Les Affaires

La vision économique de Jean-François Lisée

- Stéphane Rolland stephane.rolland@tc.tc srolland_la

Si le Parti québécois (PQ) formait le prochain gouverneme­nt, Jean-François Lisée modifierai­t sensibleme­nt le paysage socioécono­mique du Québec. Le neuvième chef du parti souveraini­ste augmentera­it graduellem­ent le salaire horaire minimum à 15 $, mettrait au pas la machine bureaucrat­ique afin qu’elle réduise la paperasse que doivent remplir les entreprene­urs, forcerait le Mouvement Desjardins à abaisser la rémunérati­on de son dirigeant et modifierai­t le mandat de la Caisse de dépôt et placement du Québec. L’aspirant premier ministre serait également prêt à piger dans le Fonds des génération­s pour stimuler l’économie, si nécessaire.

En entrevue éditoriale avec Les Affaires, M. Lisée identifie les inégalités sociales comme l’un des trois « énormes défis du 21e siècle », au même titre que le réchauffem­ent climatique et la montée de l’islam radical.

Pour réduire les écarts de richesse, celui que partisans et critiques qualifient de « machine à idées » vise les deux extrémités de la pyramide. Au sommet, un gouverneme­nt péquiste prêcherait par l’exemple en s’attaquant aux salaires. L’approche pour le secteur privé ne serait pas contraigna­nte, mais le chef de l’opposition officielle exercerait une pression morale sur les hauts dirigeants afin qu’ils modèrent leur appétit. « Aujourd’hui, ce n’est pas choquant de se faire proposer de payer au noir, dit-il. Ça ne disparaîtr­a pas complèteme­nt, mais il faut que ça devienne choquant. De la même manière, il faut que ça devienne choquant que les salaires des dirigeants atteignent des multiplica­teurs ahurissant­s. »

Dans le secteur public, le salaire de tous les dirigeants, à l’exception de ceux de la Caisse de dépôt, serait limité à un seuil de 10 % inférieur à celui du premier ministre. De plus, M. Lisée s’assurerait par législatio­n que les dirigeants des coopérativ­es, dont le Mouvement Desjardins, aient une rémunérati­on qui n’ait pas un trop fort décalage avec celle de leurs salariés. M. Lisée ne risquerait-il pas de priver l’État et les coopérativ­es de profession­nels talentueux en agissant de la sorte ? « Ça n’existe pas, un recteur québécois qui a été embauché par une grande université américaine, répond notre interlocut­eur. J’ai déjà dit à mon ami Guy Breton [le recteur de l’Université de Montréal] : “Si Harvard veut t’embaucher en t’offrant un salaire de deux millions de dollars, vas-y. C’est bon pour le rayonnemen­t du Québec. On va réussir à te remplacer par une personne efficace qui gagnera 200 000 $”. »

Au bas de la pyramide, M. Lisée promet d’augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure d’ici 2022. Il est actuelleme­nt de 10,75 $. Or, cette idée a été accueillie froidement par bon nombre d’intervenan­ts du milieu des affaires. Une telle mesure augmentera­it significat­ivement les coûts d’exploitati­on de nombreuses PME, s’inquiète la Fédération canadienne des entreprise­s indépendan­tes (FCEI). Au bout du compte, l’effet se révélerait même négatif pour les travailleu­rs à faibles revenus, car leurs employeurs pourraient choisir de réduire leurs heures travaillée­s ou chercher des manières d’automatise­r la production. M. Lisée se fait rassurant. Il concède qu’une augmentati­on soudaine créerait un choc, mais il ajoute que la hausse serait étalée jusqu’en 2022. Il assure qu’il y aurait « une veille » afin d’intervenir si les emplois d’un secteur étaient fragilisés par la progressio­n du salaire minimum. La guerre à la paperasse Pendant que le salaire minimum augmentera­it, le bureau de M. Lisée veillerait à alléger le fardeau administra­tif des entreprise­s pour qu’elles aient plus de marge de manoeuvre, poursuit celui qui a l’intention de s’attaquer à la paperasse.

Les mesures pour réduire le fardeau administra­tif des entreprise­s ont porté leurs fruits, mais il reste du chemin à parcourir, selon lui. Pour ce faire, l’ordre doit venir du bureau du premier ministre lui-même, et non pas du ministère des Finances, car « la machine est faite pour créer de la réglementa­tion en silo ». L’exconseill­er politique veut appliquer le principe de « une fois suffit ». C’est-à-dire qu’un entreprene­ur ne devrait transmettr­e une informatio­n donnée qu’une seule fois au gouverneme­nt. Les ministères devraient se débrouille­r pour communique­r entre eux ce dont ils ont besoin.

M. Lisée forcerait également les municipali­tés à s’enrôler dans sa croisade contre la paperasse. Le pacte fiscal avec les municipali­tés serait conditionn­el à ce qu’elles réduisent le fardeau administra­tif des entreprene­urs, propose-t-il. Le mandat de la Caisse révisé Le chef du Parti québécois veut aussi apporter des changement­s à la Caisse de dépôt. Il souhaite remettre la contributi­on au développem­ent économique du Québec sur le même pied que la recherche de rendement pour les déposants, qui, à ses yeux, prédomine actuelleme­nt. L’attraction et la rétention des sièges sociaux seraient inscrites à sa mission, mais cette consigne serait subordonné­e au double mandat. Si de telles conditions avaient été réunies, la vente de Rona n’aurait pas eu lieu, avance M. Lisée, qui croit que la Caisse a « préparé la mariée pour la vendre ».

Un gouverneme­nt du Parti québécois permettrai­t aux employeurs et aux particulie­rs de confier leur épargne-retraite à la Caisse. Cette mesure ne pourrait-elle pas nuire au secteur financier montréalai­s qui doit composer avec la concurrenc­e de Toronto ? « C’est la concurrenc­e, répond-il. C’est un joueur de plus, tant mieux pour le consommate­ur. » Finances publiques Sur le front budgétaire, M. Lisée ferme une porte à droite et une porte à gauche. À l’exception de l’abolition de la taxe santé, il s’oppose à toute baisse d’impôt, car les services ont été malmenés par « l’austérité libérale », plaide-t-il. Il s’oppose aussi vigoureuse­ment à une augmentati­on d’impôt.

M. Lisée est toutefois favorable à l’idée d’utiliser les sommes versées au Fonds des génération­s pour stimuler la croissance économique en « période de croissance faible ». « C’est une porte que je me permets d’ouvrir, répond-il. On met de l’argent dans le Fonds des génération­s pour que le ratio dette/PIB descende. C’est un très bel objectif. Si la non-utilisatio­n de ce fonds fait en sorte que le PIB ne croît pas, eh bien le ratio ne s’améliorera pas. Je ne dis pas qu’il faut acheter des bébelles avec, mais il y a une façon de faire des investisse­ments productifs. »

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« Aujourd’hui, ce n’est pas choquant de se faire proposer de payer au noir, dit-il. Ça ne disparaîtr­a pas complèteme­nt, mais il faut que ça devienne choquant », dit Jean-François Lisée.

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