Les Affaires

LE MEILLEUR PDG DU MONDE NE GARANTIT PAS LE MEILLEUR RENDEMENT

Investir dans le meilleur pdg du monde ou dans l’entreprise jugée comme étant la plus solide du moment n’est pas un gage de rendements élevés en Bourse dans le futur.

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | Clerouin_Inc

Ce n’est pas parce que son pdg est considéré comme le meilleur gestionnai­re du monde pour la deuxième année consécutiv­e et qu’il figure parmi ceux ayant offert les rendements boursiers les plus élevés des 15 dernières années qu’une entreprise représente une occasion d’achat incontourn­able. Le passé est loin d’être garant l’avenir, et en voici une preuve éloquente.

Pour la deuxième année de suite, le magazine Harvard Business Review (HBR) a accordé à Lars Rebien Sørensen, président et chef de la direction de la pharmaceut­ique danoise Novo Nordisk ( NVO, 35,66 $ US), le titre de meilleur pdg du monde.

Je consulte toujours avec un grand intérêt l’édition de novembre de la très sérieuse publicatio­n affiliée à l’Université Harvard, afin notamment de dénicher de nouvelles idées de placement.

J’avais dans ma ligne de mire le titre de Novo Nordisk depuis des années, en raison de sa performanc­e financière exceptionn­elle. Le bénéfice par action de cette entreprise spécialisé­e dans les traitement­s contre le diabète est passé de 0,11$ US en 2000 à 1,98$ US en 2015, selon les données de Value Line. Cela représente une croissance annuelle composée supérieure à 21%. Au cours de cette période, la valeur du titre a été multipliée par plus de 20 fois. L’évaluation généreuse que lui accordait le marché m’en a toutefois toujours tenu à l’écart.

De revoir M. Sørensen à la tête du classement du magazine HBR pour la deuxième année d’affilée a donc attisé encore plus ma curiosité. Les choses continuent de bien aller pour Novo Nordisk, me suis-je dit en parcourant le palmarès. C’est sans doute le même réflexe qu’aura l’investisse­ur qui ne connaît pas l’entreprise au moment où il consulte ce top 100 des pdg mondiaux pour la première fois. « Cette pharmaceut­ique a le vent dans les voiles, je la place sur ma liste d’occasions d’achat », peut-il se dire après sa lecture.

Un pdg qui partira deux ans plus tôt que prévu

Or, en creusant un peu, on constate vite que la société dirigée par le « meilleur pdg du monde » vient de se heurter à un mur. Le titre de Novo Nordisk a perdu près de 20% de sa valeur en août, les investisse­urs craignant qu’elle soit incapable de maintenir son pouvoir de fixation des prix et sa position concurrent­ielle dominante. Puis, au début de septembre, le conseil d’administra­tion a décidé d’écourter le mandat de son pdg-vedette. M. Sørensen va prendre sa retraite en décembre, deux ans plus tôt que prévu. Pourtant, dans le rapport annuel de 2015 publié il y a quelques mois, le conseil écrivait que M. Sørensen était l’homme de confiance jusqu’en 2019.

Au moment de rédiger cette chronique, le 28 octobre, l’action de la multinatio­nale danoise perdait encore 15%, après avoir réduit ses prévisions de croissance des ventes à long terme, ainsi que ses anticipati­ons de revenus et de bénéfices pour l’exercice en cours.

Ayant profité de la hausse régulière du prix de l’insuline aux États-Unis pendant de nombreuses années, Novo Nordisk et ses rivales sont forcées de diminuer ou de maintenir leurs tarifs par les puissants intermédia­ires qui négocient l’achat de médicament­s pour le compte d’employeurs et d’assureurs. En fait, un peu partout dans le monde, Novo doit composer, comme l’ensemble du secteur pharmaceut­ique, avec une pression croissante de la part des gouverneme­nts et d’autres entités qui paient les médicament­s. Du coup, elle a freiné le développem­ent d’une version orale d’un traitement à l’insuline qui devait lui donner un nouvel élan de croissance.

De premier de classe à élève ordinaire en un clin d’oeil

Projetons-nous en novembre 2017. La dernière édition du classement des meilleurs pdg de la planète de HBR est publiée. On ne retrouve pas le patron de Novo Nordisk dans le top 5 de ce classement. De premier de classe qu’il était, il deviendra probableme­nt un élève ordinaire. Heureuseme­nt, il prend sa retraite à la fin de l’année. Son successeur, lui, peinera certaineme­nt à rééditer les exploits passés de l’entreprise fondée il y a 93 ans.

Bien qu’elle reste un chef de file de l’insuline avec une part de 47% du marché mondial, Novo Nordisk est très dépendante d’un nombre restreint de traitement­s contre le diabète.

Les palmarès, à l’instar de celui de HBR, des sociétés en plus forte croissance ou des pdg de l’année, peuvent constituer un point de départ dans votre quête de nouvelles occasions de placement. Mais l’investisse­ur doit être encore plus critique que d’ordinaire dans son analyse lorsqu’il est question des étoiles du moment.

L’histoire regorge en effet d’exemples d’entreprise­s qui sont rapidement tombées de leur piédestal après avoir figuré à la tête de classement­s ou aux sommets en matière de capitalisa­tion boursière.

Michael Pearson, ex-président et chef de la direction de Valeant ( VRX, 27,21$), occupait le huitième rang du classement de HBR en 2014. La pharmaceut­ique établie à Laval était devenue en peu de temps la principale capitalisa­tion boursière de la Bourse de Toronto, devant la Banque Royale ( RY, 83,72$), en juillet 2015. De même, Potash Corp ( POT, 22,06$), Black-Berry ( BB, 9,51$) et Encana ( ECA, 13,41$) ont toutes connu une descente aux enfers après avoir trôné au sommet de la Bourse de Toronto.

Je me souviens aussi d’un cas qui a hanté certains collègues de Les Affaires. Quelques mois après avoir nommé Molson entreprise de l’année à l’été 2003, le titre s’est mis à chuter en raison des problèmes qu’éprouvait l’entreprise avec son acquisitio­n au Brésil.

Le livre De la performanc­e à l’excellence, de Jim Collins, publié en 2001, mettait en vedette des entreprise­s qui se démarquaie­nt par leur performanc­e financière. Plusieurs des 11 entreprise­s ciblées par M. Collins à l’époque sont disparues ou ont vu leur étoile pâlir.

Investir dans le meilleur pdg du monde ou dans l’entreprise jugée comme étant la plus solide du moment n’est pas un gage de rendements élevés en Bourse dans le futur. Gardez en tête que l’ascension des entreprise­s peut reposer sur un contexte favorable qui prévalait dans le passé, mais qui peut vite changer. Novo Nordisk nous en donne un excellent exemple.

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