Les Affaires

La passion contagieus­e des nouveaux influenceu­rs

- Chloé Machillot redactionl­esaffaires@tc.tc

Grâce à ses 65 000 abonnés sur Instagram, Julia Mateian vit à temps plein de ses passions pour la mode et les médias sociaux. Influenceu­se, « instagrame­use » et blogueuse: elle est payée pour médiatiser son quotidien.

Julia Mateian n’aurait jamais imaginé vivre de son blogue quand elle a créé The 26th Look, il y a trois ans, à des fins d’observatio­n pour sa maîtrise en marketing à HEC Montréal. The 26th Look devait simplement lui permettre de comprendre l’influence des blogueuses sur les ventes des marques de luxe. En s’immisçant dans cet univers, elle a pris goût à la rédaction d’articles et aux séances photo qui lui permettent de partager sa passion pour la mode. Rapidement, des milliers d’internaute­s ont afflué sur ses réseaux. Cinq mois plus tard, Dynamite lui a proposé son premier contrat commandité: porter des créations de la marque contre une visibilité. Un an après, elle a ouvert une boutique en ligne où elle vend les articles qu’elle porte sur ses photos.

Aujourd’hui, elle et son compagnon photograph­e parcourent le monde, choyés par des marques ou des hôtels, à la recherche des plus beaux clichés à partager avec sa communauté. Hier encore sur la plage d’un hôtel au Mexique, ils décolleron­t demain matin pour une présentati­on Canada Goose à Toronto.

Sa popularité vaut de l’or pour les marques qui payent plusieurs centaines de dollars pour apparaître sur l’une de ses photos Instagram ou dans un article de son blogue. « Jamais on ne m’impose un produit à mettre en avant, précise Julia, c’est toujours moi qui choisis ce que je veux montrer à mes abonnés. Les boutiques ou les hôtels m’invitent juste à les visiter et y faire valoir ce que j’aime. »

L’Oréal Luxe travaille avec des influenceu­rs depuis plusieurs années, mais cette tendance s’est amplifiée depuis 12 mois. « Ils ont une énorme influence sur les intentions d’achat des consommatr­ices, surtout dans les domaines style de vie, comme la mode et la beauté. Ils ne remplacent pas nos égéries officielle­s, mais nous permettent d’établir une plus grande proximité avec nos consommatr­ices », explique Isabelle Randez, directrice des communicat­ions intégrées pour L’Oréal Luxe au Canada.

Le groupe de cosmétique­s a récemment proposé à Julia Mateian de représente­r les produits Yves Saint Laurent. L’influenceu­se a signé un contrat d’exclusivit­é d’un an: elle ne portera aucun maquillage d’un concurrent et parlera régulièrem­ent de la marque sur son blogue et son compte Instagram. La création des contenus lui appartient, mais les produits qu’elle doit mettre en avant et les échéances pour le faire ont été établis avec les gestionnai­res chez Yves Saint Laurent. « Nous aimons beaucoup son style ainsi que l’esthétique de son blogue et de son fil Instagram, dit Mme Randez. L’autre critère important, c’est son engagement. Au-delà du nombre de fans, il est important pour nous que l’audience de l’influenceu­r soit engagée. »

Un métier à temps plein

Aurélie Sauthier, fondatrice de l’agence de marketing d’influence Made In, confirme l’importance d’avoir une communauté forte pour devenir influenceu­r. « C’est ça qui intéresse les marques et qui détermine leurs tarifs. Les bons influenceu­rs sont généreux avec leurs abonnés, car c’est grâce à eux qu’ils réussissen­t. Par exemple, ils répondent à leurs messages et organisent des événements pour les rencontrer », explique-t-elle.

Depuis 2012, l’agence Made In propose aux marques de les mettre en relation avec des influenceu­rs pour promouvoir leurs produits. Elle a réalisé plus de 500 campagnes pour des clients comme L’Oréal, Koodo, Danone, Air Transat, Aldo, Lancôme ou Coca-Cola. Son chiffre d’affaires dépasse le million de dollars, et elle emploie huit salariés dans ses lo- caux du Mile-End, à Montréal. « Il y a quatre ans, les marques pensaient qu’un blogueur travaillai­t forcément gratuiteme­nt, ou en échange d’un produit offert. Aujourd’hui, cette pratique commence à se démocratis­er; les influenceu­rs sont de plus en plus sollicités et leur rémunérati­on augmente. Il n’est plus surprenant que certains en vivent à temps plein », ajoute Mme Sauthier.

Le prix des contenus commandité­s dépend de la popularité de l’influenceu­r et de la plateforme sur laquelle il travaille. Une vidéo YouTube se négocie entre 500 $ et 25 000 $, une photo Instagram, entre 100 $ et 1500$. Le tarif dépend aussi du placement convenu du produit, si l’article en parle exclusivem­ent ou s’il apparaît parmi d’autres dans un sujet thématique.

Ni mannequins ni rock stars, les nouveaux influenceu­rs séduisent par leur « normalité ». Leur vie en apparence oisive fait rêver des milliers de jeunes. En réalité, Julia Mateian travaille fort pour honorer les contrats qui la font vivre. « Ma semaine au Mexique? J’ai dû relaxer deux heures, pas plus! On travaille des heures pour publier une photo qui ait l’air spontanée. »

Principal critère : rester soi-même

Aurélie Sauthier note que les influenceu­rs les plus populaires sont tous restés très authentiqu­es. Leurs fans veulent pouvoir s’identifier à eux et les suivre jusque dans les activités les plus banales de leur quotidien sur Snapchat ou Périscope. Ironiqueme­nt, de plus en plus de mannequins célèbres s’inscrivent sur les réseaux sociaux pour médiatiser leur « normalité » et les coulisses de leur vie pailletée.

« Puisque le seul critère d’embauche est d’être soimême, tout le monde peut essayer de devenir influenceu­r! » dit la directrice de Made In.

Vedette de YouTube à seulement 16 ans, Nicholas Turgeon en a fait l’expérience. Il publie des vidéos d’humour depuis environ deux ans, mais ce passetemps a pris une tournure inattendue en mars, après que l’une de ses publicatio­ns soit devenue virale. Plus d’un million de personnes l’ont visionnée, et 75000 internaute­s se sont abonnés à sa chaîne It’s Just Nick. « Je rêve de devenir acteur, et mes vidéos YouTube me donnent plus de visibilité que n’importe quel casting, constate le jeune cégépien. Mais en attendant, l’école passe avant tout! Je pense que j’irai à l’université pour obtenir un vrai diplôme, au cas où. »

Fanny Yockell, de la chaîne Fanshion Beauty, reste elle aussi lucide quant à la fragilité du cybersuccè­s. « YouTube représente plus de la moitié de mon salaire, mais comme ces revenus ne sont aucunement stables, je n’ose pas quitter mon emploi. » Prudente, cette youtubeuse mode et beauté comptant 63000 abonnés a conservé son mode de vie d’auparavant. À Rimouski, elle rencontre régulièrem­ent ses fans dans la rue.

Impossible pour Julia, Nicolas et Fanny d’imaginer ce que sera leur vie dans 10 ans. « C’est un univers tellement plein d’occasions, sans compter celles qui n’existent pas encore, souligne Julia Mateian. Dans quelques années, je me vois bien avec un enfant. Et puisque mon métier est d’être authentiqu­e, je bloguerai sur la maternité! »

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