Bière, vin et alcool du Québec
Où en est la production et la consommation d’alcool au Québec ? Le marché vit de nombreuses transformations, et de plus en plus de petits acteurs tentent d’y faire leur place. Panorama.
Évoluer à l’ombre des géants
– Bière, vin et alcool du Québec Fondée en 2015, la Distillerie Mariana, de Louiseville, en Mauricie, connaît du succès avec son gin Canopée, dont elle vend environ 2 000 bouteilles par mois. Elle produit également la vodka Azimut, dont elle écoule 400 bouteilles par mois. Son gin est aromatisé avec des essences forestières bien de chez nous, comme le chêne, l’érable, l’épinette noire ou le thuya.
« La demande connaît une augmentation constante, explique le copropriétaire Jonathan Couturier. Nous sommes capables de fournir jusqu’à environ 7 000 bouteilles par mois, mais nous devons agrandir notre espace de stockage. »
La distillerie affronte cependant certains défis. « Pour vendre de bonnes quantités et s’assurer que les gens en rachètent, nous devons garder nos prix concurrentiels, ce qui diminue nos marges une fois que la SAQ a pris sa part, admet Jonathan Couturier. La SAQ compte déjà 125 gins différents sur ses tablettes, dont celui des géants comme Beefeater. Nous aimerions avoir accès à des points de vente différents, comme les marchés publics locaux. »
La plupart des microdistilleries québécoises sont loin de faire des profits mirobolants, admet Stéphan Ruffo, président de l’Association des micro-distilleries du Québec (AMDQ), dont la microdistillerie Les Subversifs qui produit le gin Piger Henricus et le whisky Chien Blanc. « Les majorations de la SAQ font mal, dit-il. De plus, les réseaux et les outils de promotion sont destinés aux grands producteurs et non aux microdistilleries. »
Les Subversifs ont décidé de vendre leur whisky blanc, avec un petit fût de chêne pour que les gens puissent le vieillir chez eux. « On fait plus d’argent avec le fût de chêne qu’avec l’alcool », souligne Stéphan Ruffo. L’AMDQ demande la possibilité de vendre au domaine ou dans les foires et les expositions, comme les producteurs artisanaux de cidre et de vin. Actuellement, les spiritueux ne peuvent être vendus qu’à la SAQ.
Aux États-Unis, plus de 700 microdistilleries sont apparues en 15 ans à la suite de différents assouplissements à la réglementation, selon l’AMDQ. Cette dernière compte 10 membres producteurs en ce moment.
Des buveurs de bière infidèles
Le marché de la bière reste, lui, marqué par l’éclosion des microbrasseries. En mai 2016, selon l’Association des microbrasseries du Québec, il y avait 166 brasseurs au Québec, dont 163 « petits brasseurs » ou « artisans brasseurs ». En 2002, ces derniers n’étaient que 34. Tout de même, Molson Coors, Labatt et Sleeman détiennent 93 % des parts de marché québécoises.
Labatt est présentement le plus important brasseur du Québec. Elle emploie 1 300 personnes et brasse 85 % de la bière qu’elle vend dans la province. « En gros, une bière sur cinq vendue au Québec est une Budweiser », dit Jean Gagnon, vice-président, affaires corporatives Québec, de la Brasserie Labatt Canada.
Cependant, le volume de bière vendu au Québec a chuté, passant de 6,1 millions d’hectolitres (M hl) en 2012 à 5,9 M hl en 2015. Une baisse équivalant à environ 2,4 millions de caisses de 24 bouteilles. « La principale raison est le vieillissement de la population, avance Jean Gagnon. Après 40 ans, les gens consomment moins d’alcool. La popularité du vin et des spiritueux joue aussi. » La consommation annuelle de bière par personne a chuté de 93 à 88 litres, de 2012 à 2015.
Cette situation entraîne un marché déflationniste. Le prix au litre a baissé de 3,89 $ à 3,79 $ de 2012 à 2015. Les grands brasseurs sont agressifs. « Nous voulons être le leader dans chacun des segments de marché et avoir un portefeuille de marques qui répondent à toutes les occasions et préférences », soutient Jean Gagnon. Les partenariats avec les microbrasseries comme Archibald s’inscrivent dans cette stratégie.
Vignerons par passion
De 2014 à 2015, les ventes de vins québécois à la SAQ sont passées de 185 000 à 335 000 litres, une hausse de plus de 80 %. Mais la production de vin au Québec reste l’apanage de petits vignerons passionnés. Le plus important est L’Orpailleur, de Dunham, qui produit un peu plus de 200 000 bouteilles par an. En ce moment, l’Association des vignerons du Québec (AVQ) compte 63 vignobles.
En 2015, leurs ventes auraient généré 16,4 M$ en revenus aux producteurs, en plus de 4,1 M$ en majoration à la SAQ et 2,7 M$ aux restaurants. Les vignerons créent 260 emplois dans les vignobles. L’AVQ évalue à 87,82 $ l’impact économique de chaque bouteille produite.
« Le vin crée des emplois dans les secteurs primaire, secondaire et tertiaire grâce à la culture, la transformation et la commercialisation, soutient Yvan Quirion, président de l’AVQ. Même un tout petit vignoble comme le mien, le Domaine Saint-Jacques, crée 16 emplois à temps plein. Les pays européens l’ont compris et subventionnent beaucoup ces produits. »
Il se réjouit des récents efforts du ministre des Finances Carlos Leitão. Ce dernier a notamment soutenu le programme d’aide à la commercialisation des vins québécois à la SAQ, responsable de l’explosion des ventes. Il a aussi contribué à l’adoption de la Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales, laquelle permet notamment la vente de vins du Québec en épicerie.
Mais il reste du chemin à faire, dit Charlotte Reason, présidente de Vignerons indépendants du Québec et propriétaire de La Charloise. « L’arrivée dans les épiceries ne sera pas le Klondike, prévient-elle. Il y a déjà là de grands acteurs très bien implantés. »
Elle aimerait que l’exportation du vin québécois vers d’autres provinces soit facilitée, elles qui doivent passer par la SAQ. « J’ai récemment dû refuser de vendre mes vins à un restaurateur ontarien », déplore-t-elle. De la même manière, il est difficile d’exporter en Europe, car les pays n’acceptent que les vins certifiés VQA. L’Ontario et la Colombie-Britannique utilisent cette certification, mais pas le gouvernement québécois qui préfère « Vin du Québec certifié ».
Mme Reason se réjouit toutefois de constater que les Québécois achètent de plus en plus de vins d’ici. « Les vignerons québécois se sont professionnalisés, dit-elle. La qualité a beaucoup augmenté, et les consommateurs et sommeliers l’ont remarqué. »
« L’arrivée dans les épiceries ne sera pas le Klondike. Il y a déjà là de grands acteurs très bien implantés. » – Charlotte Reason, présidente de Vignerons indépendants du Québec et propriétaire de La Charloise
veaux plants de Centennial et de Crystal permettra d’augmenter grandement les quantités offertes de ces deux variétés en 2017.
Sur la question de savoir s’il aimerait éventuellement percer chez des brasseurs de taille moyenne, comme Boréale, qui achètent de plus importants volumes que les microbrasseries, Francis Gagné admet que c’est tout un défi. « Ils achètent à l’avance de très importantes quantités, généralement à des producteurs américains, explique-t-il. Ils bénéficient donc de prix difficiles à battre. Mais on aimerait les convaincre de développer de nouvelles bières 100% québécoises. »
Le secret des vignes
Les vignerons, notamment débutants, ont quant à eux besoin de s’approvisionner en vignes. Ils recherchent des variétés résistantes à notre climat hivernal rigoureux et à nos étés relativement courts, tout en permettant de produire de bons vins. Et ils sont toujours à l’affût de nouveautés.
Depuis 1998, Viticulture A&M (pour Alain Breault et Mariette Lagueux), de Saint-Pauld’Abbotsford, est la seule pépinière viticole du Québec et la troisième du Canada. Elle fournit des plants aux vignerons du Québec, mais aussi de l’Ontario et des Maritimes, en plus d’offrir de précieux conseils. Alain Breault a commencé à expérimenter avec la vigne dès 1982, au tout début de l’aventure de la production de vin au Québec.
Viticulture A&M a produit et vendu plus de 4,6 millions de plants depuis ses débuts. « Nous vendons des cépages résistants, adaptés aux différentes zones climatiques du Québec, comme le Frontenac, le Marquette ou le Petite Perle, explique Alain Breault. Nous ne vendons pas de variétés européennes. Même si par miracle un vigneron arrive à les cultiver, le vin ne goûtera pas la même chose que s’il était produit en Europe. Ces cépages ne sont pas adaptés au Québec. »
La patience est le mot d’ordre dans ce métier. Viticulture A&M s’approvisionne chez des hybrideurs du Minnesota. Il faut à ces derniers environ 10 ans pour développer un hybride prometteur. Ensuite, il faut le faire tester et certifier pour s’assurer qu’il n’a pas de maladie, puis le faire breveter. Ce processus peut prendre trois autres années. Lorsqu’il reçoit les premières boutures, Alain Breault entame alors une série de tests, lesquels lui prendront quatre ou cinq ans avant de produire un produit commercialisable. Ensuite, il commence un autre cycle de trois ou quatre ans pour faire connaître le produit, le faire tester par les vignerons, etc.
« C’est long! admet le viticulteur. Les vignerons ne veulent pas juste changer pour changer, il faut leur proposer un cépage offrant une plusvalue, comme une meilleure résistance au climat ou aux maladies ou une plus forte production. Sans oublier le critère principal : produire un vin de haute qualité. C’est tout un art! »