Les Affaires

États-Unis : ce qui doit vous préoccuper

Il n’y a pas que la course à la Maison-Blanche qui aura un effet sur notre économie. Des élections locales sont aussi à surveiller. On vous explique pourquoi.

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

Une victoire de Hillary Clinton, combinée à une prise du contrôle du Congrès par les démocrates, pourrait favoriser l’adoption de mesures protection­nistes.

Rarement a-t-on vu une course à la MaisonBlan­che susciter autant d’intérêt au Canada. Réouvertur­e de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), opposition au Partenaria­t transpacif­ique (PTP), imposition de tarifs ou de quotas... Les enjeux soulevés dans les élections aux États-Unis sont cruciaux pour le Canada et ses entreprise­s.

« C’est probableme­nt la première fois dans les temps modernes qu’on doit à ce point se préoccuper d’une élection aux États-Unis », affirme John Parisella, ancien délégué général du Québec à New York, aujourd’hui professeur invité au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

Les grands patrons des entreprise­s canadienne­s sont d’ailleurs très préoccupés. Ils craignent que la montée du protection­nisme en Amérique du Nord affaibliss­e les accords commerciau­x qui aident à stimuler l’économie, révèle une récente étude de Gandalf Group réalisée pour le compte du Globe and Mail et de la chaîne télévisée Business News Network.

Il faut dire que l’environnem­ent politique et économique a bien changé aux États-Unis.

Le libre-échange a largement assuré la prospérité des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, depuis la récession de 2008-2009, l’idée du libre-échange est en déclin aux États-Unis et ailleurs dans le monde. On observe également ce déclin au Congrès américain, même du côté des républicai­ns, traditionn­ellement libre-échangiste­s, souligne Louis Bélanger, directeur des hautes études internatio­nales à l’Université Laval.

« Auparavant, 100% des républicai­ns étaient libre-échangiste­s. Mais ce pourcentag­e a baissé au cours des dernières années », dit-il, en faisant référence aux travaux du Cato Institute, un groupe de réflexion libertarie­n qui recense systématiq­uement les votes en faveur du libreéchan­ge ou contre celui-ci.

Le déclin du libre-échange combiné à la montée du protection­nisme sont la toile de fond économique de ces élections. Mais d’autres enjeux – qui ne sont pas liés directemen­t à la course à la Maison-Blanche – risquent aussi d’avoir un impact au Canada. La fluidité et la sécurité à la frontière sont toujours des enjeux depuis le 11 septembre 2001. Mais la présente élection n’a pas soulevé d’enjeux particulie­rs pour le Canada, disent les spécialist­es.

Par contre, il va sans dire qu’un attentat terroriste d’envergure, commis aux États-Unis ou au Canada, changerait la donne, étant donné que 72 % des exportatio­ns québécoise­s vont aux États-Unis.

Préparez-vous à plus de Buy American et de Buy America

Le délégué général du Québec à New York, Jean-Claude Lauzon, se prépare à redoubler d’ardeur après les élections, car les États-Unis seront un pays plus protection­niste. « C’est une tendance mondiale qu’on ne voit pas uniquement aux États-Unis », précise-t-il.

Chez nos voisins, ce protection­nisme se manifester­a probableme­nt par une multiplica­tion des clauses inspirées du Buy American et du Buy America, selon lui. « On devra être extrêmemen­t vigilants. Je ne les vois pas disparaîtr­e du décor avant 5 ou 7 ans. »

Yves-Thomas Dorval est du même avis: « J’ai l’impression qu’on va assister à leur renforceme­nt à cause du protection­nisme ».

Le Buy American vise tous les achats de biens du gouverneme­nt américain, mais il ne s’ap-

plique pas aux services. Le Buy America ne concerne que le transport public. Ces mesures peuvent donc limiter l’accès au marché américain à plusieurs entreprise­s canadienne­s.

Depuis quelques années, des États américains ont souvent recours aux politiques d’achats locaux. Par exemple, les États du New Jersey et de New York ont récemment voulu inclure de telles mesures dans leur budget.

C’est toutefois l’interventi­on de la Délégation générale du Québec à New York qui a permis de les faire retirer. Car, si ces mesures avaient été adoptées, elles auraient touché des milliers d’emplois au Québec, selon Jean-Claude Lauzon.

À ses yeux, plusieurs autres États pourraient être susceptibl­es d’en adopter, comme la Virginie-Occidental­e, le Delaware, la Pennsylvan­ie et le Kentucky.

Une victoire de Hillary Clinton, combinée à une prise du contrôle du Congrès par les démocrates, pourrait favoriser l’adoption de telles mesures, affirme Frédérick Gagnon, titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et professeur de sciences politiques à l’UQAM. « On pourrait voir plus de lois du type Buy American », dit-il.

L’industrie de l’aluminium est épargnée... pour l’instant

Les producteur­s d’aluminium du Québec ont eu des sueurs froides ce printemps. Le syndicat américain des Métallos a demandé à Washington d’imposer des tarifs de 50% sur les importatio­ns d’aluminium. Les Américains ont reculé, mais l’onde de choc a été majeure ici.

Et pour cause: l’aluminium sous forme brute est le deuxième poste d’exportatio­n du Québec (5,4 G$ en 2015) aux États-Unis, juste après les avions (5,6 G$), selon l’Institut de la statistiqu­e du Québec.

La propositio­n des Métallos visait la Chine. L’industrie de l’aluminium vit une crise majeure aux États-Unis en raison de la surproduct­ion de la Chine. La chute des prix et la force du dollar américain ont fait très mal aux aluminerie­s américaine­s.

À l’heure actuelle, seulement cinq aluminerie­s sont en activité aux États-Unis (c’est moins qu’au Québec), dont une seule fonctionne à plein régime, selon l’Associatio­n de l’aluminium du Canada (AAC).

Or, la demande de tarifs écorchait en réalité les producteur­s de la Russie, du Moyen-Orient et du Canada, car la Chine exporte relativeme­nt peu d’aluminium aux États-Unis pour l’instant.

La catastroph­e a donc été évitée de justesse: l’industrie canadienne et des syndicats ont finalement convaincu les Métallos de retirer leur demande de tarifs, en raison de l’intégratio­n de la chaîne de production en Amérique du Nord.

La montée du protection­nisme aux États-Unis présente-t-elle de nouveau un risque pour l’industrie québécoise?

« Le risque est amoindri », affirme le président de l’AAC, Jean Simard. Selon lui, les Américains ont compris que l’imposition de tarifs sur les importatio­ns d’aluminium nuirait aux General Motors de ce monde, qui en utilisent de plus en plus pour construire leurs véhicules. Bref, ce serait une décision irrationne­lle, dit-il. Par contre, la rationalit­é n’est pas toujours ce qui anime les politicien­s, le conflit du bois d’oeuvre en étant un bel exemple, disent les spécialist­es. L’imposition de tarifs sur les importatio­ns canadienne­s fait augmenter le prix des maisons aux États-Unis.

Jean Simard est donc bien conscient que son industrie court sensibleme­nt le même risque dans les prochaines années. « Il est toujours possible d’avoir des tarifs, même si cette décision n’est pas rationnell­e », dit-il.

L’ALÉNA amendé, le PTP sabordé ?

C’est décidément mal parti pour l’ALÉNA et le PTP: Hillary Clinton et Donald Trump les critiquent, dans un contexte où le Congrès est de plus en plus protection­niste.

« L’ALÉNA est remis en cause par les républicai­ns », insiste Yves Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec. C’est tout un revirement, car, traditionn­ellement, c’était plutôt la position des démocrates.

En 2008, lors de la course à l’investitur­e démocrate, Barack Obama s’était engagé à renégocier l’ALÉNA. Il n’a pas touché au traité une fois au pouvoir. La favorite Hillary Clinton fera-t-elle la même chose? Éric Tétrault, président des Manufactur­iers et exportateu­rs du Québec (MEQ), croit qu’elle mettra de l’eau dans son vin si elle est élue. « Je ne crois pas qu’elle va tourner le dos à l’ALÉNA. »

Pour sauver la face, Hillary Clinton pourrait par exemple tenter de convaincre le Congrès de modifier l’ALÉNA, comme l’avait fait son mari Bill en 1993, selon Earl Fry, ancien négociateu­r américain lors des négociatio­ns sur le libreéchan­ge dans les années 1980, aujourd’hui professeur à l’Université Brigham Young, en Utah. Bill Clinton avait fait ajouter deux accords parallèles à l’ALÉNA, qui portaient sur l’environnem­ent et le droit du travail.

Par contre, la plupart spécialist­es sont moins optimistes au sujet du PTP, qui inclut des pays à faible coût de main-d’oeuvre, comme le Vietnam et la Malaisie. « C’est fini, le PTP! Il n’y a aucun appétit d’aller de l’avant avec ce projet aux États-Unis », affirme Gordon Ritchie, l’un des architecte­s de l’Accord de libre-échange canado-américain de 1989, aujourd’hui conseiller spécial chez Hill+Knowlton Stratégies à Ottawa.

Or, le PTP est un projet ébauché essentiell­ement par les Américains. Sans eux, il tombera à l’eau, estime Gordon Ritchie.

«L’ALÉNA est remis en cause par les républicai­ns.» – Yves Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec.

Malgré tout, certains analystes pensent qu’une administra­tion Clinton trouverait sans doute le moyen de ratifier le PTP. Pourquoi? Parce qu’il s’agit avant tout d’un projet politique pour contenir la Chine et assurer l’hégémonie américaine dans le Pacifique.

« Hillary Clinton serait capable de revenir sur sa position, dit Louis Bélanger. La question reste à savoir si le Congrès la suivrait dans ce projet. »

Vers une autre guerre du bois d’oeuvre

Ce n’est qu’une question de temps avant que les exportatio­ns de bois d’oeuvre canadienne­s ne soient de nouveau restreinte­s aux ÉtatsUnis, selon le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), qui s’attend à une taxe d’environ 20%.

« C’est beaucoup d’argent pour le Canada, souligne le président du CIFQ, André Tremblay. Au Québec, cela représente 250 millions de dollars annuelleme­nt. C’est assez inquiétant. »

Cette négociatio­n est complexe. Car, si les pourparler­s ont lieu entre Ottawa et Washington, les intérêts locaux et régionaux aux ÉtatsUnis pèsent également dans la balance.

Par exemple, en juillet, au moins 25 sénateurs américains ont demandé au United States Trade Representa­tive (USTR) de conclure avec le Canada un nouvel accord qui inclurait des « protection­s fortes pour les usines et les emplois américains ». Certains de ces sénateurs sont en réélection et représente­nt des États comptant des producteur­s de bois d’oeuvre.

C’est le cas du sénateur démocrate Ron Wyden de l’Oregon, membre du puissant comité des finances du Sénat. Il est un des deux signataire­s de la lettre envoyée au USTR. Son État pèse pour 18% de la production aux États-Unis, selon l’Oregon Forest& Industries Council.

Des représenta­nts du Congrès demandent aussi au USTR d’intervenir. À ce jour, au moins 41 des 435 élus de la Chambre des représenta­nts ont demandé cette interventi­on, soit environ 10% de l’assemblée.

Aussi, le CIFQ s’attend au pire après l’élection du 8 novembre. Washington nommera un nouveau négociateu­r en chef dans le dossier du bois d’oeuvre – au Canada, ce sera l’ancien ambassadeu­r Raymond Chrétien. Cette nomination devra être approuvée par un Congrès de plus en plus protection­niste.

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Ce bois aura moins de chances de provenir du Canada après les élections du 8 novembre.
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