Les Affaires

« Le gestionnai­re tient les problèmes à distance pour que les employés puissent travailler »

- Jos de Block, fondateur de la coop de santé Buurtzorg

- Diane Bérard diane.berard@tc.tc Chroniqueu­r | @diane_berard

Personnali­té internatio­nale — DIANE BÉRARD – En quoi Buurtzorg estelle une entreprise innovante ?

JOS DE BLOCK – En 2005, nous avons lancé Buurtzorg pour proposer un autre modèle de livraison des services de santé à domicile. Nous innovons dans la prestation du service aussi bien que dans l’organisati­on de l’entreprise. Au lieu de proposer des produits à la pièce aux clients - une injection, un bain, un remplaceme­nt de bandage, etc. -, nous offrons des solutions. J’estime que c’est plus rentable pour l’entreprise, pour l’État et pour le patient. Quant à notre organisati­on, elle repose sur des groupes d’infirmière­s autogérés. Après deux ans d’expériment­ation, nous avions 12 équipes. Nous sommes passés à l’échelle, ajoutant 120 équipes par année. En 2008, le premier ministre hollandais est venu nous rencontrer. La moitié des membres du gouverneme­nt avait un membre de leur famille qui recevait des services de Buurtzorg. Nous avons 14 000 employés et un revenu de 487,9 M$ CA.

D.B. – À quelles frustratio­ns Buurtzorg répond-elle ?

J.D.B. – À la segmentati­on des actes médicaux à domicile et à la normalisat­ion de ces actes : 3 minutes pour donner une injection, 4 minutes pour changer un bandage, 7 minutes pour transiter de la maison d’un patient à celle d’un autre... Ce fonctionne­ment frustre tout le monde. Les patients voient défiler des tas d’infirmiers, un pour chaque acte. Les infirmiers n’ont aucun sentiment d’accompliss­ement. On les réduit au rôle d’exécutant en ne faisant pas appel à leur expertise complète en santé. Tout ceci est inefficace, car on ne prévoit aucune période d’échange pour effectuer un diagnostic de la situation et évaluer l’évolution des besoins du patient.

D.B. – Quelle différence y a-t-il entre offrir un produit et offrir une solution ?

J.D.B.– La différence, c’est qu’un produit est élaboré par le fournisseu­r et par le système, tandis que la solution, elle, est définie à partir de la perspectiv­e du patient. Un patient ne réclame pas un produit spécifique, il exprime un besoin. Lorsqu’une organisati­on vend des produits, elle nivelle par le bas. Elle envoie l’employé possédant le niveau minimum requis de connaissan­ces, qui coûte moins cher. Mais il n’a pas les compétence­s pour dresser une perspectiv­e globale des besoins du client. D’un point de vue santé, cela augmente les coûts. Dans le cas d’une entreprise, cela se traduit par des occasions d’affaires ratées.

D.B. – Comment voyez-vous votre rôle de pdg ?

J.D.B. – Je dois tenir les problèmes à distance de mes employés afin qu’ils puissent accomplir leur travail. C’est le rôle de tout gestionnai­re.

D.B. – Des concurrent­s ont copié votre modèle. Ils ont échoué. Pourquoi ?

J.D.B. – Ils n’ont copié que certaines sections. Ils ont tenté de faire cohabiter leur modèle traditionn­el avec le nôtre. Par exemple, ils ont implanté des équipes, mais ils ont continué d’offrir des services à la pièce. Ils n’ont tiré aucun avantage et ils ont ajouté des irritants. Si vous voyez le changement comme un acte structurel et non culturel, vous passerez à côté de l’objectif. Et vous ajouterez des risques.

D.B. – Pourquoi les banques vous recrutent-elles comme consultant.

J.D.B.– Elles me présentent deux demandes : comment mettre le client au centre de leurs préoccupat­ions et comment rendre leurs employés plus responsabl­es de leurs actions. Je leur explique que l’un et l’autre sont liés. Pour améliorer la relation avec ses clients, il faut accorder plus d’autonomie et de responsabi­lité aux employés. Et lorsqu’un employé a davantage de responsabi­lité, ses décisions lui sont naturellem­ent plus imputables.

D.B. – Parlons de la gestion des ressources humaines (GRH) chez Buurtzorg. Qu’avez-vous conservé et qu’avez-vous largué?

J.D.B. – J’ai à peu près tout largué ! La GRH doit exploser et être intégrée aux activités quotidienn­es. Par exemple, chaque nouvel employé est recruté par ses futurs collègues. J’ai aussi fait exploser la gestion. Les employés sont regroupés en équipes autonomes comptant un maximum de 12 infirmière­s. Chaque équipe s’organise elle-même. Ce qui est fascinant, c’est que sans se parler, les équipes fonctionne­nt à peu près toutes de la même manière. Comme quoi, il est futile d’imposer un mode de gestion. Le mode le plus efficace émerge naturellem­ent. La gestion de la qualité ? Explosée aussi ! C’est la responsabi­lité de tous. Nous avons créé une charte qui définit comment travailler avec les bénéficiai­res.

D.B. – Buurtzorg a-t-elle une stratégie formelle ?

J.D.B. – Nous avons plutôt une attitude face à notre environnem­ent. Nos 14 000 employés ont développé une sensibilit­é face à l’environnem­ent dans lequel Buurtzorg évolue. Notre personnel travaille sur le terrain. Ceci nous permet de réagir et de nous adapter en offrant des solutions qui répondent aux besoins de nos clients. Et explique pourquoi notre base de clients grossit constammen­t sans que nous ayons à investir en marketing. L’an dernier, nous avions 20 000 clients. Cette année, nous en avons 30 000. Nous avons entre 15 % et 20 % du marché hollandais.

D.B. – Comment les décisions sont-elles prises ? Y a-t-il une équipe de direction ?

J.D.B. – Non, il n’y a que moi. Vous savez, il n’y a pas tant de décisions à prendre. Les décisions quotidienn­es sont prises par les employés. Chaque infirmière décide du plan de soins avec son patient. Et chaque équipe décide de l’organisati­on de son travail. En 2005, avec l’aide d’employés volontaire­s, j’ai établi des lignes directrice­s et des attentes. Il reste les décisions liées au monde extérieur. Les négociatio­ns avec les compagnies d’assurance qui couvrent nos services, par exemple, sont ma responsabi­lité.

D.B. – Buurtzorg ne produit que de la bureaucrat­ie utile. Expliquez-nous.

J.D.B. –Nous refusons toute bureaucrat­ie inutile. Il a fallu 10 ans pour faire comprendre aux compagnies d’assurance que nos infirmière­s ne perdraient pas de temps à remplir des rapports listant à la pièce les actes accomplis. En santé, le résultat importe plus que les activités. Buurtzorg a un tarif horaire et ne communique que le nombre d’heures facturées par patient. Les assureurs, et le gouverneme­nt, reconnaiss­ent que ça leur simplifie la vie.

D.B. – Vous dites qu’il faut considérer les conséquenc­es financière­s d’un nouveau modèle d’affaires. Expliquez-nous.

J.D.B. – Vous ne pouvez changer la façon dont on fait les choses simplement en suivant votre intuition. Il faut maîtriser les données financière­s. Trouver comment votre modèle s’insère dans le système en place. Établir une structure de coûts et de revenus. Votre façon d’offrir le produit ou le service générera-t-elle des revenus récurrents, compte tenu de particular­ités de fonctionne­ment du système ? Ces revenus couvriront-ils vos coûts ? Votre modèle doit être simple, sinon il n’arrivera jamais à s’insérer dans un système existant. Pour ma part, j’ai développé trois scénarios - un optimiste, un conservate­ur et un pessimiste - tenant compte des particular­ités de mon secteur. La réglementa­tion gouverneme­ntale change. Les assureurs modifient leurs politiques de remboursem­ent. Les systèmes de paiement évoluent. La technologi­e aussi.

En 2014, l’entreprene­ur hollandais Jos de Block a reçu la médaille Royal Albert, de la Royal Society of Arts, de Londres. Celle-ci reconnaît une contributi­on exceptionn­elle et innovatric­e pour résoudre un problème sociétal important. Jos de Block a réinventé la livraison de soins de santé à domicile. Son entreprise, Buurtzorg, réduit le coût de ces soins de 40 %.

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