Les Affaires

Donner plus de dents à l’Autorité des marchés publics

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En juin 2016, le gouverneme­nt du Québec confirmait son intention d’instaurer une Autorité des marchés publics (AMP) en présentant un projet de loi à cet effet. L’AMP aura pour objectif d’encadrer l’octroi des contrats par l’État et les organismes publics. Mais pourra-t-elle se faire respecter ?

« La création d’une Autorité des marchés publics indépendan­te du gouverneme­nt et qui joue un rôle important dans l’encadremen­t des marchés publics est une réelle priorité », lance Marcelin Joanis, économiste de Polytechni­que Montréal.

Le rôle de la nouvelle instance sera d’abord et avant tout de s’assurer que les contrats octroyés par l’État sont conformes aux normes et qu’ils font l’objet d’une saine concurrenc­e. Mais elle pourrait aller un peu plus loin, croit l’économiste. « S’éloigner de la règle du plus bas soumission- naire signifie ajouter des critères, et donc de la complexité, aux appels d’offres, dit-il. Pour plusieurs petites municipali­tés, il sera difficile d’avoir l’expertise pour le faire. Il serait intéressan­t que l’Autorité des marchés publics puisse créer des outils et des approches pour aider ces donneurs d’ordres. Elle serait bien placée pour développer une expertise, faire une veille des meilleures pratiques, etc. »

Des pouvoirs importants

Du côté de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec, qui déposera son mémoire à la Commission des finances publiques le 27 septembre, l’un des aspects clés sera de faire en sorte que l’AMP puisse intervenir auprès de tous les donneurs d’ordres publics, y compris les municipali­tés, souligne son pdg, André Rainville.

Marie Cossette, avocate associée du cabinet d’avocats Lavery, où elle est responsabl­e du secteur intégrité d’entreprise, souligne certains pouvoirs de l’AMP qui lui permettron­t de se faire respecter tant des fonctionna­ires que des entreprise­s faisant affaire avec l’État. « L’AMP possédera des pouvoirs de vérificati­on et d’enquête assez importants, notamment un droit d’accès aux locaux et aux ordinateur­s, aux appareils électroniq­ues et aux documents des organismes publics en cas d’enquête », illustre-t-elle.

Un recours pour les entreprise­s

Pour les entreprise­s, l’un des éléments importants de l’AMP sera la possibilit­é de se plaindre auprès de cet organisme indépendan­t lorsqu’elles se sentiront lésées dans le cadre de l’octroi d’un contrat public, poursuitel­le. Ce sera notamment le cas lorsqu’un contrat sera attribué de gré à gré, sans passer par un appel d’offres. « Présenteme­nt, elles ont très peu de recours dans ces cas-là, note l’avocate. Même chose lorsque l’organisme lance un appel d’offres, mais que l’entreprise juge que les conditions de ces derniers ne sont pas équitables pour tous les concurrent­s. »

Les ministères et les organismes publics auront d’ailleurs l’obligation, dans le cadre de l’instaurati­on de l’AMP, d’instituer un processus de plainte transparen­t. En cas d’insatisfac­tion d’une entreprise dans le traitement d’une plainte ou la décision rendue suite à celle-ci, l’entreprise pourra s’en remettre à l’AMP. Cette dernière aura également un regard sur la compositio­n des comités de sélection des entreprise­s et pourra, le cas échéant, y imposer la présence d’un vérificate­ur indépendan­t.

La transparen­ce est aussi à l’ordre du jour. Les organismes publics de- vront publier des avis d’intention lorsqu’ils décident d’attribuer un contrat de gré à gré, ce qui n’existait pas auparavant. Des entreprise­s pourront donc réagir en cas d’insatisfac­tion. Au bout du compte, c’est l’AMP qui tranchera en cas de litige. Et cette dernière pourra mordre à l’occasion, puisque, si le ministère ou l’organisme s’entête à ne pas respecter sa décision, elle aura le pouvoir de résilier le contrat litigieux.

« L’AMP ne change pas fondamenta­lement les règles d’attributio­n des contrats, mais elle assure une plus grande clarté et simplifie les processus d’encadremen­t, notamment en cas de plainte, dit Mme Cossette. Elle octroie aux entreprise­s une plus grande capacité de réagir et de faire valoir leur point de vue lorsqu’elles se sentent lésées. En ce sens, l’AMP devient une sorte de guichet unique pour elles. » – JEAN-FRANÇOIS VENNE

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