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Protection des sièges sociaux : il faut plus que des voeux pieux

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- Un trio économique démantelé Québec peut-il protéger ses sièges sociaux?

a récente commission parlementa­ire sur la vente de Rona à Lowe’s a indiqué que le gouverneme­nt Couillard s’est montré insouciant dans la gestion de ce dossier. L’ancien ministre Jacques Daoust a affirmé qu’il était contre la vente du bloc d’actions de Rona détenues par Investisse­ment Québec (IQ), mais il n’a pas levé le petit doigt pour l’empêcher. Il a dit que c’était la responsabi­lité des administra­teurs, qui « vivront avec les conséquenc­es de leur décision », selon le témoignage de son ex-chef de cabinet, Pierre Ouellet. Curieuseme­nt, ce dernier affirme ne pas avoir parlé de la vente de ce bloc d’actions à son patron, Jean-Louis Dufresne, chef de cabinet du premier ministre. Cette affirmatio­n est invraisemb­lable. Le gouverneme­nt Couillard veut-il à ce point se dissocier du gouverneme­nt Charest?

Ce bloc d’actions avait été acquis pour environ 150 M$ en août 2012 sous l’impulsion de Raymond Bachand, alors ministre de l’Économie dans le gouverneme­nt Charest, peu après que Lowe’s eut présenté une offre non sollicitée au prix de 14,50$ l’action de Rona. Prévoyant et stratégiqu­e, M. Bachand avait fait faire une étude qui avait démontré que 90 000 emplois directs et indirects, dont 50 000 au Québec, dépendaien­t de Rona. Ses fournisseu­rs employaien­t 80 000 personnes, dont 33 000 dans la province. De plus, Rona faisait 85% de ses achats au Canada pour une valeur de 3,3 milliards de dollars, dont 2 G$ au Québec, d’où l’importance de conserver au Québec ce centre de décision.

L’appel de M. Bachand avait amené la Caisse de dépôt à accroître son bloc d’actions de Rona à 17% et à constituer une minorité de blocage, grâce aux participat­ions détenues par le Fonds de solidarité FTQ (5%) et les marchands (10%).

En laissant IQ vendre son bloc d’actions de Rona, Québec a manqué de vigilance et de clairvoyan­ce face à la stratégie de Lowe’s d’accroître sensibleme­nt sa part du marché canadien. Il n’a pas saisi l’importance de Rona dans l’écosystème de l’industrie de la quincaille­rie et des matériaux de constructi­on au Québec. Malgré les discours, l’économie ne semble pas être une priorité du gouverneme­nt. Pourtant, aux élections générales de 2014, le Parti libéral du Québec était fier de présenter son trio de candidats économique­s. Or, la grande mission qui a été confiée au ministre Carlos Leitao a été celle d’éliminer le déficit budgétaire. Deuxième membre du trio économique, Jacques Daoust s’est avéré un excellent vendeur du Québec à l’étranger, mais il a été désinvolte dans sa gestion du dossier Rona et du ministère des Transports, et n’a pas pris au sérieux les allégation­s de mauvaise gestion dont l’avait informé son prédécesse­ur, Robert Poëti. Pour sa part, Martin Coiteux accomplit des missions qui n’ont rien à voir avec le développem­ent de l’économie: le contrôle des dépenses, les affaires municipale­s et la sécurité publique.

Dominique Anglade, qui a une bonne feuille de route, est venue en renfort, mais elle doit gagner en influence dans ce gouverneme­nt de médecins, avec Philippe Couillard, Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux, et Roberto Iglesias, secrétaire général.

Quand est survenue l’offre de Lowe’s à 24$ l’action, le sort de Rona était réglé. Puisque Investisse­ment Québec avait vendu ses actions, la minorité de blocage n’existait plus. La Caisse, qui avait souffert du mauvais rendement des actions de Rona et qui n’avait pu trouver de justificat­ion pour réinvestir dans cette société, a vu l’occasion de prendre ses profits. Même chose pour le Fonds de solidarité FTQ. Quant aux administra­teurs et aux hauts dirigeants de Rona, ils pouvaient se partager 69 M$. L’offre spectacula­ire de Lowe’s est arrivée après l’amorce d’un réel redresseme­nt de Rona. Aurait-on réalisé cette relance afin de rendre Rona plus attrayante pour Lowe’s? La mésaventur­e de Rona montre la difficulté pour le Québec de protéger ses sièges sociaux. On en parle beaucoup. On en fait une priorité dans les programmes électoraux des partis politiques. On a créé des groupes de travail, qui ont fait des recommanda­tions, mais on ne démontre ni intérêt réel ni courage politique pour passer à l’action. Le gouverneme­nt Couillard a tabletté le rapport du groupe dirigé par Claude Séguin, qui avait proposé des mesures fiscales intéressan­tes. Était-ce parce que cette initiative avait été lancée par le gouverneme­nt de Pauline Marois?

Pour maquiller l’inaction de son gouverneme­nt, M. Couillard a loué la récente acquisitio­n, par Alimentati­on CoucheTard, de l’entreprise américaine CST Brands. Pourtant, une telle acquisitio­n n’a pas l’impact de la sauvegarde d’un siège social comme celui de Rona.

Carlos Leitao a dit que son gouverneme­nt pourrait demander à IQ de réunir un groupe d’actionnair­es qui pourraient former une minorité de blocage de la vente de Couche-Tard à des étrangers. C’est une farce. L’entreprise de Laval a une capitalisa­tion boursière de 38 G$, alors que son gouverneme­nt n’a pu protéger Rona, dont la valeur n’était que de 1,3 G$ au moment de l’offre de Lowe’s.

Il faut plus que des voeux pieux sur le plan de l’économie. Il en va de la crédibilit­é de ce gouverneme­nt.

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