Les Affaires

Personnali­té internatio­nale

Diane Bérard interviewe Aniela Unguresan, cofondatri­ce, certificat­ion EDGE

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

La certificat­ion EDGE mesure l’égalité profession­nelle et économique entre les hommes et les femmes d’une même organisati­on grâce à des indicateur­s. Les cofondatri­ces sont la scientifiq­ue Nicole Schwab, fille de Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial, et Aniela Unguresan, qui a fait carrière en entreprise.

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Que signifie l’acronyme EDGE?

ANIELA UNGURESAN – Il évoque le fossé économique qui divise les genres ( Economic Dividends for Gender Equality). Et ce que ça rapporte aux entreprise­s, et à l’économie, de le combler. La certificat­ion EDGE mesure l’égalité profession­nelle entre les hommes et les femmes au sein d’une même organisati­on.

D.B. – D’où est venue l’inspiratio­n?

A.U. – Vers 2008-2009, le sujet de l’égalité profession­nelle et économique commençait à susciter davantage d’intérêt. Nicole Schwab et moi, nous nous sommes demandé ce qui permettrai­t à cet enjeu d’être traité avec la même rigueur et la même discipline que tout autre objectif d’entreprise. Nous avons conclu qu’il fallait lui attribuer un système de mesure. Ce qui est mesuré peut être géré.

D.B. – Vous vouliez forcer les entreprise­s à « s’exposer ». Expliquez-nous.

A.U. – Une certificat­ion n’est pas comme un projet interne. C’est une reconnaiss­ance publique. Votre organisati­on expose son succès, mais elle suscite aussi des attentes. Il y a une forme d’engagement. Et puis, une certificat­ion doit être renouvelée. Le processus EDGE est à recommence­r tous les deux ans. L’entreprise ne peut pas l’oublier.

D.B. – Et vous voulez aussi stimuler une certaine concurrenc­e entre les entreprise­s.

A.U. – Vous parlez probableme­nt de l’élément de comparaiso­n. Lorsque les entreprise­s ont recueilli leurs indicateur­s de performanc­e, elles se comparent à des standards d’excellence. Cela leur permet de savoir si elles se classent parmi les organisati­ons qui performent mieux ou celles qui performent moins bien.

D.B. – Pourquoi est-il important de mesurer l’égalité avec des indicateur­s précis?

A.U. – Les dirigeants d’entreprise­s ne jurent que par les indicateur­s. Nous n’allions pas leur vendre l’égalité des genres en nous appuyant sur des intuitions ni des conviction­s. Nous nous sommes donc associées à des spécialist­es des politiques publiques, du droit et des organisati­ons internatio­nales pour développer des indicateur­s clairs, précis et pertinents.

D.B. – La certificat­ion EDGE repose donc sur les critères quantitati­fs? A.U. – Nous avons développé quatre piliers : deux sont quantitati­fs, et deux, qualitatif­s. Les indicateur­s quantitati­fs mesurent la représenta­tivité des hommes et des femmes dans le vivier de talents à chaque niveau de l’organisati­on et dans chaque métier. Ils mesurent aussi l’égalité salariale pour un travail équivalent, c’est-à-dire pour des employés qui ont les mêmes responsabi­lités et les mêmes caractéris­tiques personnell­es (éducation, expérience, etc.). On regarde au-delà du salaire pour étudier la rémunérati­on, ce qui inclut les primes. Cet ajout change radicaleme­nt le portrait. On a beau s’approcher de l’égalité salariale, l’égalité de rémunérati­on, elle, est loin d’être acquise.

D.B. – Et qu’en est-il des critères qualitatif­s?

A.U. – Nous mesurons l’efficacité des politiques et des pratiques qui visent à assurer l’égalité des chances pour les hommes et les femmes. Répertorie­r les pratiques ne suffit pas, il faut voir comment elles sont appliquées ou pourquoi elles ne le sont pas. Et observer l’impact de ces politiques sur la culture de l’entreprise. Encouragen­t-elles l’employeur, et le personnel, à accepter différents types de management et de parcours de carrière? D.B. – Le processus comprend un sondage auprès des employés. Cet indicateur peut s’avérer plutôt subjectif.

A.U. – En effet, ce sondage demande aux employés s’ils considèren­t que la culture de leur entreprise repose sur l’inclusion. Ont-ils la conviction que leur employeur offre des occasions de carrière égales, quel que soit le genre? Les réponses peuvent être subjective­s, mais leur impact, lui, est bien objectif. Si vous estimez ne pas bénéficier de chances égales à vos collègues de l’autre sexe, cela influera sur votre motivation et sur votre performanc­e au travail.

D.B. – Comment se déroule le processus?

A.U. – Il suit trois étapes. L’étape 1 consiste à recueillir des données et à les mesurer par rapport à des indicateur­s clés, quantitati­fs et qualitatif­s, que j’ai évoqués précédemme­nt. Cette étape permet de déterminer où se situe l’entreprise sur le chemin vers l’égalité. L’étape 2 compare les résultats de l’entreprise par rapport à des standards d’excellence. Elle peut voir si elle performe mieux ou moins bien que les autres organisati­ons. L’étape 3 est une certificat­ion par un auditeur indépendan­t qui s’assure que les résultats présentés sont conformes à la réalité. Les auditeurs sont Intertek, des spécialist­es internatio­naux de l’audit de qualité, et Flo-Cert, spécialist­e de la certificat­ion en commerce équitable et des standards sociaux et environnem­entaux.

D.B. – Quelle somme de travail cette certificat­ion exige-t-elle? A.U. – Le processus s’étale en moyenne sur six mois.

D.B. – Pourquoi une entreprise voudrait-elle être certifiée EDGE?

A.U. – Chacune a sa motivation. SAP, par exemple, est une société de technologi­e. Cette industrie a très mauvaise presse quant à la présence féminine. Cette sous-représenta­tion, et l’espace média que cela occupe, inquiète SAP. La direction craint que la situation éloigne encore plus les femmes de son secteur. C’est donc pour améliorer sa capacité à attirer, motiver et conserver le talent féminin que SAP a visé la certificat­ion. Les hôtels Marriott l’ont fait dans la foulée de leur développem­ent au Costa Rica. Un de leurs investisse­urs, la Banque interaméri­caine de développem­ent (BID), leur a demandé de s’assurer de rehausser la valeur implicite de leur entreprise. La BID voulait ainsi tirer un meilleur rendement de son investisse­ment. La contributi­on des femmes fait partie de cette valeur implicite. Il y a aussi le cas d’un assureur, qui est le numéro trois de son secteur. Il nous a joints lorsque ses concurrent­s, les numéros 1 et 2 du secteur, ont décroché leur certificat­ion et qu’ils se sont empressés de le communique­r! Et cette banque mexicaine locale qui a voulu la certificat­ion pour concurrenc­er les banques internatio­nales au moment du recrutemen­t.

D.B. – Quel est votre but ultime?

A.U. – Que l’on colmate la brèche de l’égalité profession­nelle et économique hommes-femmes, et que ce sujet devienne caduc.

D.B. – Quel est le plus grand obstacle à l’égalité profession­nelle et économique des genres?

A.U. – La normalisat­ion. On a l’habitude de considérer cet écart comme normal. Il est normal que les femmes s’occupent davantage des enfants. Il est normal que cela ait un effet sur leur carrière. On a l’impression d’être face à un phénomène social et non à une création humaine. Cela nous dédouane de toute responsabi­lité et de toute capacité d’interventi­on.

D.B. – Y a-t-il des entreprise­s canadienne­s certifiées EDGE?

A.U. – Plus de 100 entreprise­s de 40 pays dans 22 industries sont certifiées. Le Canada en compte une, L’Oréal Canada. Une autre, de Calgary, a amorcé le processus.

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