Les Affaires

FAUT-IL CRAINDRE D’OUVRIR SON CAPITAL ?

- Nathalie Vallerand redactionl­esaffaires@tc.tc

Pas facile pour un entreprene­ur de laisser aller une partie de ses actions, mais parfois ce virage s’impose. C’est ce qu’a fait en octobre dernier Louis Pilon, pdg de Jamp Pharma, lorsqu’il a cédé une participat­ion de 31 % au Fonds de solidarité FTQ. « J’avais des appréhensi­ons, car je suis habitué à prendre des décisions sans en référer à qui que ce soit, dit celui qui a acheté en 2006 la société pharmaceut­ique de Vancouver pour déménager ensuite ses activités au Québec. Mais je voulais avoir les moyens de mes ambitions. »

L’investisse­ment du Fonds FTQ, dont le montant est confidenti­el, permettra au fabricant de médicament­s génériques de consacrer plus de ressources au développem­ent de produits et de percer à l’internatio­nal.

Plusieurs entreprene­urs sont réticents à ouvrir leur capital, constate Luc Ménard, chef de l’exploitati­on de Desjardins Entreprise­s Capital régional et coopératif, un organisme qui offre du financemen­t sous forme de capital-actions ou de prêt : « Ils s’imaginent que la gouvernanc­e sera lourde, craignent la reddition des comptes, ont l’impression de perdre quelque chose avec la dilution de la propriété. Mais après quelque temps, ils disent qu’ils garderaien­t leur conseil d’administra­tion même sans nous, car il leur procure une valeur ajoutée. Le CA est là pour les aider à prendre du recul et à étoffer leur réflexion stratégiqu­e, pas pour leur taper sur les doigts. »

Louis Pilon, lui, se dit à l’aise avec le fait que son nouvel actionnair­e garde l’oeil sur les grandes orientatio­ns et se réserve un droit de veto sur les investisse­ments majeurs. Il tenait toutefois à ce qu’il ne s’immisce pas dans la gestion courante de son entreprise. « Avec le Fonds de solidarité FTQ, j’ai été rassuré sur ce point. Lors de ma recherche de financemen­t, j’ai rencontré des fonds américains de capital de risque qui installent leurs gens dans l’entreprise. Aussi bien tout vendre ! »

Le dirigeant de Jamp Pharma s’est aussi assuré que les valeurs de son partenaire et sa vision de l’avenir de sa PME correspond­aient aux siennes. Car si certains fonds privés visent le rendement à court terme, les investisse­urs institutio­nnels comme le Fonds FTQ et Desjardins Entreprise­s Capital régional et coopératif sont de type patient. « Nous sommes des joueurs à moyen long terme, dit Luc Ménard. Notre objectif, c’est de contribuer à bâtir des fleurons. »

Gare au surendette­ment

Il reste qu’avant d’ouvrir son capital, mieux vaut généraleme­nt optimiser la dette. « C’est toujours moins coûteux d’emprunter que de vendre des actions », soutient Me St-Arnaud. Une entreprise en bonne santé obtient en effet un meilleur rendement de ses actions que le taux d’intérêt qu’elle paie sur sa dette.

Attention toutefois au surendette­ment. Les bas taux d’intérêt actuels peuvent inciter les entreprise­s rebutées par les prises de participat­ion externes à s’endetter à outrance. Or, au-delà d’un certain seuil, elles sacrifient leur marge de manoeuvre et elles risquent de se retrouver dans une situation précaire.

Desjardins Entreprise­s Capital régional et coopératif a analysé le ratio d’endettemen­t total et le levier financier (DPI-BAIIA) de 500 PME de son portefeuil­le sur cinq ans. Quand le ratio franchit 4,5, l’entreprise atteint une zone dangereuse où le risque de pertes comptables est grand.

« Ce n’est toutefois pas une règle absolue, car cela dépend aussi du secteur d’activité de l’entreprise, précise Luc Ménard. Mais arrive un moment où il faut envisager d’ouvrir le capital pour financer la croissance. Si les choses vont moins bien que prévu, la pression sera moins importante qu’avec de la dette. »

David Hervieux, président de Devolution­s, est de ceux qui croient qu’il y a plus de positif que de négatif dans l’ouverture du capital. Il y a un an, il a vendu 11 % de ses actions à huit investisse­urs individuel­s qui détiennent chacun de 0,5 à 2 % des parts. La raison ? Sécuriser son patrimoine personnel. « Des entreprene­urs vendent leur entreprise parce qu’ils ont peur de perdre leurs acquis si le château de cartes s’écroule, dit le fondateur de la PME de solutions de gestion de connexions à distance. D’autres dirigent [avec] les pieds sur les freins et prennent des décisions pour eux plutôt que pour l’entreprise. Mais il existe une autre option : céder une partie de l’actionnari­at et encaisser l’argent pour ses propres besoins. » Une solution, bien sûr, qui s’applique surtout aux entreprise­s florissant­es.

« Depuis que j’ai franchi le pas, je ne m’inquiète plus pour l’avenir financier de ma famille, assure David Hervieux. Et j’ai retrouvé toute la drive qu’il faut pour gérer une entreprise. »

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