Les Affaires

Établir un pont entre les jeunes et les banques

Les institutio­ns financière­s rejoignent mal les milléniaux. Encore moins ceux issus des communauté­s culturelle­s. Ramona Ortega – diplômée en communicat­ion, service social et droit – a imaginé une fintech qui fait le pont entre les milléniaux et les instit

- — Ramona Ortega, fondatrice, My Money My Future

Avec My Money My Future, Ramona Ortega veut éduquer les milléniaux en matière de services financiers.

DIANE BÉRARD – Quels sont les services offerts par votre plateforme? RAMONA ORTEGA

– Nous fournisson­s de l’informatio­n financière et des outils de gestion de finances personnell­es aux milléniaux en général, et en particulie­r à ceux qui proviennen­t des communauté­s afro-américaine et latino.

D.B. – Quelle est votre mission? R.O.

– Nous voulons contribuer à combler le fossé financier lié à la race. Lors de la crise financière de 2008, les foyers afro-américains et latinos ont vu la valeur de leurs actifs fondre de moitié. Pourquoi? Entre autres parce que leur portefeuil­le n’était pas assez diversifié. Faute de connaissan­ce des produits financiers, ils ont tout misé sur l’immobilier.

D.B. – Le débat autour d’une hausse importante du salaire minimum est très animé. Pour vous, ce n’est qu’une solution parmi d’autres pour combattre les inégalités. R.O.

– En effet, de nombreux gestes sont suggérés, et posés, pour réduire les inégalités. Un salaire minimum décent en fait partie. Mais si on n’y greffe pas des mesures concrètes, immédiates et accessible­s de littératie financière, ce revenu supplément­aire ne permettra pas à ceux qui vont en bénéficier d’améliorer leur sort de façon durable. À quoi bon hausser le salaire minimum si on n’apprend pas aux gens à acheter des produits d’assurance pour protéger leur nouvelle richesse et à mettre de l’argent de côté pour la retraite? N’oublions pas que le monde a changé, les travailleu­rs sont de plus en plus responsabl­es de leurs revenus de retraite.

D.B. – Vous divisez le contenu de votre plateforme en quatre sections: apprendre, planifier, croître et profiter. Pouvez-vous nous en dire davantage? R.O.

– Apprendre le langage financier pour ne plus être intimidé. Planifier, c’est-à-dire s’organiser. Déterminer ses besoins. Croître, c’est-à-dire investir. Maximiser ses avantages fiscaux aussi, si on est travailleu­r autonome, par exemple. Quant à la section « profiter », elle invite à explorer sa relation à l’argent. Comment parler de retraite et de testament avec ses parents. Comment parler de partage des dépenses avec son conjoint ou sa conjointe. Mais aussi comment profiter de son argent au maximum. Organiser un mariage ou un voyage sans se ruiner, par exemple.

D.B. – Quel type de contenu est le plus populaire sur votre plateforme? R.O.

– Tout texte qui contient le mot « rêve ». Notre public cible est jeune, il a des ambitions, des projets et des aspiration­s. Il compte sur nous pour l’aider à les réaliser.

D.B. – Votre contenu est gratuit, d’où tirez-vous vos revenus? R.O.

– Nous recevons des redevances de la part d’institutio­ns financière­s dont le nom figure au bas de nos pages. Lorsque vous terminez la lecture d’un texte d’informatio­n, vous trouvez des liens vers des institutio­ns qui peuvent vous aider à passer à l’action. L’an dernier, aux États-Unis, les institutio­ns financière­s ont dépensé 17 milliards de dollars américains en publicité sur des sites comme le nôtre. Notre défi consiste donc à obtenir un taux de conversion élevé de la part de nos lecteurs. Notre contenu doit être suffisamme­nt clair et attirant pour leur donner envie d’entamer une démarche de gestion de leurs finances personnell­es.

D.B. – Votre start-up est une pure fintech. Quelle relation entretenez­vous avec les institutio­ns financière­s, amies ou ennemies? R.O.

– Nous sommes amies. Les institutio­ns financière­s ne sont pas naïves. Elles reconnaiss­ent que le marché des milléniaux leur pose un défi. Elles peinent à l’atteindre. Les milléniaux ne font pas confiance aux banques. Ils ont grandi à l’ombre de la crise financière. Cela a été leur premier contact avec ce secteur. Par contre, ils accordent de la crédibilit­é au contenu qu’ils trouvent en ligne. Pour eux, Internet est une source naturelle d’informatio­n. Et puis, ils ne sentent pas le besoin d’une rencontre face à face avec un conseiller. Tout cela procure un avantage aux fintech comme la nôtre. Les institutio­ns financière­s le savent, ce qui explique qu’elles se rapprochen­t des fintech.

D.B. – Comment votre plateforme collabore-t-elle avec les institutio­ns financière­s? R.O.

– La relation est à définir. Nous en sommes à explorer ce que chacun peut apporter à l’autre. Ainsi, j’ai donné un atelier sur la création de contenu à un groupe chez American Express. J’ai expliqué comment élaborer une stratégie de création de contenu efficace. Éventuelle­ment, les institutio­ns financière­s pourraient nous sous-traiter leur contenu de finances personnell­es qui s’adresse aux milléniaux. En fait, nous pourrions développer un contenu de littératie financière pour les milléniaux en général, avec une partie destinée aux différente­s communauté­s culturelle­s, que nous fournirion­s en marque blanche [ white label] – notre nom n’apparaîtra­it nulle part – à diverses institutio­ns financière­s.

D.B. – Pouvez-vous nous donner un exemple? R.O.

– La société d’investisse­ment Fidelity a développé un programme de bienêtre financier destiné à ses employés. Ce programme inclut de nombreux micro-sites, dont un pour les milléniaux. La réalité, c’est que peu d’entre eux auront le réflexe de visiter le site de Fidelity. Ça ne leur ressemble pas. Il faut leur offrir une autre porte d’entrée. C’est la fonction que remplit un site comme le nôtre. En fait, je nous vois comme le service de marketing des institutio­ns financière­s lorsqu’il est question de la clientèle des milléniaux. Nous sommes le pont qui mène la génération du millénaire vers le secteur financier.

D.B. – Pourquoi avez-vous choisi le secteur de la littératie financière? R.O.

– Ma famille a émigré aux États-Unis il y a trois génération­s. Notre situation financière a toujours été précaire. Nous avons toujours travaillé, mais nous ne nous sommes jamais enrichis [ working poor]. Je suis la première diplômée de l’université. Cette connaissan­ce doit servir à ma communauté. J’ai d’abord travaillé en service social et du côté des droits de l’homme. Puis, je me suis rendu compte que, pour que mon action porte, pour que mes solutions contribuen­t vraiment à réduire les inégalités, il fallait que je découvre ce qui influence la richesse et la pauvreté. Cela supposait comprendre le fonctionne­ment des marchés et de l’économie. J’ai donc étudié en droit, avec une spécialisa­tion en droit des entreprise­s. C’est cette combinaiso­n d’expertise qui m’a menée à lancer My Money My Future. En fait, je suis revenue aux racines de mon action en droits de la personne, avec des connaissan­ces supplément­aires pour proposer des solutions.

D.B. – Nous assistons à la montée des robots conseiller­s. Assisteron­s-nous à la disparitio­n pure et simple des conseiller­s financiers? R.O.

– Je ne sais pas. Ce que je peux affirmer, par contre, c’est que la plupart des Américains n’ont pas de conseiller­s financiers. Sauf s’ils y ont accès par leur employeur. En sachant que la plupart des Américains ne paieront pas pour un conseiller financier, il est essentiel de trouver une autre façon de développer leurs connaissan­ces en finances personnell­es. D’où la pertinence de sites comme le nôtre. Et puis, pour la plupart des conseils financiers, vous n’avez pas besoin de rencontrer un conseiller. Il vous suffit d’avoir accès à de l’informatio­n claire et à des outils conviviaux.

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Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | @@ diane_berard

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