Les Affaires

COMMERCE DE DÉTAIL : NI LA BRIQUE NI LE CLIC, SEULEMENT LE PUBLIC !

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r invité

Wal-Mart paie 3,3 milliards de dollars américains (4,3 G$ CA) pour acquérir Jet.com, une entreprise déficitair­e. Elle se procure essentiell­ement une plateforme et un savoir-faire en matière de commerce en ligne.

Malgré une performanc­e financière et boursière honorable, Canadian Tire remplace brutalemen­t son chef de la direction pour, lit-on dans son communiqué, « bien s’adapter à la complexité croissante du nouveau monde du commerce de détail » – c’est-à-dire le recours au commerce en ligne.

Des pontifes concluent – encore une fois – que le magasin brique et mortier est voué à sa perte. Et pourtant. Apple, qui vend certes beaucoup en ligne, investit des fortunes dans l’ouverture et le fonctionne­ment de boutiques haut de gamme partout dans le monde, avec le succès que l’on sait. De son côté, Dell, qui a à toutes fins utiles inventé il y a 30 ans le modèle d’entreprise de l’ordinateur offert exclusivem­ent en ligne, a commencé il y a moins de 10 ans à distribuer ses ordinateur­s dans des réseaux convention­nels, notamment chez Walmart, mais aussi chez Best Buy et chez Bureau en Gros.

Plus significat­if encore: après 20 ans consacrés à effrayer tous les détaillant­s du monde en multiplian­t ses lignes de produits vendus en ligne et en ne jurant que par sa formule, à la fin de 2015, Amazon a ouvert à Seattle sa première librairie brique et mortier. Celle-ci a été suivie d’une deuxième à San Diego. Le 17 mai, le pdg d’Amazon, Jeff Bezos, a confirmé à l’assemblée des actionnair­es qu’il avait l’intention de poursuivre l’expérience. De fait, l’entreprise de Seattle se prépare à ouvrir un magasin à Manhattan. Amazon ne nous a pourtant pas habitués à ce rythme de tortue. Peut-on s’attendre à ce qu’elle fasse l’acquisitio­n d’une chaîne de librairies lorsque son format de magasin sera rodé?

Alibaba, l’Amazon chinois, a ouvert en janvier un premier magasin physique dans la ville portuaire de Tianjin, au nord de Beijing.

Les grands détaillant­s du monde, à commencer par les leaders du commerce électroniq­ue, savent ce que certains grands manitous semblent ignorer: le magasin brique et mortier a encore de belles années devant lui.

Le consommate­ur est pluriel

Quand j’étais président de Rona, j’ai dû maintes fois expliquer pourquoi notre réseau comportait des magasins de plusieurs formats, parfois exploités sous des enseignes différente­s. « Rona, ai-je répété pendant des années, n’est pas la spécialist­e d’un format de magasins. Elle est la spécialist­e du consommate­ur. »

Or, ce consommate­ur est pluriel. Ce consommate­ur nous disait non seulement qu’il voulait un choix de produits, mais aussi un choix de canaux pour y avoir accès. Aucun format de magasin, aucune formule de vente au détail, aucun canal de distributi­on ne permet de satisfaire tout le monde, tout le temps. Aucune de ces formules ne prendra toute la place.

Souvenez-vous: dans les années 1990, on a prédit que l’avènement des grandes surfaces (les Home Depot, Lowe’s et Réno-Dépôt de ce monde) entraînera­it rapidement la mort de Rona: la formule, disait-on, raccourcis­sait la chaîne d’approvisio­nnement et permettait des économies inaccessib­les aux circuits de distributi­on convention­nels. Vingt-cinq ans plus tard, Rona a certes développé un réseau de grandes surfaces, mais ses formats multiples sont toujours sur le marché, comme sont sur le marché, partout en Amérique du Nord, des milliers de quincaille­ries et de centres de rénovation de tous les formats. Emboîtant le pas à Rona, les Home Depot et Lowe’s ont à leur tour développé des magasins de plus petite surface, pour desservir des marchés urbains ou de plus petite taille.

La vente au détail est un produit

Les gens comprennen­t assez facilement qu’un fabricant décline toute une gamme de produits pour satisfaire toutes sortes de besoins.

Ce dont il faut se rendre compte, c’est qu’un magasin ou une formule de vente au détail, c’est bien plus qu’une façon de stocker et de distribuer des produits. Une formule de vente au détail, physique ou électroniq­ue, est un produit qui procure une expérience spécifique.

Comme n’importe quel produit, la formule de vente au détail se définit par une série d’attributs qui comprennen­t la facilité d’accès, le choix des articles qu’on y trouve, l’accès à l’informatio­n et aux conseils entourant les produits offerts, la courtoisie du personnel (réel ou virtuel), etc.

Comme c’est le cas pour n’importe quel produit, il y a de la place sur le marché pour une gamme complète de formats de magasins et de formules de vente au détail. C’est pourquoi, demain comme aujourd’hui, on continuera de trouver sur le marché de détail une variété toujours plus riche de formats de magasins et de formules de vente au détail. Le secret n’est ni dans la brique ni dans le clic, mais dans l’expérience que recherche une multitude de publics.

Il n’y a pas de bon ni de mauvais formats de vente au détail. Il n’y a que de bons et de mauvais détaillant­s.

Il n’y a pas de bon ni de mauvais formats de vente au détail. Il n’y a que de bons et de mauvais détaillant­s.

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