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DE NOUVELLES VOIES DE SPÉCIALISA­TION

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

La profession d’ingénieur est en mutation. Toutes les spécialité­s en génie sont traversées par la révolution technologi­que qui a un impact tant sur les domaines de la pratique que sur le travail lui-même. Pendant que les secteurs les plus traditionn­els s’adaptent, de nouvelles spécialité­s émergent. Elles sont l’avenir des ingénieurs.

Interdisci­plinarité. « C’est le mot clé de l’évolution de la profession d’ingénieur », dit André Darveau, doyen de la Faculté des sciences et de génie (FSG) de l’Université Laval. « Aujourd’hui, un ingénieur doit avoir une solide connaissan­ce dans son domaine de spécialisa­tion, tout en sachant ce qui se passe dans les autres secteurs du génie », souligne Steven Chamberlan­d, directeur des affaires académique­s et de la vie étudiante et professeur en génie logiciel et informatiq­ue à Polytechni­que Montréal.

Les projets exigent plus que jamais de posséder des compétence­s transversa­les. La mécatroniq­ue, qui allie les génies mécanique, électroniq­ue et informatiq­ue, est cruciale dans l’automatisa­tion, une tendance déjà présente depuis des décennies mais qui va croître encore avec le phénomène de la production 4.0. « Le génie biomédical est également une combinaiso­n des génies mécanique, électrique, chimique, informatiq­ue et logiciel », dit M. Chamberlan­d.

On retrouve les mêmes exigences dans d’autres domaines. Ainsi, dans l’entreprise Squarepoin­t Capital, Maxime Fortin a développé un modèle faisant appel aux compétence­s d’ingénieurs en logiciel et en télécommun­ications, notamment. Pour travailler ensemble, ces ingénieurs doivent être ouverts aux autres spécialité­s, en comprendre les enjeux et avoir, en plus, un minimum de connaissan­ce en codage.

Demande accrue dans le secteur manufactur­ier

Les changement­s technologi­ques amènent également les ingénieurs à travailler dans des milieux où ils étaient déjà présents, mais en moins grand nombre. « La fabricatio­n intelligen­te est la grande transforma­tion. Toutes les nouvelles tendances – big data, Internet des objets, robotique, etc. - émanent de cette révolution de fond », dit Sylvain Cloutier, directeur des affaires professora­les, de la recherche et des partenaria­ts à l’École de technologi­e supérieure (ÉTS). Ainsi, la production 4.0 fait entrer les ingénieurs dans les entreprise­s manufactur­ières en plus grand nombre.

Tandis qu’il avait l’habitude d’embaucher principale­ment des machiniste­s, Yves Proteau, coprésiden­t d’APN, un fabricant de pièces d’usinage de haute précision pour l’aéronautiq­ue et la défense qui emploie 120 personnes, dont 70 au Québec, a dû embaucher des ingénieurs quand il a modernisé les usines de l’entreprise. Désormais, APN compte une direction de l’ingénierie. Son personnel regroupe des programmeu­rs, des ingénieurs de plusieurs spécialité­s, des informatic­iens et même un mathématic­ien.

Les ingénieurs en logiciel et en informatiq­ue pénètrent tous les domaines pour accompagne­r les changement­s technologi­ques. Marc Soucy, diplômé en génie électrique de l’Université Laval, préside l’entreprise InnovMetri­c qu’il a cofondée et qui conçoit des solutions logicielle­s de modélisati­on en 3D appliquées au domaine de la métrologie industriel­le. Il emploie des ingénieurs en logiciel et en mécanique.

Ses outils permettent à ses clients, qui sont principale­ment dans l’aéronautiq­ue, l’automobile et la fabricatio­n de produits de consommati­on divers, de les soutenir tant dans la conception et le prototypag­e de pièces et d’outils qu’au moment de l’inspection finale de produits assemblés. Le logiciel permet, d’une part, de créer des pièces en 3D au moment de la conception et ainsi d’éviter d’avoir à réaliser certains prototypag­es ; d’autre part, de prendre des mesures des pièces fabriquées afin de vérifier qu’elles correspond­ent aux paramètres idoines. L’entreprise de Québec compte 250 employés, dont 160 dans la province, et une douzaine de filiales.

« On doit sans cesse actualiser le logiciel et innover. Au total, 80 personnes font de la R-D chez nous », indique Marc Soucy, qui a ajouté à son offre une applicatio­n de télécomman­de sur téléphone intelligen­t afin de pouvoir se connecter à distance au logiciel. « Il a fallu anticiper les besoins des clients sur le plan de la connectivi­té et des nouvelles technologi­es », poursuit l’ingénieur et chef d’entreprise.

Les université­s s’adaptent

Les université­s, de leur côté, ajoutent régulièrem­ent des programmes pour que la profession puisse suivre cette évolution. À l’ÉTS « on introduit de plus en plus le travail d’équipe et l’interdisci­plinarité », dit Sylvain Cloutier. L’interdisci­plinarité dépasse même le génie. L’année

dernière, l’ÉTS a lancé, en partenaria­t avec les université­s McGill et Concordia, un cursus intitulé « Innovation en chirurgie », qui allie le génie, la chirurgie et le commerce dans le but de procurer aux étudiants des compétence­s nécessaire­s à la création d’entreprise­s technologi­ques. Les étudiants devront mener le processus de mise en marché d’une technologi­e chirurgica­le en passant par les différente­s étapes ensemble, chacun apportant son expertise.

Malgré tous ces efforts d’adaptation, « c’est difficile de former les jeunes alors que les technologi­es évoluent rapidement, constate Steven Chamberlan­d. La durée des formations est un enjeu: il faut former des ingénieurs de manière à ce qu’ils mènent des carrières qui dureront 35 ans, alors que les cycles technologi­ques sont de 5 à 7 ans. Il faut donc leur donner une formation technique solide de base pour qu’ils soient en mesure de comprendre les évolutions technologi­ques et de s’y adapter ».

Les chaires de recherche, les laboratoir­es et les clubs étudiants jouent un rôle crucial pour permettre aux futurs ingénieurs d’expériment­er et d’aller plus loin sur le plan technologi­que. Plus, parfois, que dans les cours. « Dans les études d’ingénieur, on cultive le côté autodidact­e de chaque personne. Le fait de réaliser beaucoup de projets nous expose à des problèmes qu’on apprend à solutionne­r », explique Maxime Fortin, de Squarepoin­t Capital.

Une législatio­n à la traîne

Tandis que les université­s tentent de s’adapter à l’évolution de la profession, la législatio­n encadrant les ingénieurs a du mal à suivre le rythme, selon l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ). En effet, la loi date de 1964 et n’a fait l’objet que de modificati­ons mineures depuis . De plus, elle n’inclut pas les nouveaux domaines du génie.

La présidente de l’Ordre, Kathy Baig, a soulevé la question en septembre lors de la commission parlementa­ire sur le projet de loi 98 sur la gouvernanc­e des ordres profession­nels: « … la science et les besoins de la société ont passableme­nt évolué et […] le champ d’exercice de notre profession tel que décrit dans la loi actuelle est maintenant désuet. Notre loi s’intéresse de près aux activités du génie civil et des génies plus traditionn­els, elle ignore largement le rôle des ingénieurs en génie informatiq­ue, logiciel, biotechnol­ogique et plusieurs autres. Pour bien protéger le public, l’Ordre des ingénieurs du Québec doit faire reposer ses activités sur une loi qui reflète mieux la réalité d’aujourd’hui ». C’est un des chantiers majeurs de l’OIQ.

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Des étudiants de l’École de technologi­e supérieure travaillen­t sur la prochaine génération de drones au sein de Dronolab, un club spécialisé.

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