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Personnali­té internatio­nale

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | diane_berard

Diane Bérard interviewe Doris Leuthard, vice-présidente de la Confédérat­ion suisse

Personnali­té internatio­nale —

DIANE BÉRARD – Quel est le mandat du vice-président de la Confédérat­ion suisse? DORIS LEUTHARD

– Notre gouverneme­nt compte sept ministres nommés pour un mandat de quatre ans renouvelab­le. Je suis l’un d’eux. Je suis responsabl­e de l’environnem­ent, des transports, de l’énergie et de la communicat­ion. Parmi les sept ministres, nous élisons un président et un vice-président. Ceux-ci conservent leur ministère. Ils dirigent aussi les séances du Conseil fédéral.

D.B. – Le vice-président devient-il automatiqu­ement président lorsque ce dernier termine son mandat? D.L.

– C’est le parlement qui élit le président. En principe, le vice-président devient président. Donc, si tout va bien, je deviendrai présidente de la Confédérat­ion suisse en 2017 pour une période d’un an.

D.B. – Vous avez dirigé le Départemen­t fédéral de l’économie de 2006 à 2010, soit pendant la crise financière. Parlez-nous de cette époque. D.L.

– Nous avons développé le commerce internatio­nal et nous sommes intervenus dans le secteur financier. Pour ce qui est du commerce, nous avons étendu notre réseau d’accords de libre-échange. J’ai signé, entre autres, l’accord de libre-échange avec le Canada en 2009. En ce qui concerne le secteur financier – nous sommes la 7e place financière du monde, cela représente 11% de notre PIB –, nous avons offert un crédit intermédia­ire à UBS pour lui permettre de sortir les actifs toxiques de son portefeuil­le en les plaçant dans une bad bank [structure de défaisance]. Au bout de trois ans, UBS a normalisé sa situation. De plus, le gouverneme­nt suisse a tiré un profit de ce crédit. Toujours du côté du secteur financier, nous avons mis fin au secret bancaire en implantant l’échange automatiqu­e d’informatio­n pour les clients internatio­naux ayant des comptes en Suisse. Cela s’appliquera aux Canadiens à partir de janvier 2017. Le ministère des Finances du Canada sera informé de tout ce qui touche les biens des Canadiens en Suisse. Ce qu’il fera de cette informatio­n lui appartient.

D.B. – Le gouverneme­nt Couillard a choisi de ne pas avoir de politique globale d’innovation. La Suisse aussi. Expliquez-nous votre choix. D.L.

– Ce n’est pas le rôle de l’État de décider du secteur économique à pri- vilégier. Comme État, nous investisso­ns plutôt dans la recherche et la formation. Nous allouons 3% de notre PIB à ces activités, soit presque le double du Canada. La recherche se déroule surtout dans les université­s. Nous les finançons, et elles décident à quelles recherches affecter ces sommes. Ce serait une erreur que le politique dicte les thèmes des travaux de recherche.

D.B. – Le Forum économique mondial vous donne raison. Il explique en partie votre titre d’économie la plus concurrent­ielle du monde par la qualité de vos établissem­ents de recherche, vos dépenses en R-D et la collaborat­ion entre le milieu universita­ire et le secteur privé... D.L.

– En effet, pour la 7e année consécutiv­e, le « Global Competitiv­eness Report place la Suisse à la tête de son classement [le Canada se classe au 15e rang]. Mais il n’y a pas que la recherche et l’innovation. Il faut aussi citer notre réseau d’accords de libre-échange. Puis la souplesse et l’efficacité de notre marché du travail. Nous avons établi un partenaria­t social avec les syndicats. Cela nous permet d’équilibrer la protection des employés et les besoins des entreprise­s. Citons aussi nos infrastruc­tures de qualité – routes, rails, électricit­é, numérique – qui favorisent les affaires.

D.B. – Votre PIB par habitant est bien plus élevé que celui du Canada [80675$ US par rapport à 43332$ US]. Est-ce vos machines ou vos gens qui travaillen­t plus fort? D.L.

– On a toujours travaillé un peu plus que nos voisins, la France et l’Allemagne, par exemple. Les heures de travail par semaine sont plus élevées.

D.B. – Le gouverneme­nt suisse investit-il davantage dans des secteurs à valeur ajoutée, ce qui expliquera­it son PIB élevé par habitant? D.L.

– Nous n’avons pas de politique de l’innovation et nous n’avons pas de politique industriel­le. Cela nous sert très bien. La politique ne sait jamais où l’on gagne de l’argent. Seules les entreprise­s le savent. Comme gouverneme­nt, nous créons des conditions favorables – fiscalité, marché du travail, formation, etc. – afin que les entreprise­s puissent offrir leur meilleure performanc­e.

D.B. – Le gouverneme­nt français est actionnair­e d’EDF et d’Areva, deux importants producteur­s d’énergie. Comme ministre de l’Énergie, vous estimez que ce n’est pas un bon choix. Pourquoi? D.L.

– En participan­t au capital d’une entreprise, l’État en assume les risques. Or, la chute des prix de l’énergie et la baisse de popularité du nucléaire mettent l’État français dans une position inconforta­ble. Il ne devrait pas avoir à supporter un tel risque. Cela relève de la responsabi­lité des entreprise­s.

D.B. – Votre taux de chômage se situe à 3,3%, celui du Canada, à 7%. Pourtant, c’est en Suisse que s’est tenu le débat sur le revenu minimum garanti... D.L.

– Cette propositio­n a été rejetée, de même que tous les référendum­s portant sur l’instaurati­on de six semaines de vacances par année.

D.B. – Pourquoi votre taux de chômage est-il si faible? D.L.

– Le système d’éducation ne favorise ni ne valorise uniquement la formation universita­ire. Près de 70% de nos jeunes suivent une formation profession­nelle. Notre système d’éducation se soucie de ce que tous les jeunes reçoivent une formation permettant de trouver une place sur le marché sur travail. Ils peuvent débuter par une formation profession­nelle et choisir ensuite d’aller à l’université. Mais il est essentiel que chacun ait d’abord une formation qui mène à un emploi.

D.B. – Les femmes sont sousreprés­entées dans l’économie suisse par rapport à d’autres économies avancées. Pourquoi? D.L.

– En effet, l’intégratio­n des Suissesses au marché du travail n’est pas optimale. Peut-être parce qu’en Suisse, un ménage peut très bien vivre avec un seul salaire. Cela atténue la pression sur les femmes pour qu’elles retournent travailler après être devenues mères. De plus, les infrastruc­tures de garde d’enfants ne sont pas très développée­s ou sont très coûteuses.

D.B. – Pourquoi la Suisse a-t-elle laissé tomber sa demande d’adhésion à l’Union européenne? D.L.

– Nous sommes heureux de faire partie du continent européen et de son histoire. Nous sommes peut-être plus Européens que certains membres de l’Union européenne. Mais nous ne souhaitons pas une intégratio­n institutio­nnelle. Nous sommes un pays fédéralist­e où les États membres possèdent beaucoup de compétence­s. Rejoindre l’Union européenne signifie accepter ce que Bruxelles veut.

D.B. – Les Chinois ont commencé à investir en Suisse... D.L.

– Ils aiment notre situation géographiq­ue en Europe. Et puis, ils sont attirés par notre technologi­e et nos innovation­s. Nous sommes prudents. Nous avons toutefois déterminé des secteurs stratégiqu­es que nous ne laisserons pas aller, les infrastruc­tures de base : rails, réseau électrique, aéroports...

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