Les Affaires

LA DIVULGATIO­N FINANCIÈRE AU SECOURS DU CLIMAT

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r invité

Biographie

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l’entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distribute­ur et détaillant de produits de quincaille­rie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d’entreprene­urs à l’École d’entreprene­urship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l’École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

Au moment où le nouveau président Trump continue de prétendre que l’enjeu climatique n’est qu’une fausseté ourdie par les Chinois, une démarche porteuse continue d’avancer dans une relative discrétion, animée par le Conseil de stabilité financière du G20 (Financial Stability Board).

Cette démarche n’est pas le fait de militants écologiste­s déconnecté­s de l’économie, mais de gens d’affaires connus pour leur pragmatism­e : le Groupe de travail pour la divulgatio­n financière reliée au climat (Task Force on ClimateRel­ated Financial Disclosure­s, ou TCFD), dirigé par le milliardai­re et ex-maire de New York, Michael Bloomberg.

Le TCFD a été créé à l’automne 2015 à l’initiative du Canadien Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, mais aussi président du Conseil de stabilité financière. En septembre 2015, devant un auditoire d’assureurs en habit de soirée réunis chez Lloyd’s, Mark Carney a prononcé un discours dépassant les mondanités. Il leur a présenté le concept de la « tragédie de l’horizon » – tragédie émanant du fait que la majeure partie de l’impact du changement climatique se concrétise­ra au-delà des horizons de planificat­ion de tous les décideurs – à savoir au-delà du cycle économique, au-delà du cycle politique, et même au-delà de l’horizon des autorités technocrat­iques. Par conséquent, expliqua-t-il à son auditoire, quand l’impact sera assez rapproché pour exiger des actions concrètes de ces décideurs, il sera déjà trop tard.

On gère mieux ce qu’on mesure

Pour faire face à cette « tragédie de l’horizon », Mark Carney propose d’inciter les entreprise­s, tous secteurs confondus, à analyser et à divulguer leurs risques (et occasions, car il y en a) associés au changement climatique et à la transition vers une économie sobre en carbone. L’idée sousjacent­e est que la mesure et la divulgatio­n des risques seront prises en compte par les analystes et les investisse­urs, afin que « les marchés financiers puissent faire ce qu’ils font le mieux : allouer le capital pour gérer le risque et saisir les nouvelles occasions ». Reconnaiss­ant l’existence de plusieurs initiative­s de divulgatio­n de risques environnem­entaux, Mark Carney insiste toutefois sur la nécessité d’un effort concerté et coordonné à l’échelle mondiale.

Le Conseil de la stabilité financière a donc confié à Michael Bloomberg la tâche de diriger un groupe chargé de faire des recommanda­tions en ce sens. Ce groupe a publié ses recommanda­tions le 14 décembre dernier.

Ce rapport tient pour acquis l’objectif de COP21 de limiter à 2°C l’écart de la températur­e moyenne par rapport à l’ère préindustr­ielle. Il détermine de nombreux risques qui sont bien réels, mais reçoivent pour l’instant peu d’attention dans la divulgatio­n financière des entreprise­s : il y a les risques physiques les plus évidents, comme les conséquenc­es des variations extrêmes de températur­e, des changement­s dans les précipitat­ions ou dans les températur­es moyennes. Il y a ensuite des risques de transition, par exemple : la hausse progressiv­e du prix ou du coût fiscal des émissions de carbone ; l’obsolescen­ce accélérée de produits remplacés par des substituts sobres en carbone ; les risques réputation­nels et les problèmes d’acceptabil­ité sociale associés ; une hausse du coût des matières premières découlant de normes environnem­entales plus exigeantes ; le coût des investisse­ments dans de nouvelles technologi­es plus sobres en carbone, etc. Ces risques peuvent avoir un impact sur les flux financiers des entreprise­s ou sur la valeur de leur actif : des réserves de ressources fossiles peuvent être dévaluées, comme ce peut être le cas de la propriété intellectu­elle.

En revanche, le rapport Bloomberg cerne également de nombreuses possibilit­és, notamment : des économies associées à l’adoption de modes de transport plus efficaces ou de nouvelles sources d’énergie dans les procédés ; le développem­ent de nouveaux produits et services à émissions réduites ; la création d’avantages concurrent­iels associés aux préoccupat­ions des consommate­urs pour l’environnem­ent, etc.

De la gouvernanc­e aux cibles

Le rapport Bloomberg recommande un périmètre de divulgatio­n qui s’articule sur quatre grandes préoccupat­ions : la gouvernanc­e (rôles et responsabi­lités respectifs du conseil et de la direction en matière de risques et d’occasions liés au climat) ; la stratégie (la définition des risques et des possibilit­és à court, moyen et long terme, ainsi que de leur impact sur les affaires de l’entreprise) ; la gestion des risques (les procédés de définition et de gestion des risques liés au climat, et l’intégratio­n desdits procédés dans la gestion de l’ensemble des risques de l’organisati­on) ; la mesure et les cibles en matière de risques et possibilit­és liés au climat, y compris les émissions de GES. Le rapport a déjà reçu l’appui de 35 entreprise­s et organismes internatio­naux majeurs, depuis Air Liquide jusqu’à Unilever, en passant par l’Office d’investisse­ment du RPC et – oui ! – la Banque industriel­le et commercial­e de Chine, la plus grande banque du monde. Des sociétés minières comme BHP Billiton, des sociétés industriel­les comme Daimler ou Dow Chemicals, des gestionnai­res de fonds comme BlackRock ont publiqueme­nt appuyé les recommanda­tions du groupe Bloomberg. Les quatre grands cabinets comptables internatio­naux (Deloitte, EY, KPMG, PwC) leur ont emboîté le pas.

Le rapport est l’objet d’une consultati­on publique jusqu’au 12 février prochain.

Mark Carney et Michael Bloomberg sont déterminés à mobiliser les forces du marché pour relever le défi mondial en matière d’émissions de GES et de climat. Le rapport Bloomberg n’est certes pas une panacée, mais il constitue un pas de géant dans la bonne direction.

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