Les Affaires

Le partage du territoire

La vigueur du créneau du sport, du plein air et des loisirs attise la concurrenc­e. La bataille pour s’emparer des parts de marché s’annonce musclée.

- Martine Roux redactionl­esaffaires@tc.tc

L’engouement pour le sport et les activités de plein air propulse la venete d'articles liés à leur pratique vers des sommets inégales. Mais la concurrenc­e féroce dans ce secteur du commerce de détail force les enseignes à innover.

Acheter une glacière chez Mountain Equipment Co-op (MEC) était impensable il y a cinq ans. À l’époque, la chaîne originaire de Colombie-Britanniqu­e attirait principale­ment les « vrais » mordus de grands espaces: le genre à parcourir les contrées sauvages, tente sur le dos, davantage que le spécimen urbain en balade à Tremblant.

En 2012, le vent tourne: pour diversifie­r sa clientèle, MEC vend en magasin des articles qu’elle n’avait jamais tenus auparavant, dont des vélos, des vêtements et accessoire­s de yoga, et même de course à pied. Elle propose aussi les glacières, entre autres bricoles destinées aux sportifs du dimanche. Un an plus tard, la coopérativ­e complète sa mutation en chassant les montagnes de son logo, histoire de montrer qu’elle ne cible pas que les alpinistes de ce monde.

« Il fallait qu’on se réajuste: c’était une question de survie, explique Emmanuelle Speer, directrice du magasin de Longueuil. Le secteur du plein air se démocratis­e et n’est plus réservé à une élite. L’important pour MEC, c’est d’amener les gens à jouer dehors, peu importe la façon. »

La transforma­tion a porté ses fruits: le chiffre d’affaires a bondi de 21% de 2012 à 2015, pour atteindre 366 millions de dollars. La coopérativ­e inaugurera d’ailleurs cinq nouveaux magasins au pays en 2016, dont un au Québec en septembre prochain. Il sera situé à Laval, à l’angle de l’autoroute 440 et du boulevard Daniel-Johnson… à moins de 2 km de ses concurrent­s Sports Experts/Atmosphère et La Cordée.

Le succès de MEC caractéris­e-t-il l’ensemble du secteur de la vente de produits de sport et de plein air ? Difficile de le mesurer avec certitude, puisque Statistiqu­e Canada comptabili­se les données relatives aux ventes de ces détaillant­s dans une catégorie fourre-tout qui comprend notamment des librairies et des magasins de musique. Aux États-Unis, ce type de produits – y compris les chaussures et lunettes de sport, mais pas les vêtements de prêt-àporter – a généré des ventes de 63,7 milliards de dollars américains en 2014, en hausse de 18% par rapport à 2010, selon les plus récentes données de National Sporting Goods Associatio­n.

Sport, plein air et loisir, même combat

Chose certaine, le créneau est en pleine croissance, selon Frank Pons, professeur au Départemen­t de marketing de l’Université Laval. L’adoption de saines habitudes de vie par un nombre croissant de personnes explique cette vigueur, dit-il. D’ailleurs, selon Statistiqu­e Canada, 54% des Canadiens de plus de 12 ans pratiquaie­nt une activité physique durant leurs loisirs en 2014, une tendance à la hausse.

Conséquemm­ent, les frontières entre sport, plein air et loisir s’estompent: en même temps que l’offre des commerçant­s se diversifie pour suivre la vague, la concurrenc­e s’accroît, selon M. Pons. « On avait, il y a quelques années à peine, des détaillant­s spécialisé­s dans des créneaux bien spécifique­s, comme l’alpinisme. Aujourd’hui, les détaillant­s de “pur” plein air offrent des pantalons de yoga, et ceux jadis spécialisé­s dans le sport intègrent le plein air. Tout le monde se rend compte qu’il est important d’aller chercher d’autres marchés. Ça devient hypercompé­titif, et cette concurrenc­e met beaucoup de pression sur de plus petits acteurs ou sur les indépendan­ts. »

Alors qu’il avait peu de concurrent­s de taille au tournant des années 2000, le pionnier La Cordée fait maintenant partie des plus petits joueurs du marché du plein air, constate son directeur du marketing, Yves Robert. « Le marché a totalement changé. On s’est ajusté en nous recentrant sur des discipline­s de niche, comme le ski de fond et la randonnée pédestre. On a peut-être un plus petit chiffre d’affaires, mais la croissance s’est poursuivie. » La Cordée a aussi élargi son offre de produits complément­aires, dont les articles de voyage.

Même portrait du côté des détaillant­s indépendan­ts. Le fait que MEC vende des vélos depuis quatre ans – un segment qui représente environ 20% de son chiffre d’affaires, selon Emmanuelle Speer – n’effraie pas outre mesure Marc-André Lebeau, propriétai­re

de Bicycles Quilicot, un commerce centenaire présent à Montréal, Laval et Sainte-Thérèse. « On ne ressent pas encore trop les effets de la concurrenc­e, car le marché du vélo spécialisé appartient encore aux indépendan­ts. Par contre, il ne faut pas prendre les gros acteurs comme MEC de haut, car ils ont compris un principe que certains indépendan­ts négligent: bien servir le client. Et ils soignent particuliè­rement bien la clientèle des purs cyclistes. »

Redécoupag­e territoria­l

Acquise par Canadian Tire en 2011, FGL Sports exploite notamment 63 magasins franchisés Sports Experts au Québec, dont les deux tiers partagent l’enseigne avec Atmosphère, spécialisé­e en articles de plein air. Après avoir longtemps dominé le marché, ce détaillant a récemment vu arriver un concurrent imposant sur son terrain: l’enseigne Sportium, créée par les actionnair­es de SAIL Plein Air (dont le Fonds de solidarité FTQ).

Installés depuis novembre à Québec et à Saint-Hubert, ces magasins géants – chacun est plus grand qu’un supermarch­é – proposent tout l’équipement lié aux sports d’entraîneme­nt et aux sports collectifs, comme la boxe, le hockey et le baseball, de même que les chaussures, les vêtements et les accessoire­s de prêt-à-porter. SAIL Plein Air, qui vient d’annoncer l’ouverture d’un troisième magasin à Laval en 2017, a toutefois décliné nos demandes d’entrevue, alléguant que le moment n’était « pas propice » pour divulguer ses plans de développem­ent.

Selon Frank Pons, l’arrivée de Sportium vient bousculer « un ordre relativeme­nt bien établi depuis quelques décennies, note Frank Pons. On avait auparavant un quasi-monopole de Sports Experts à l’échelle du Québec. Maintenant, l’arrivée d’un nouvel acteur change les règles du jeu: on se partage à la fois le même territoire et les mêmes catégories de produits. Et ce, tant en magasin que sur le Web. »

En fait, la plupart des enseignes « sont sorties de leur zone de confort » pour ratisser plus large, poursuit-il. « En même temps, elles se sont rapprochée­s de leur clientèle en offrant différents concepts selon l’emplacemen­t du magasin. » Par exemple, il y a près d’un an, la chaîne La Cordée avalait Le Yéti, un petit commerce du Plateau-Mont-Royal, qui complète l’offre de ses grandes surfaces de Montréal, Laval et Saint-Hubert. Privilégie­ra-t-elle désormais les petites surfaces spécialisé­es du genre? « On n’est pas dans un mode de développem­ent à tout prix, dit Yves Robert. On est attentif au marché québécois et ouvert aux occasions d’affaires comme celle que représenta­it Le Yéti [devenu La Cordée Boutique], mais on est encore au stade des idées. »

Sainte expérience client

Pour attirer et fidéliser une clientèle à la fois active et branchée, autant en magasin qu’en ligne, un concept est roi : l’expérience client omnicanal. Ainsi, en novembre, alors que Sportium commençait à piétiner ses platebande­s, FGL Sports lançait un nouveau concept de magasin combo Sports Experts/Atmosphère, axé sur la technologi­e. Par exemple, la succursale du Carrefour Laval compte près de 75 écrans tactiles fournissan­t de l’informatio­n sur les produits. Le mur de chaussures est quant à lui doté d’une technologi­e de radiofréqu­ence permettant au client de savoir si sa pointure est en stock.

Le site Web d’Altitude Sports propose près de 300 marques de vêtement et d’accessoire­s de plein air.

« Au lieu de disparaîtr­e dans l’arrière-boutique pour vérifier la disponibil­ité du produit, le commisvend­eur peut se consacrer à l’expérience client, explique Jean-Stéphane Tremblay, viceprésid­ent exécutif de FGL Sports. On veut se rapprocher davantage de la clientèle et créer une véritable relation avec elle. »

Le site transactio­nnel de Sports Experts a lui aussi été lancé en novembre, comblant dans la foulée le retard que l’enseigne accusait sur la plupart de ses concurrent­s. Sa petite soeur Atmosphère, par contre, ne permet pas encore aux clients d’acheter par Internet, mais cela viendra, assure Jean-Stéphane Tremblay. « Compte tenu des investisse­ments requis en temps et en argent, on développe les sites transactio­nnels une enseigne à la fois. »

Le facteur humain

Pilier de l’expérience client, l’employé est plus que jamais au coeur de la stratégie des commerces du secteur. Au-delà du vendeur, les commerçant­s recherchen­t des passionnés en mesure de conseiller judicieuse­ment des clients qui en connaissen­t déjà un rayon sur les produits et les manufactur­iers avant même d’avoir mis les pieds dans un magasin, affirme Jean-Stéphane Tremblay.

« On a revu le programme de formation afin d’insister sur l’expérience client. Le commerce change, il faut s’adapter. » Dans les nouveaux magasins Sports Experts/ Atmosphère, le visage et la spécialité des vendeurs défilent sur un écran afin d’aider les clients à repérer le bon conseiller. En outre, le client peut aussi s’exprimer sur le service reçu grâce à des bornes interactiv­es que les employés consultent régulièrem­ent.

Chez MEC, quelques purs et durs ont grincé des dents lors du virage grand public de la coopérativ­e, en 2012. Mais la grande majorité d’entre eux se sont vite ralliés avec enthousias­me, soutient Emmanuelle Speer. « Depuis le changement de logo, on attend davantage du service aux membres et on investit beaucoup dans la formation. On a aussi un budget afin que les employés puissent tester euxmêmes l’équipement à l’extérieur. Bien sûr, MEC cherche idéalement des passionnés qui connaissen­t le plein air, mais l’important chez un candidat, c’est le sourire et le désir de servir la clientèle. »

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En novembre 2015, FGL Sports lançait un nouveau concept de magasin combo Sports Experts/Atmosphère, axé sur la technologi­e. Par exemple, la succursale du Carrefour Laval compte près de 75 écrans tactiles fournissan­t de l’informatio­n sur les produits.
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Alexandre Guimond (haut) et Maxime-Dubois(bas) ont acheté Altitude Sports en 2011.

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