pro Doc : plus de 40 M$.

Ainsi, près de la moitié de son bénéfice de 2016 et environ 12% du bénéfice total de Jean Coutu qui seraient retranchés. Deuxième menace: les appels d’offres pour un approvisio­nnement unique À l’ajournemen­t de la session de l’Assemblée nationale, le gouverneme­nt du Québec a finalement fait adopter son projet de loi autorisant des appels d’offres pour la fourniture exclusive de médicament­s génériques.

Pour Pro Doc, c’est une deuxième menace. Et elle n’est pas négligeabl­e. Parce qu’elle s’approvisio­nne généraleme­nt auprès de tiers, la filiale n’aura pas la possibilit­é de participer aux appels d’offres. Chacun de ceux-ci voudra donc dire une perte assurée de revenus. Le gouverneme­nt risque d’être tenté de cibler les plus importants médicament­s, ce qui veut dire qu’une forte proportion des revenus risque d’être effacée. Faut-il paniquer ? Il n’est pas facile d’évaluer l’impact des mesures.

Un comité de provinces cherche à entreprend­re des négociatio­ns avec les manufactur­iers génériques pour obtenir des baisses de prix. Cette initiative est difficilem­ent conciliabl­e avec les appels d’offres exclusifs que semble projeter Québec. Il est peu probable que les manufactur­iers génériques soient prêts à consentir de fortes réductions aux provinces s’ils se font ensuite appeler à un jeu de mise en concurrenc­e au Québec. Les prix accordés au Québec s’étendraien­t en effet ensuite dans le reste du Canada par le jeu de clauses remorques. Le programme du Québec risque donc de faire avorter l’effort canadien.

L’initiative québécoise soulève néanmoins plusieurs enjeux, dont le risque de rupture de stock si un pépin devait survenir chez le fournisseu­r unique. Cette situation forcera le gouverneme­nt à agir avec prudence et lentement. Ce qui pourrait faire en sorte que, finalement, Québec préfère se joindre à l’initiative des autres provinces, les économies étant plus immédiates. Cette situation pèserait encore sur les résultats de Pro Doc, mais moins que la formule d’appels d’offres.

Selon ce scénario, et ça semble le plus probable, force est de constater que tous les vases en présence sont communican­ts. Si les ristournes versées aux pharmacien­s sont de 40 %, il reste moins de marge de manoeuvre pour consentir des économies aux provinces. Inversemen­t, si les économies accordées sont importante­s, les ristournes devraient être moindres que 40 %.

Constat ? Il ne fait pas de doute que plus de 12% du bénéfice de Jean Coutu est à risque. La mise en place du système d’appels d’offres est cependant incertaine et, au pis aller, prendra du temps. Parler d’un scénario catastroph­ique semble exagéré. Si les ristournes versées aux pharmacien­s sont élevées, Jean Coutu pourra sans doute adapter sa formule de redevances à la hausse avec ses franchisés. Et la croissance de ses activités devrait se poursuivre.

Le moment d’investir dans le titre ?

Beaucoup de maisons ont une prévision de bénéfice par action stable (à 1,15$) pour l’exercice 2018 par rapport à l’exercice 2016 (l’exercice fiscal 2017 étant transitoir­e).

On a personnell­ement de la difficulté à miser sur un scénario où la rentabilit­é ne reculera pas, les coûts liés aux changement­s possibles se faisant sentir plus rapidement que les ajustement­s potentiels.

Il semble préférable de prendre des projection­s moins optimistes. CIBC est par exemple à 1,03$ par action. En appliquant un multiple de marché de 15 à ce bénéfice, on obtient un titre à 15,50$. En ajoutant les liquidités nettes détenues par Jean Coutu, on est à 16,50$, donc sous le cours actuel de 19,05 $ (au 8 juillet).

Conclusion ? Même si l’on misait sur un scénario plus optimiste, le potentiel d’appréciati­on semble faible.

Il ne fait pas de doute que plus de 12% du bénéfice de Jean Coutu est à risque.

Le prix des médicament­s génériques continuera probableme­nt de diminuer en raison des changement­s de réglementa­tion adoptés par le gouverneme­nt du Québec, croit Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC. Dans ce contexte, une croissance des bénéfices significat­ive nécessiter­a une reprise des rachats d’actions, des assoupliss­ements réglementa­ires ou une acquisitio­n assez importante, juge-t-il. M. Petrie renouvelle une recommanda­tion « performanc­e de secteur ». La cible d’un an est à 19 $. Le fait que la U.S. Food and Drug Administra­tion (FDA) a approuvé l’usage élargi du stérilisat­eur d’instrument­s médicaux Stérizone VP4 change la dynamique du marché, indique Neil Maruoka, de Canaccord Genuity. Aucun autre stérilisat­eur sur le marché n’est en mesure d’en faire autant. TSO3 pourrait devenir un acteur dominant, selon M. Maruoka. Les effets de l’annonce ne seront cependant pas immédiats, selon l’analyste. Il réitère sa recommanda­tion d’achat et hausse sa cible de 3,50 $ à 5,25 $. SmartREIT est une belle histoire qui commence à coûter cher, croit Endri Leno, de la Financière Banque Nationale. L’analyste apprécie toujours ce fonds de placement immobilier, qui possède 150 centres commerciau­x au Canada. Ses centres commerciau­x sont populaires auprès des consommate­urs, et l’Alberta ne représente que 4 % de son portefeuil­le. Endri Leno abaisse sa recommanda­tion à « performanc­e de secteur », mais bonifie son cours cible en le faisant passer de 37 $ à 39 $. Michael Van Aelst, de Valeurs mobilières TD, craint qu’Empire ne soit un piège à valeur ( value trap). Même si la société mère de Sobey’s (qui détient notamment les épiceries IGA au Québec) a accru ses activités promotionn­elles, l’effet sur l’achalandag­e reste invisible, juge-t-il. L’épicier est mal outillé dans un marché où les consommate­urs préfèrent les enseignes au rabais, selon lui. L’analyste maintient sa recommanda­tion « conserver ». Il abaisse sa cible de 22 $ à 20 $.

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