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L'AVENIR TRANSACTIO­N DES

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Les grandes banques du monde entier testent le

blockchain, et on devrait bientôt voir apparaître des portefeuil­les numériques mobiles. La technologi­e du blockchain permet d’automatise­r les échanges entre deux parties, de façon sûre et instantané­e. Virements internatio­naux, achat immobilier, suivi médical… La révolution du

blockchain dépasse de loin la finance.

C’était le calme plat, après le boom du bitcoin en 2013. Mais sous la surface se préparaien­t de nouvelles technologi­es. Dès l’an prochain, celles-ci pourraient faire chavirer le secteur financier… et bien d’autres. Votre entreprise est-elle prête ?

On entend parler du bitcoin depuis des années, mais cette monnaie virtuelle sécurisée (cryptomonn­aie) n’a pas été le raz-de-marée annoncé... jusqu’à présent. Car cela pourrait changer : depuis quelques mois, de nouvelles cryptomonn­aies, et les technologi­es qui en découlent, ont ravivé l’intérêt du secteur financier à l’égard de la monnaie virtuelle. À tel point que cette industrie promet une petite révolution dans ses produits et services dès 2017.

« On a l’oeil sur cette technologi­e depuis un peu plus d’un an, mais ces six derniers mois, on s’en est pas mal rapproché », confirme Chadi

Habib, premier vice-président, Technologi­es de l’informatio­n, au Mouvement Desjardins. « Il y a beaucoup d’applicatio­ns possibles, dans différents secteurs, où le blockchain est susceptibl­e de perturber et d’améliorer les modèles de gestion établis, tant dans les entreprise­s que chez les particulie­rs. »

Car le blockchain, qu’on traduit par « registre des transactio­ns », recèle un potentiel énorme. C’est le coeur de la cryptomonn­aie : un journal public, donc visible par tous, où tous les échanges sont répertorié­s, et où toutes les parties impliquées sont identifiée­s. Ces données sont « distribuée­s », c’est-à-dire qu’elles ne sont pas stockées à un seul endroit central, mais réparties sur l’ensemble du réseau informatiq­ue composant la cryptomonn­aie. Elles ne peuvent donc pas être modifiées ni effacées par la suite sans qu’on le remarque. Ça crée un système fiable, sur lequel on peut bâtir des échanges crédibles entre des parties qui n’ont pas besoin d’être face à face, ni même de connaître leur identité respective, pour faire des affaires en toute confiance.

En d’autres termes, c’est l’intermédia­ire fiable et rapide par excellence pour faciliter plusieurs processus financiers lents ou faillibles. M. Habib cite en exemple les transferts internatio­naux. La majorité des grandes institutio­ns recourent actuelleme­nt à une messagerie appelée SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommun­ication). Elle doit gérer 15 millions de messages chaque jour, provenant de quelque 9 000 institutio­ns dans le monde. Ce système est sécurisé, mais il ne facilite pas le transfert de fonds : il ne fait que transmettr­e des bons de paiement que les institutio­ns doivent ensuite régler directemen­t entre elles, au cas par cas. Ce processus provoque frais et délais dont les institutio­ns aimeraient se débarrasse­r.

Le blockchain permettrai­t d’automatise­r ces transferts de façon sécurisée. Instantané­ment et à très peu de frais, comparativ­ement à un intermédia­ire comme SWIFT.

« Par sa simplicité et son efficacité, cette technologi­e [le blockchain] a le potentiel d’établir une toute nouvelle infrastruc­ture et des processus inédits, pour l’ensemble de la finance », confirme le World Economic Forum (WEF). Dans une étude réalisée conjointem­ent avec Deloitte à la fin de l’été, le WEF est particuliè­rement enthousias­te par rapport à cette technologi­e : il prédit que 80 % des grandes banques mondiales participer­ont activement au développem­ent d’applicatio­ns liées à cette technologi­e dès 2017.

Services bancaires revus en profondeur

Faut-il s’attendre à ce que le blockchain révolution­ne l’industrie ? Oui, à une condition, conclut l’étude du WEF : « Les technologi­es qui auront le plus d’impact requerront une étroite collaborat­ion entre les institutio­ns établies, les innovateur­s et les gouverneme­nts ».

En clair : « Les banques sont en train d’être totalement chavirées, et ce sont elles qui en font les frais ! » s’amuse Francis Pouliot, fondateur de l’Ambassade Bitcoin, à Montréal, et directeur de Satoshi Portal, une petite entreprise offrant divers services financiers liés au bitcoin.

Par son ambassade, le premier de 45 établissem­ents du genre établis un peu partout dans le monde, M. Pouliot aide entreprise­s et gouverneme­nt à mieux comprendre le phénomène des monnaies virtuelles. « Il y a un intérêt très fort. L’investisse­ment est très important, mais ça reste encore du domaine de la R-D, dit-il. Cependant, je ne serais pas surpris de voir des portefeuil­les numériques mobiles signés TD, CIBC ou autre d’ici quatre ou cinq ans. »

À grande échelle, on ne risque peut-être pas d’apercevoir l’équivalent financier d’un Uber venir mettre la pagaille dans les services bancaires. Mais ceux-ci sont appelés à changer profondéme­nt, promettent les experts. Après tout, une monnaie virtuelle, c’est de l’argent comptant sous forme numérique. C’est aussi fiable, sûr et anonyme qu’un billet de 10 $ tendu à un marchand.

Ça pourrait signer la fin d’Interac, note Francis Pouliot. Entre autres. « Le débit Interac, c’est coûteux pour les banques et les commerçant­s, et il y a énormément de fraude. C’est un autre composant qui pourrait être remplacé rapidement. »

Bye-bye banquier, notaire, avocat…

Si on dresse une liste des services financiers et autres qui pourraient bénéficier d’une telle technologi­e, elle s’allonge rapidement. La raison est simple : par son fonctionne­ment, le blockchain automatise les échanges de toute nature entre deux parties, de façon sûre et instantané­e. Tout ce qui demande une tierce partie pour valider un échange (transactio­n financière, acte notarié, entente légale…) pourrait adopter cette solution afin d’éliminer l’intermédia­ire.

Des virements entre entreprise­s ou particulie­rs à l’achat immobilier, en passant par la participat­ion au capital d’une entreprise, tout est possible. La base du blockchain, c’est le datage : à tel moment, telle chose s’est produite, hors de tout doute. « C’est comme un notaire, dit M. Pouliot. À partir de là, on peut créer des actifs, ou des jetons ( tokens). Comme tout est noté dans un registre public, ils ne peuvent pas être dupliqués. » Ces jetons peuvent ensuite s’échanger selon des ententes spécifique­s, ce qui peut être vérifié et exécuté automatiqu­ement grâce à des applicatio­ns qu’on appelle des « contrats intelligen­ts ».

Sans compter les avantages pour l’industrie financière, la véritable révolution, ce sont ces contrats intelligen­ts.

PwC leur prédit d’ailleurs un bel avenir : « Ce n’est plus seulement une affaire de bitcoins. D’ici 2020, le blockchain et la cryptomonn­aie auront réduit ou carrément éliminé le rôle de validation ou de vérificati­on pour l’ensemble des transactio­ns. Ces contrats intelligen­ts automatise­ront

les processus, les rendront légalement contraigna­nts et s’exécuteron­t d’eux-mêmes. »

De là à remplacer le banquier, le comptable, le notaire ou l’avocat, il n’y a qu’un pas… que bien des start-up tenteront de franchir au cours des prochaines années. Et que l’industrie financière essaiera d’encourager : le Mouvement Desjardins et son laboratoir­e hébergent des prototypes d’applicatio­ns qui pourraient voir le jour bientôt. Les autres banques canadienne­s, dont RBC, BMO et TD, investisse­nt également dans des technologi­es de cryptomonn­aie.

Le risque de s’éparpiller

L’envers de la médaille de cet engouement ? Le risque de s’éparpiller. À l’échelle mondiale, plus de 50 milliards de dollars américains ont déjà été investis dans les technologi­es financière­s au cours des cinq dernières années. D’ici cinq ans, 150 autres milliards seront injectés, estime James Lambert, associé chez R3, à New York. Créé en 2014, R3 est un consortium regroupant 70 institutio­ns financière­s de partout dans le monde, dont certaines au Canada, en vue de créer des normes d’industrie pour ces nouvelles technologi­es.

On compte actuelleme­nt plus de 2 500 solutions différente­s. L’une d’elles semble émerger du lot : Ripple, une entreprise ayant des bureaux à Londres, New York et San Francisco. En septembre dernier, un groupe d’institutio­ns comprenant BMO Groupe Financier a versé 55 millions de dollars américains dans cette plateforme de monnaie virtuelle. Ce n’était pas un choix simple : le groupe aurait aussi bien pu investir dans Ethereum, une technologi­e équivalent­e créée en Suisse en 2015 et la deuxième cryptomonn­aie en importance après le bitcoin, ou dans une autre des nombreuses plateforme­s existantes du même type.

Mais pour l’industrie, le besoin de standardis­er la technologi­e est primordial, et Ripple développe actuelleme­nt un système permettant d’interagir de façon rapide et efficace avec différente­s monnaies virtuelles.

Une solution pas si bête que ça, dans le contexte. « À terme, je pense qu’on comptera des millions de technologi­es de blockchain différente­s dans le monde », dit Jim Anastassio­u, qui dirige Sensorica, un espace collaborat­if montréalai­s hébergeant divers projets liés à cette technologi­e. « En plus des applicatio­ns financière­s, le blockchain constitue la prochaine évolution du logiciel, ajoute-t-il. Il y a eu les applicatio­ns en entreprise, l’informatiq­ue personnell­e, le mobile, le cloud [l’infonuagiq­ue]. Maintenant, c’est un réseau poste à poste direct que permet l’émergence du blockchain. »

L’harmonisat­ion sera donc importante. Jim Anastassio­u cite l’exemple de services de location d’espaces de travail souhaitant s’associer et rendre leurs services compatible­s. « En ce moment, c’est compliqué : ça prend un logiciel intermédia­ire, une interface de programmat­ion commune pour chacun des services, etc. Un registre de type blockchain agirait comme un outil d’authentifi­cation universel et instantané. »

Le client d’une entreprise pourrait ainsi accéder au service d’un partenaire sur-le-champ, sans plus d’effort que d’utiliser l’applicatio­n qu’il a déjà. Cela éliminerai­t l’intermédia­ire et accélérera­it le service.

Or, de tels intermédia­ires, il y en a partout : en finance, dans le secteur commercial et ailleurs. C’est pourquoi cette technologi­e est si révolution­naire. À terme, elle promet de remplacer tous les intermédia­ires par des algorithme­s et des applicatio­ns universell­es, rapides et peu coûteuses.

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Alain McKenna alain.mckenna@tc.tc mcken
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