Les Affaires

La renaissanc­e du manufactur­ier

- Yan Barcelo redactionl­esaffaires@tc.tc

Longtemps négligé, le secteur manufactur­ier est à l’honneur aujourd’hui. De nombreux pays découvrent qu’il est au coeur de leur prospérité.

Séduits par la rhétorique de l’ère postindust­rielle, les pays développés ont misé sur les services. « On s’est fait engourdir par des utopies ! » s’exclame Louis Duhamel, conseiller stratégiqu­e chez Deloitte et pionnier qui se bat depuis des années pour ramener le secteur manufactur­ier au premier plan. « On parle depuis 25 ans d’augmenter nos exportatio­ns de services, mais c’est une vue de l’esprit, ajoute-t-il. Il faut qu’on retrouve un peu de lucidité. »

Les chiffres nous prouvent que ce n’est pas dans les services que les choses se passent. Selon les compilatio­ns de Deloitte, le secteur manufactur­ier est responsabl­e de 89,2 % des exportatio­ns québécoise­s (chiffre qui inclut les biens agricoles et miniers) et de 58,5 % des dépenses en R-D. Pourtant, il ne représente que 14,6 % du PIB de la province.

Ce n’est pas tout. « Le domaine manufactur­ier est le point d’ancrage de la classe moyenne, affirme M. Duhamel. Le salaire moyen en milieu manufactur­ier est de 22 % supérieur au salaire moyen. Les pays où le PIB du manufactur­ier est le plus élevé sont ceux où l’écart entre riches et pauvres est le plus faible. »

Un secteur générateur d’exportatio­ns

Dans tous les pays développés, le déclin du domaine manufactur­ier a sévi. Aux États-Unis, alors que la part manufactur­ière du PIB était de 24,3 % en 1970, elle n’était plus que de 12,8 % en 2010. Même le Japon et l’Allemagne y sont passés, la part du manufactur­ier passant durant la même période de 35 % à 20 % au Japon et de 33 % à 18 % en Allemagne.

Le secteur manufactur­ier québécois n’a pas échappé à la chute, « glissant d’environ 23 % en 2002 à 14,6 % aujourd’hui », signale Pierre Gabriel Côté, PDG d’Investisse­ment Québec. La Belle Province a mieux résisté à l’érosion. « Une proportion de 14,6 % nous place dans le top 10 mondial », note M. Duhamel.

Il est intéressan­t de constater que le secteur manufactur­ier canadien, générateur de tant d’exportatio­ns et de R-D, et qui représente environ 13,4 % du PIB, accaparait 52 milliards de dollars (G$) de profits en 2014, soit 13,3 % des profits d’entreprise­s totaux (389 G$), selon Statistiqu­e Canada. Comparativ­ement, le secteur financier, qui représente 7 % du PIB et qui génère très peu d’exportatio­ns et de R-D, engrangeai­t des profits de 114 G$, soit 29 % des profits totaux.

C’est au Royaume-Uni que le mouvement de renaissanc­e manufactur­ière s’est dessiné en 2005, avec la publicatio­n d’un rapport intitulé « Manufactur­ing Matters ». Les États-Unis ont emboîté le pas vers 2010, suivi par tous les pays développés.

Le Québec vient de se mettre de la partie, notamment par l’intermédia­ire du gouverneme­nt du Québec qui, sous l’impulsion de Dominique Anglade, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, a fait du « manufactur­ier innovant » sa priorité économique (825 millions de dollars disponible­s). « On peut vraiment dire qu’un momentum s’est créé », affirme Mme Anglade.

Privilégie­r la production locale

Par l’entremise d’un mouvement qui réunit des associatio­ns de manufactur­iers, des regroupeme­nts de chefs d’entreprise et des chambres de commerce, Pierre Gabriel Côté a orchestré la mise en place d’un plan d’action en 10 points. « Bien que l’action financière soit cruciale, elle ne constitue qu’un de ces points », note-t-il. Parmi les initiative­s que le plan met en avant, relevons le besoin de privilégie­r la production locale. « On importe beaucoup de choses et on a délocalisé, fait ressortir M. Côté. Que pourrait-on recommence­r à produire ici en automatisa­nt ? On pourrait en parler comme de notre reshoring, notre relocalisa­tion à nous. » Une étude à venir d’ici fin mai de Deloitte « définit 80 occasions de substituti­on de production », indique quant à lui M. Duhamel.

Un des 10 points du plan touche la création d’une certificat­ion d’innovation manufactur­ière, équivalent­e à un ISO 9000, pour permettre aux chefs d’entreprise de se situer dans leur avancée technologi­que. Un autre vise à promouvoir la mise en place d’un programme de formation pour les jeunes en entreprise similaire au célèbre programme « dual » allemand. Un autre encore se rapporte à l’établissem­ent d’un réseau collaborat­if de partage d’expérience où les entreprene­urs qui veulent implanter les technologi­es manufactur­ières de pointe pourront trouver ressources et conseils. « Que le manufactur­ier soit autant priorisé au Québec, c’est exceptionn­el ! » conclut M. Duhamel.

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