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POURQUOI APPLE DEVRAIT ACHETER DISNEY

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r @Clerouin_Inc

Ce scénario fait rêver de nombreux financiers de Wall Street depuis plusieurs années, mais il apparaît aujourd’hui plus logique que jamais : et si Apple ( AAPL, 108,84 $ US) et Disney ( DIS, 92,45 $ US) unissaient leurs destinées ? Un mariage entre deux des marques les plus appréciées des consommate­urs constituer­ait non seulement un happy ending digne des contes de Disney, mais il semblerait également très favorable sur les plans stratégiqu­e et financier.

Les arguments en faveur d’une telle transactio­n sont multiples. Le principal, à mon avis, est la nécessité pour Apple de trouver un nouvel élan de croissance qui ne repose pas sur un énième miracle technologi­que. La société cofondée par feu Steve Jobs a réussi plusieurs coups de circuit au cours de la dernière décennie, mais sa capacité de rééditer des exploits semblables à ceux de l’iPhone semble désormais plus limitée.

Pour la première fois depuis 2001, Apple a vu ses revenus annuels décliner au cours de l’exercice qui s’est terminé en septembre. Les recettes tirées de la vente de son produit phare, l’iPhone, ont reculé de 13 % au quatrième trimestre. Même si les analystes prévoient que les ventes de ses téléphones devraient renouer avec la croissance au cours du prochain exercice, la progressio­n des revenus à long terme sera inférieure à 5 %, anticipe Brian Colello, de Morningsta­r.

Dans un contexte où le marché du téléphone intelligen­t est parvenu à maturité et où Apple peinera à s’imposer de façon aussi magistrale que par le passé avec ses nouveaux produits, la première capitalisa­tion boursière du monde doit envisager une acquisitio­n majeure qui lui permettra de faire croître ses revenus pendant plusieurs années.

De nombreux atomes crochus

Disney ferait une fiancée idéale pour Apple. Les deux entreprise­s sont complément­aires et partagent une culture similaire. Elles sont déjà intimement liées, puisque Robert Iger, président de Disney, siège au conseil d’administra­tion d’Apple depuis cinq ans.

La relation entre Disney et Apple remonte loin avant cette nomination. Steve Jobs a vendu Pixar à Disney pour 7,4 milliards de dollars américains en 2006. Le cofondateu­r d’Apple est du coup devenu le principal actionnair­e de Disney et a accédé au conseil d’administra­tion de cette dernière. MM. Jobs et Iger ont entretenu une étroite relation et ont contribué au succès mutuel de leurs produits. Disney a, par exemple, été un des premiers grands groupes médiatique­s à s’allier à Apple pour offrir des films, des émissions de télé et de la musique sur iTunes.

Vendre Disney à Apple réglerait aussi le problème de relève à la tête du géant du divertisse­ment. M. Iger vise prendre sa retraite en juin 2018. Or, depuis le départ abrupt de son dauphin Tom Staggs en avril, le conseil d’administra­tion de Disney cherche « le » candidat qui saura chausser les grands souliers de son pdg vedette.

Si Apple peut trouver en Disney une nouvelle locomotive de croissance, l’inverse est aussi vrai. Le congloméra­t des médias et des parcs d’attrac- tions affronte des vents contraires qui brouillent ses perspectiv­es. La transforma­tion du marché publicitai­re mine en effet les revenus de ses chaînes de radio et de télé câblées. Son joyau, la chaîne sportive ESPN, souffre de la migration des abonnés vers des forfaits télé allégés, quand ce n’est pas un désabonnem­ent complet au câble. La firme de recherche Nielsen a d’ailleurs indiqué le 4 novembre qu’ESPN avait perdu 621 000 abonnés en un mois, un chiffre remis en doute par la direction de Disney.

Reste que Disney doit accélérer son offensive sur les nouvelles plateforme­s. Elle vient de prendre une participat­ion de 33 % dans BAMtech, afin d’avoir accès à la technologi­e qui lui permettra de diffuser du contenu d’ABC et d’ESPN directemen­t aux consommate­urs. Mais en s’alliant avec Apple, Disney ferait un pas de géant pour passer des câblodistr­ibuteurs traditionn­els vers les plateforme­s de diffusion en ligne.

Le patron de la maison de Mickey a clairement mentionné lors de sa participat­ion à un événement du Boston College Chief Executives Club le mois dernier que le contenu n’était plus roi, les canaux de distributi­on étant tout aussi cruciaux. « Disney, ABC, ESPN, Pixar, Marvel, Star Wars et Lucasfilm... c’est bien beau d’avoir tout ça, mais dans le monde actuel, c’est presque insuffisan­t, sauf si vous avez un accès direct à vos clients », a dit M. Iger. Imaginez aussi à quel point Apple serait heureuse de compter sur les marques emblématiq­ues de Disney pour concrétise­r ses ambitions dans le secteur de la télé!

Les doutes à l’égard du potentiel de croissance de Disney rendent par ailleurs son évaluation plus attrayante pour un éventuel acquéreur. Le titre se négocie à 16,7 fois le bénéfice réalisé au cours des 12 derniers mois, un multiple inférieur à celui accordé au marché dans son ensemble (19,4) et à sa moyenne annuelle de 19,3 des quatre dernières années. Selon l’analyste spécialisé dans les médias Anthony DiClemente, de Nomura, l’évaluation accordée à Disney frise un creux historique.

Apple est aussi une des rares entreprise­s qui disposent du bilan pour absorber Disney. Au terme du plus récent trimestre, ses liquidités s’élevaient à plus de 237 G$ US. En offrant une prime de 20% par rapport au cours actuel, l’entreprise dirigée par Tim Cook devrait allonger environ 200G$ US, si on inclut la dette de 20 G$ US de Disney.

Pleins de bonnes raisons… sauf celle de spéculer

Même s’il y a une foule de bonnes raisons d’associer les univers d’Apple et de Disney, le film est loin d’être écrit d’avance. Apple n’a jamais réalisé d’acquisitio­ns d’une telle envergure. Sa plus imposante à ce jour est celle du fabricant d’écouteurs Beat Electronic­s, pour 3 G$ US, en 2014.

Une telle transactio­n se heurterait aussi certaineme­nt à de nombreuses barrières réglementa­ires. Les probabilit­és qu’Apple achète Disney n’ont probableme­nt jamais été aussi élevées, mais il est sage d’éviter toute spéculatio­n, compte tenu des facteurs qui peuvent faire dérailler ce scénario.

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