Hydrocarbures : le projet de loi 106 mettra-t-il fin aux contestations juridiques ? La pétrolière Junex presse le pas
Gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent, projets de pipelines venus de l’Ouest canadien, forages exploratoires à Anticosti et en Gaspésie… Au cours des dernières années, la plupart des projets d’hydrocarbures ont déclenché une polémique, ou du moins ont suscité une forme d’opposition, qui a fait appel aux tribunaux. Le projet de loi 106, qui devait clarifier le cadre juridique, n’aide en rien, estiment des observateurs. Il pourrait même ajouter à l’irritation générale à l’égard de la filière, considèrent-ils.
« Le régime actuel d’encadrement des activités d’hydrocarbures est sérieusement dépassé, écrivait à la mi-août un organisme opposé au projet de loi 106 dans une lettre ouverte. D’ailleurs, de nombreux terrains sont aujourd’hui visés par des licences d’exploration d’hydrocarbures, et ce, sans que leur propriétaire en soit clairement informé. »
Il ne s’agissait pourtant pas là d’un groupe écologiste, mais bien plutôt du président de la Chambre des notaires du Québec, Me Gérard Guay. Celui-ci dénonçait également la possibilité pour une entreprise d’exploration d’exproprier un propriétaire en cas de découverte.
« Considérant les incidences graves que peut avoir ce type d’exploitation sur la sécurité publique et sur la sécurité des titres fonciers, y compris le financement immobilier, la Chambre des notaires estime qu’il y a lieu pour le législateur de bonifier le projet de loi avant de l’adopter », concluait M. Guay. Le projet de loi 106, déposé en juin par Québec et qui vise notamment à encadrer la mise en valeur et le développement des hydrocarbures, ne rassure pas grand monde. Il contient tellement d’inconnues que la société d’exploration Junex, qui mène depuis juin un test de production sur son puits Galt 4 en Gaspésie, pourrait devancer sa demande de bail de production afin d’éviter l’application de nouveaux règlements.
« Ça pourrait nous inciter à faire une demande plus tôt que tard, a admis Peter Dorrins, président et chef de la direction. On connaît les règles du jeu actuelles, mais c’est difficile de se prononcer sur le projet de loi, car plusieurs de ses articles font référence à des règlements qui n’existent pas encore. On n’a que la moitié du portrait. »
Le test de production sur le puits Galt 4, à 20 kilomètres de Gaspé, devrait se poursuivre jusqu’à la fin de l’année. Après quoi Junex pourrait estimer qu’elle a suffisamment d’information en main pour demander tout de suite un bail de production. « On voulait le faire après les forages, mais avec ce test de production, il se peut qu’on le fasse plus rapidement », dit M. Dorrins. Dans l’état actuel des connaissances, exploiter Galt nécessiterait une trentaine
Le projet de loi 106, qui doit encadrer la mise en valeur et le développement des hydrocarbures au Québec, ne devrait pas faire diminuer le risque de litige, croit l’avocat spécialisé en droit de l’environnement et en droit municipal Jean-François Girard, du cabinet Dufresne Hébert Comeau. Bien au contraire.
« Le projet de loi prévoit faire disparaître l’obligation pour une société d’exploration qui demande un certificat d’autorisation au ministère de l’Environnement de joindre à sa demande un certificat du greffier de la municipalité », donne en exemple Jean-François Girard. « Il n’y a même plus de dialogue avec la municipalité. Cela veut dire que, demain matin, le ministre peut autoriser un projet en plein coeur d’un quartier résidentiel. Ça accroît la méfiance des intervenants. »
M. Girard est d’avis que la méfiance est le fléau qui accable la filière et auquel aurait dû s’attaquer le gouvernement s’il avait vraiment voulu la soutenir. La saga du pipeline Énergie Est, au cours de laquelle le ministère a omis de faire respecter sa propre loi, est venue confirmer le sentiment d’un parti pris qui nuit considérablement à tout projet futur, soutient-il.
Selon l’avocat spécialiste du droit de l’environnement, le problème n’est pas qu’il y aurait des « zones grises » dans la législation québécoise, qu’il suffirait de clarifier par le projet de loi 106. C’est plutôt que le gouvernement ne respecte pas sa propre loi, même quand elle est claire. « Les autorités ne font même pas appliquer le cadre déjà applicable, donc ça engendre un problème de crédibilité et de légitimité, dit-il.