Mes pires et mes meilleurs coups
On apprend de ses erreurs, dit l’adage. Il arrive néanmoins que de bons coups viennent confirmer une recette d’investissement qu’on mettait à l’essai. Dans cette optique, nos journalistes nous racontent leurs bons et leurs mauvais coups d’investisseurs.
Commençons par le pire et gardons le meilleur pour la fin.
Ce devait être un coup de circuit, cela a plutôt été un mémorable strike out. Jeune journaliste, j’effectuais mes premiers pas dans le monde de l’investissement. Un voyage à Toronto avec des étudiants du Fonds Alpha (de l’Université Laval) m’avait amené à visiter la firme Yorkton Securities. J’en étais revenu avec une pile de rapports sur différentes sociétés.
L’une avait particulièrement retenu mon attention : Oralife. Il serait en fait plus juste de dire que c’est la cible accolée au titre qui m’avait accroché : elle était de plus du double du cours de l’action.
Au retour, je m’étais donc activé à faire venir les rapports des autres courtiers suivant le titre, histoire d’avoir différentes opinions. Constat : achat fortement recommandé partout, avec au surplus de fortes cibles.
Oralife venait de développer un produit qui permettait de réduire la carie dentaire. Le marché en vue était celui de l’assurance collective. Environ 25 % des individus produisent quelque chose comme 75 % des réclamations dentaires liées à la carie. Ça n’a rien à voir avec le fait que ces personnes mangent plus de bonbons. C’est plutôt dû à une enzyme contenue dans la salive de certaines d’entre elles.
Les assureurs allaient demander aux personnes à risque de prendre le produit. Les réclamations dentaires allaient en conséquence fortement chuter, les employés et les employeurs, avoir moins à payer, la rentabilité des assureurs, s’améliorer, et celle d’Oralife, exploser.
« Parfait, allons-y d’un grand coup, misons 5 000 $ là-dessus. »
Une chose nous triturait cependant l’esprit. « Ce produit contient des antibiotiques. Peut-on forcer des gens à prendre des antibiotiques ? » Aucun analyste n’abordait la question. « Si personne n’en parle, ça ne doit pas être important », s’était dit le jeune journaliste.
Mal lui en a pris. Oralife n’a jamais été capable de vendre son produit, parce qu’il était impossible de forcer la prise d’antibiotiques. Et le titre a fini à zéro.
Depuis ce jour, je n’hésite jamais à poser une question, aussi stupide soit-elle. C’est de ne pas la poser qui l’est.
Les meilleurs
On pourrait aussi vous parler d’une autre histoire embêtante, mais l’espace se fait restreint (et l’orgueil proteste). Venons-en aux meilleurs coups.
Deux se démarquent. Pas tant en raison de l’envolée des cours, mais comme contributeurs à la validation de quelques raisonnements que l’on a depuis intégré dans notre livre de recettes.
Le premier, New Look ( BCI, 28,03 $), le lunettier. Il y a environ trois ans, on s’était mis à la recherche de titres non suivis par les analystes. Il est en effet plus difficile de tomber sur un titre sousévalué lorsqu’il est suivi. Notre thèse allait ainsi : l’entreprise est dominante, la population est vieillissante, les multiples sont faibles, le dividende procure un rendement de 5 %. Il ne faut en fait qu’une progression annuelle de 5 % du capital pour battre le marché chaque année. L’élément clé de l’investissement ? New Look avait récemment annoncé l’expansion de son centre de distribution. Pour agrandir, il faut avoir la certitude que les volumes grimperont. Personne ne le savait, mais la direction se préparait à se lancer sur le sentier des acquisitions. Le titre a depuis presque triplé. Un autre coup intéressant, Atrium Innovations. Spécialisée dans la vente de produits naturels (vitamines et autres), la société se négociait à l’époque à 7 fois le bénéfice. Une série de déveines avaient plombé ses résultats. Et son taux d’endettement, à 3,2 fois le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA), était considéré comme relativement élevé par les analystes. La plupart avaient vu leurs prévisions contredites dans les deux années précédentes et se montraient hésitants.
« Situation qui pourrait être parfaite. Le niveau de dette est trop élevé pour que la direction tente une nouvelle acquisition. Il n’y a donc pas de risque qu’elle rate son coup et détruise de la valeur. Pendant ce temps, les flux de trésorerie sont bons et le vieillissement de la population est favorable au créneau. La dette ne peut que baisser dans le temps, et le multiple, augmenter avec la diminution des risques », s’était-on dit.
Un an et demi plus tard, la société faisait l’objet d’une offre publique d’achat et notre mise avait plus que doublé.