L’élection américaine a laissé des plaies longues à guérir
On ne connaissait pas l’issue de l’élection présidentielle américaine au moment d’écrire ce texte. Toutefois, on pouvait en déduire des effets pervers marquants sur plusieurs aspects de la vie américaine.
Les Américains ont vécu une élection historique. Outre le fait que le Parti démocrate était représenté pour la première fois par une femme et que le Parti républicain l’était par un électron libre (rejeté par son establishment, narcissique à l’extrême, menteur invétéré, arrogant, vulgaire, ouvertement raciste et sexiste), ni l’un ni l’autre des candidats n’a obtenu au moins 50 % d’appui populaire. Manifestement, de très nombreux électeurs ont voté pour le moins pire des deux ou se sont abstenus tout simplement.
La prépondérance des attaques personnelles violentes, des insultes et des propos hargneux dans le discours de Donald Trump et, dans une moindre mesure, dans les interventions d’Hillary Clinton a occulté des enjeux importants, tels les inégalités sociales grandissantes, les changements climatiques, le coût de l’éducation, le sort des immigrants sans-papiers et de leurs enfants, le financement des services publics et le rôle de l’argent dans le processus électoral. Au lieu de débattre intelligemment de ces questions, les slogans réducteurs et les affirmations insipides de Donald Trump ont empêché une réflexion sérieuse de la population.
Le fait que les deux candidats aient développé une véritable inimitié l’un envers l’autre déteindra sur les rapports entre leur parti respectif. Il se pourrait aussi que cet antagonisme pourrisse les relations que devront avoir les deux partis pour remettre sur les rails le processus législatif du Congrès, déjà marqué par un dysfonctionnement systématique en raison de l’acharnement des républicains à bloquer la réalisation du programme politique du président Obama.
La dynamique de la campagne électorale a consolidé le schisme social de plus en plus visible entre ceux qui détiennent le pouvoir politique et la richesse et les laissés pour compte, qui sont de plus en plus nombreux. Hillary Clinton a surtout recueilli l’appui des élites, des personnes scolarisées et des gens qui ont peur de Donald Trump (les femmes, les gens de couleur, les minoritaires), alors que ce dernier a remporté la faveur des « hommes blancs en colère » qui partagent ses valeurs et aiment les armes, et des personnes qui, par-dessus tout, veulent du changement. Ils ont cru que Donald Trump allait rouvrir les mines de charbon, rapatrier des emplois du Mexique et de la Chine, expulser des immigrés à l’étranger (il n’a pas dit où), rétablir la loi et l’ordre, et redonner à leur pays sa puissance militaire.
Effets durables
Donald Trump a été tellement radical et violent à l’égard de son adversaire, qu’il a traitée de tous les noms, et si méprisant envers les Mexicains, les musulmans, les femmes, les immigrés, certaines élites et les médias, qu’il a encore accru la suspicion à leur endroit. En répétant nauseam que l’élection a été truquée, il a discrédité le processus électoral. En affichant son admiration pour Vladimir Poutine et en demandant à la Russie d’espionner les serveurs du Parti démocrate, il a mêlé plus d’un électeur. Il n’a pas cessé, non plus, de dire que les États-Unis avaient perdu leur prestige, leur puissance politique, leur compétitivité, etc., ce qui a pu renforcer le désespoir de certains électeurs. L’ensemble de ses messages a sans doute accru la méfiance, et même le désespoir, de ceux qui se sentent exploités, rejetés et laissés à eux-mêmes pour arriver à survivre. Rien non plus dans son discours extrêmement négatif pour accroître son estime de soi, reprendre confiance. Trump a laissé en héritage la déception et le désarroi, ce qui ne manquera pas de nourrir le cynisme des citoyens qui ont mis aveuglément leur confiance en lui, un sentiment partagé par plusieurs des partisans du sénateur « socialiste » Bernie Sanders, qui a bien failli être désigné candidat du Parti démocrate.
Lendemains tumultueux
Alors que Donald Trump (s’il est élu) travaillera principalement en fonction de ses intérêts personnels et en n’en faisant qu’à sa tête, et que Hillary Clinton (si elle est élue) sera redevable à Wall Street, il ne faut pas s’attendre à un virage en matière de lutte aux inégalités sociales, ni à un recul du cynisme au sein d’une vaste proportion de la population.
Le risque est élevé que les États-Unis se referment davantage sur eux-mêmes, deviennent plus protectionnistes sur le plan commercial.
On peut aussi penser que, sous la pression du Tea Party, son aile radicale, le Parti républicain continuera de s’autodétruire. Les rivalités internes du parti pourraient nuire au travail du Congrès dans la gestion des affaires de l’État.
Toutes les grandes batailles électorales laissent des cicatrices. À cause des rapports acrimonieux qui ont marqué cette course présidentielle, on peut penser qu’elle laissera des plaies qui seront longues à guérir.
Trump laissera en héritage la déception et le désarroi, ce qui ne manquera pas de nourrir le cynisme des citoyens qui ont mis aveuglément leur confiance en lui.