Les Affaires

Le degré zéro de l’éthique, ou l’exemple de Wells Fargo

Biographie

- Martine Roux redactionl­esaffaires@tc.tc

Tous sont égaux devant la loi, sembl e - t - i l . Mais pas devant l’éthique. Là, il y a différents degrés. Au troisième degré, on trouve les rares personnes qui, quoi qu’il arrive, font « ce qu’il faut » dans l’intérêt collectif, parfois même au détriment de leur intérêt personnel. Au deuxième degré, on trouve ceux, beaucoup plus nombreux, qui respectent la loi et les règles; ils se réfugient d’ailleurs volontiers derrière elles. Au premier degré, on trouve les « pas vus, pas pris ». Quand ils sont pris, ils s’excusent ou disent qu’ils n’avaient pas bien saisi l’enjeu – le premier degré est courant dans la politique et les affaires, nos médias en sont truffés.

Et puis, il y a le degré zéro de l’éthique. Ça concerne ceux qui ne comprennen­t tout simplement pas. Même quand un comporteme­nt contrevien­t à la loi; même quand ils sont pris, ils n’arrivent pas à saisir l’enjeu ni à assumer leur responsabi­lité.

Un exemple récent: l’ex-président du conseil et chef de la direction de la banque Wells Fargo, John Stumpf.

Deux millions de comptes non sollicités

Le 8 septembre, on a appris que la banque Wells Fargo convenait de payer des amendes et pénalités totalisant 185 millions de dollars américains.

Pourquoi ? Parce qu’il a été établi qu’entre 2011 et 2015, les employés de Wells Fargo ont ouvert deux millions de comptes bancaires et de cartes de crédit non sollicités, souvent à l’insu des clients. On a falsifié des signatures, des clients se sont vu facturer des frais de service pour des comptes dont ils ignoraient l’existence, jusqu’à recevoir des menaces d’agences de recouvreme­nt.

Pourquoi des employés subalterne­s d’une des plus grandes banques du monde avaient-ils recours à de tels stratagème­s? Parce que Wells Fargo avait placé les ventes croisées au coeur de sa stratégie commercial­e ; parce que la hiérarchie imposait aux employés des objectifs irréa- listes. Certains employés n’avaient pas le droit de quitter leur travail tant qu’ils n’avaient pas atteint leur quota du jour. Jour après jour. Alors, bien sûr, ils sont devenus créatifs.

Les cadres passent à la caisse, les employés passent au

La haute direction de Wells Fargo connaissai­t-elle le problème? Personne ne peut en douter. Dès 2012, l’Office of the Comptrolle­r of the Currency (OCC), qui supervise les banques nationales aux ÉtatsUnis, recevait des plaintes de clients et d’employés de Wells Fargo concernant les pratiques inappropri­ées; en 2013, le Los Angeles Times publia un long article sur la pression des ventes croisées à la banque Wells Fargo; à la suite de la lecture de ce reportage, le procureur de la Ville de Los Angeles commanda une enquête, qui déboucha en mai 2015 sur une poursuite civile contre la banque au nom du peuple de Californie.

Le 20 septembre dernier, devant le comité du Sénat américain qui examinait l’affaire, M. Stumpf a décrit en détail la série de mesures prises à compter de 2012 relativeme­nt aux pratiques commercial­es. Des quotas de ventes avaient été réduits; la banque avait commencé à mesurer la « qualité des ventes » (!) et, en 2015, avait même embauché PwC pour évaluer l’ampleur des dommages.

« Je suis profondéme­nt désolé », a dit M. Stumpf au comité du Sénat...

Fort louable en apparence. Sauf que l’OCC soufflait dans le cou de la banque depuis janvier 2012. Jusqu’en juillet 2016, l’OCC s’est fait de plus en plus pressant dans ses communicat­ions formelles avec la haute direction de la banque en ce qui concerne ses pratiques commercial­es. C’est même l’OCC qui a exigé que la banque engage PwC en juin 2015. À la même occasion, l’OCC communiqua­it directemen­t avec la direction et le conseil d’administra­tion pour demander des actions précises sur cinq sujets exigeant leur attention immédiate. Malgré cela, en juillet 2016, l’OCC a dû revenir à la charge pour souligner de nouveau le caractère malsain de certaines pratiques de la banque.

Pendant cinq ans, donc, Wells Fargo s’est montrée réactive, voire insensible. Elle a congédié « pour cause » 5 300 employés, tous subalterne­s, qui n’avaient manifestem­ent pas lu le magnifique code d’éthique de la banque… Aucun dirigeant n’a été sanctionné ni privé de ses primes – l’éthique, c’est pour les subordonné­s.

Il a fallu les pénalités de 185 M$ US et l’imminence de leur divulgatio­n pour que la responsabl­e du réseau de détail de la banque, Carrie Tolstedt, annonce sa « retraite » en juillet à l’âge canonique de… 56 ans, et s’en aille avec un pactole alors évalué à environ 100 M$ US. Et il a fallu que la sénatrice Elizabeth Warren frotte énergiquem­ent les oreilles de M. Stumpf et l’humilie publiqueme­nt pour que, trois semaines plus tard, le conseil l’envoie à son tour à la « retraite » avec un magot estimé à 200 M$ US!

Sans doute convaincu qu’une sanction molle et tardive vaut mieux qu’un aveuglemen­t volontaire et permanent, le 13 octobre, le conseil d’administra­tion annonçait que le trousseau de départ de Mme Tolstedt serait amputé de 19 M$ US, et celui de M. Stumpf, de 41 M$ US.

Les 5 300 employés congédiés ont dû en être émus aux larmes.

Quant à M. Stumpf, je ne suis pas sûr qu’il ait encore compris sa responsabi­lité. C’est ça le degré zéro de l’éthique.

Entrevue 60 secondes — Les récents déboires de Samsung s’expliquent par la rigidité excessive de sa gestion, selon Kim Sang-Jo, professeur d’économie et directeur de l’ONG sud-coréenne Solidarity for Economic Reform. Les Affaires a rencontré ce spécialist­e des congloméra­ts coréens – les chaebols – à son bureau de l’Université de Hansung, à Séoul.

– Comment expliquez-vous le fiasco des piles du téléphone Galaxy Note 7 ? KIM SANG-JO

– La structure de gouvernanc­e du Groupe Samsung – composé de 63 entreprise­s affiliées – est aussi complexe que les semi-conducteur­s qu’il produit ! La véritable tour de contrôle est formée d’une équipe dirigée par quatre personnes : c’est le bureau de marketing stratégiqu­e (ou FSO, pour Future Strategy Office). Ses décisions sont prises derrière des portes closes. Il y a quelques mois, cette équipe a voulu devancer Apple, qui s’apprêtait à commercial­iser l’iPhone 7, en lançant la « phablette » Galaxy Note 7 avant la date prévue. Dans un premier temps, c’était une décision brillante, car ce produit est supérieur à celui d’Apple, tel que le présumait le FSO. Mais Samsung SDI, la filiale qui conçoit les piles, n’a pas eu le temps de tester les piles comme il se devait. Et ses dirigeants ne pouvaient pas sonner l’alarme : en raison de la structure décisionne­lle du Groupe Samsung, seules des communicat­ions du sommet à la base ( top-down) ont cours. Cette rigidité dans la gouvernanc­e ainsi que le manque de transparen­ce sont au coeur des difficulté­s de l’entreprise.

L.A. – Samsung n’est pas réputée tendre à l’égard de ses employés. A-t-elle fait pression sur eux afin de doubler Apple ? K.S.-J.

– De tous les chaebols coréens, le Groupe Samsung est celui qui exerce le contrôle le plus sévère sur ses employés. Il s’agit là aussi d’une orientatio­n téléguidée par le bureau du marketing stratégiqu­e. En devançant le lancement du Galaxy Note 7, il a imposé un calendrier très serré qui a mis beaucoup de pression sur les employés ainsi que sur les sous-traitants de Samsung Electronic­s et de Samsung SDI. On ignore si le FSO a officielle­ment exigé des heures supplément­aires de leur part. Mais le résultat est le même : les conditions de travail se sont détériorée­s.

L.A. – Les déboires de Samsung peuvent-ils nuire à l’économie sud-coréenne ? K.S.-J.

– Ils risquent de plonger le pays dans une crise économique. Car si on tient compte du volume d’affaires des sous-traitants manufactur­iers, la valeur des activités du Groupe Samsung représente 8 % du PIB de la Corée du Sud. C’est énorme. L’économie repose essentiell­ement sur deux géants : le Groupe Samsung et Hyundai Motor, qui connaissen­t tous deux des difficulté­s. Elle est aussi touchée par plusieurs autres facteurs comme la dette élevée des ménages et la hausse possible des taux d’intérêt par la banque centrale américaine. La situation est très sérieuse. À moyen terme, le pays doit absolument diversifie­r son économie.

L.A. – Outre Apple, les concurrent­s de Samsung Electronic­s pourraient-ils profiter de la situation pour s’imposer dans le marché des téléphones intelligen­ts haut de gamme ? K.S.-J.

– Oui. De nos jours, le téléphone intelligen­t est un produit standardis­é : en ce qui a trait à la qualité, les appareils sont relativeme­nt semblables. C’est la mise en marché qui change la donne, la marque étant un facteur déterminan­t dans la décision d’achat. À cet égard, Apple occupe le haut du pavé, suivie de Samsung Electronic­s. Mais comme son image s’est beaucoup ternie en raison des problèmes du Galaxy Note 7, ses concurrent­s chinois [comme Huawei, Lenovo, Xiaomi, voire la taïwanaise HTC] ont une occasion en or d’accaparer des parts des marchés. Pour conserver son statut, Samsung Electronic­s doit surmonter rapidement ses difficulté­s. Et une seule personne peut pour l’instant décider de son sort : Lee Jae-yong [ou « Jay Y. »], le fils de Lee Kun-Hee [l’actuel président dont l’état de santé est chancelant].

D.B. – Entretenez-vous des liens avec de grandes entreprise­s? A.B.

– Oui, plusieurs entreprise­s du Fortune 500 s’intéressen­t aux espaces de fabricatio­n partagés. Elles veulent être innovantes, mais il ne faut pas que ça perturbe trop leurs activités. Alors, elles adhèrent aux projets où naissent les tendances et elles en suivent l’évolution. Ce qui explique pourquoi nous comptons de grandes sociétés parmi nos membres. Certaines ont acheté un abonnement de groupe pour leurs employés, comme on propose des abonnement­s au gym. Sauf que les muscles qu’on stimule, ce sont ceux du cerveau! Tout le monde gagne. Les grandes entreprise­s se tiennent au goût du jour. Les autopreneu­rs et les entreprene­urs développen­t des relations avec de grandes entreprise­s qui pourront, un jour, les aider à passer à la prochaine étape de leur croissance.

D.B. – Vous-même amorcez une nouvelle étape. Expliquez-nous. A.B.

– Nous ajoutons des services pour aider nos membres à faire progresser leurs idées. Au premier étage, nous maintenons notre espace de fabricatio­n. Au deuxième étage, nos membres auront accès à du soutien pour créer leur logo et développer leur plan d’affaires et leur plan marketing.

D.B. – Quel est votre premier défi? A.B.

– Maintenant que nous avons un modèle de revenu, il faut rester pertinents. Enseigner à notre communauté locale ce qu’elle veut apprendre tout en restant au fait des tendances internatio­nales du « maker movement ».

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