Les Affaires

DIANE BÉRARD : LE NOUVEAU RÊVE COLLECTIF DE LA CHINE VU PAR LE PATRON DE ROLAND BERGER

– Charles-Édouard Bouée, pdg, Roland Berger

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – Selon vous, l’année 2008 a marqué un tournant décisif dans l’économie chinoise. Pourquoi?

CHARLES-ÉDOUARD BOUÉE – Cette année correspond à la fin d’un cycle de 30 ans. En 1978, l’économie chinoise s’est ouverte au monde. Au moment de trouver un nouveau modèle économique, le gouverneme­nt de Deng Xiaoping a exploré ce qui existait. Le modèle russe communiste? Non, il ne fonctionne pas. Le modèle japonais? Trop compliqué, trop insulaire. Deng Xiaoping a finalement opté pour le modèle américain, le plus simple à reproduire. Il était plus facile de mobiliser la population autour d’un modèle hypersimpl­e avec un message comme « Enrichisse­z-vous! ». Pendant 30 ans, on a vu les Chinois venir étudier en Amérique et y envoyer leurs enfants. Laisser-faire gouverneme­ntal, consommati­on, émergence de la classe moyenne, etc., tout y est passé. L’américanis­ation a été particuliè­rement remarquabl­e sur la côte est de la Chine: grosses voitures, grosses maisons, grosses portions au restaurant... Puis, il y a eu 2008 et la crise des subprimes [prêts à risque] aux États-Unis, avec des conséquenc­es planétaire­s. Pour la Chine, cette crise a été une bénédictio­n. Elle lui a donné la justificat­ion nécessaire pour changer de modèle économique. Il avait atteint sa limite, on touchait à la fin de cycle. Mais comment justifier ce changement auprès d’une population américanis­ée? La crise des subprimes tombait à point nommé.

D.B. – Pourquoi la Chine devait-elle changer de modèle économique? C.-E.B.

– Quatre facteurs expliquent la transition. D’abord, les inégalités de richesse ont atteint un niveau plus important en Chine qu’aux États-Unis. Cela est intolérabl­e dans un modèle capitalist­icocommuni­ste. Ensuite, le niveau de corruption est devenu trop élevé. Il bloquait carrément la croissance économique. Un peu comme lorsqu’un individu voit ses artères obstruées. Avec le même niveau de pression, l’individu, ou l’économie, performe moins. Il faut débloquer les artères et faire circuler le sang à nouveau. Puis, on a vu se multiplier les mauvaises pratiques économique­s pour s’enrichir. Des produits contaminés ou contrefait­s ont mis en péril la santé de la population. Ces dérives éthiques indiquent une dérive du modèle économique. Enfin, le niveau de pollution de l’air, de l’eau et du sol lance un signal important: le modèle chinois de développem­ent n’est plus soutenable.

D.B. – Qu’est-ce qui lui a donné confiance en sa capacité d’effectuer ce virage? C.-E.B.

– En 2008, deux événements majeurs se sont produits: le tremblemen­t de terre au Sichuan et les Jeux olympiques d’été. L’un et l’autre ont permis à la Chine de démontrer sa nouvelle stature, à elle-même et au reste de la planète. Dans le cas du tremblemen­t de terre, la Chine a géré la situation au cours des premiers jours qui ont suivi le sinistre. L’aide internatio­nale n’est venue que plus tard. Quant aux Jeux olympiques, une nation ne peut les accueillir si elle n’a pas une certaine envergure. Elle doit démontrer sa capacité de recevoir le monde.

D.B. – Après avoir vendu le capitalism­e aux Chinois, que prône désormais le gouverneme­nt? C.-E.B.

– Il tente de passer du rêve américain au rêve chinois, du rêve individuel au rêve collectif.

D.B. – La Chine entre dans l’ère de l’éliminatio­n des dommages collatérau­x. Ce sera long? C.-E.B.

– Ce pays fonctionne par cycles de 30 ans. C’est le temps qu’il faudra pour éliminer les dommages causés par la période précédente. Par exemple, pour l’avenir, la Chine s’est donné des normes antipollut­ion aussi élevées que celles des pays européens. Mais ça prendra 10, 20 et même 30 ans pour tout nettoyer. Une génération sera touchée: malformati­ons, cancers, etc. Mais ce pays a un avantage important: son gouverneme­nt fort.

D.B. – Vous dites que la Chine a un gouverneme­nt fort, mais l’est-il suffisamme­nt pour garantir la paix sociale? C.-E.B.

– Dans un pays aussi populeux, c’est un défi. Il faut protéger la base de la pyramide. La croissance des inégalités a fait mal. En Chine, la paix sociale tient à deux choses: des aliments abordables et le sentiment que les inégalités ne sont pas trop prononcées.

D.B. – Les mesures de stimulus ont eu un effet pervers dont il faut se débarrasse­r... C.-E.B.

– Elles ont créé de la surcapacit­é dans plusieurs secteurs. Il faut l’éliminer en même temps que l’on modernise l’économie. Des secteurs dominés par les sociétés d’État – l’automobile, le ciment, le béton, l’acier – doivent évoluer. On ferme des sociétés. Il faut redéployer les employés dans d’autres entreprise­s. En 2015, la Chine a créé 15 millions de nouveaux emplois dans les villes.

D.B. – On a le sentiment que la Chine a deux économies parallèles... C.-E.B.

– En effet, il y a la vieille économie en surcapacit­é et l’économie de la technologi­e et des entreprene­urs.

D.B. – La Chine renoue avec ses racines marchandes. Expliquez-nous. C.-E.B.

– Le peuple chinois a longtemps été un peuple de commerçant­s. Aujourd’hui, on veut stimuler l’entreprene­uriat. La Chine compte plus de 1500 incubateur­s d’entreprise­s et plus d’une centaine de parcs scientifiq­ues universita­ires. Et ce que plusieurs décrient, le protection­nisme chinois, fait la force de ces entreprise­s. Les entreprene­urs chinois sur Internet bénéficien­t d’un marché de consommate­urs immense et protégé. Et, contrairem­ent à une économie protégée à la façon communiste, la Chine n’a pas à composer avec des oligarques. Elle a des entreprene­urs. C’est une combinaiso­n plutôt unique: un gouverneme­nt fort qui protège l’économie et des entreprene­urs forts qui se font une vive concurrenc­e. Tout ça dans un marché intérieur suffisamme­nt grand pour tous.

D.B. – Le ralentisse­ment économique effraie de nombreux chefs d’État et d’entreprise. C.-E.B.

– Cette inquiétude est injustifié­e. Il faut voir au-delà des pourcentag­es. Une croissance économique de 5% aujourd’hui a un impact bien plus important qu’une croissance de 10% il y a 10 ou 15 ans. Aujourd’hui, la Chine a une base bien plus solide qu’il y a 10 ou 20 ans. Il faut donc regarder le PIB et non le taux de croissance.

D.B. – Vous observez trois transforma­tions parallèles. Outre la rénovation de l’ancienne économie et la montée de l’entreprene­uriat, quelle est la troisième? C.-E.B.

– L’ouverture de la Chine en cercles concentriq­ues. Les entreprene­urs occupent d’abord leur pays. Ensuite, les pays limitrophe­s. C’est la nouvelle route de la soie imaginée par le président Xi Jinping. Elle relie par terre et par mer la Chine aux autres pays d’Asie, d’Europe et même d’Australie. Enfin, il y a le déploiemen­t des capitaux chinois dans le monde. Attention: les Chinois veulent faire des affaires avec l’étranger, mais ils ne tiennent pas nécessaire­ment à s’y installer.

D.B. – Quel message aimeriez-vous laisser à nos lecteurs? C.-E.B.

– Si vous voyez trois Chine, c’est normal. La Chine polluée en surcapacit­é cohabite avec la Chine survoltée qui s’éparpille et la Chine qui investit méthodique­ment. Ce pays entame la plus grande transforma­tion de son histoire.

La réunion annuelle des pays du G20 se tiendra les 4 et 5 septembre prochains à Hangzhou, en Chine.

Les Affaires en profite pour faire le point sur cette économie, aussi immense que mystérieus­e, avec le consultant Charles-Édouard Bouée. Celui-ci a dirigé les activités asiatiques de Roland Berger, avant de prendre la direction de ce groupe-conseil. Il est l’auteur de Comment la Chine change le monde.

Rimouski aura son centre d’expertise destiné à accueillir et à soutenir les jeunes entreprene­urs ainsi qu’à fournir des bureaux aux travailleu­rs autonomes. Le centre, baptisé « e-Startup », sera aménagé dans un ancien garage et ouvrira ses portes à la mi-octobre. Déjà, huit jeunes entreprise­s ou projets ont confirmé leur intention de s’installer dans les nouveaux espaces de travail collaborat­if. Les entreprene­urs auront le choix de s’installer dans des aires ouvertes ou des locaux fermés. Le projet vise à réaliser un bâtiment vert. Il s’agirait du premier immeuble à l’est de Québec à comprendre un ensemble de panneaux solaires, des systèmes d’économie d’énergie, un éclairage exclusivem­ent à DEL et des vitrages thermos spéciaux.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada