Des dépenses militaires dignes de la guerre froide sourient à l’aérospatiale québécoise
La hausse du budget militaire de 54 milliards de dollars américains du président Donald Trump, ainsi que celle de plusieurs pays sur la planète, n’est peut-être pas rassurante pour la diplomatie mondiale, mais pour l’industrie québécoise de l’aérospatiale, c’est vraiment une bonne nouvelle.
Au moment de dévoiler ses résultats financiers trimestriels, le PDG de CAE, Marc Parent, s’est exprimé en ces mots : « Nous sommes dans une situation unique, que nous n’avons pas vue depuis la fin de la guerre froide. » L’incertitude politique qui règne sur divers continents et la pression qu’exercent les Américains sur leurs alliés, en critiquant ouvertement le niveau de dépenses des pays membres de l’OTAN par exemple, entraînent une hausse généralisée des dépenses en équipement militaire.
Pour CAE, un spécialiste de la formation de pilotes et de professionnels du secteur de l’aviation qui réalise 40 % de son chiffre d’affaires dans le secteur militaire, c’est toute une occasion de croissance qui se présente. Surtout que les tendances lourdes, du côté de l’équipement, exigent des aptitudes jusqu’ici inédites : être pilote de drones militaires à distance ne s’apprend pas sur le tas !
Un des avantages de l’entreprise montréalaise est sa capacité d’intégrer de la formation en continu à des secteurs de pointe comme celui-là. « Notre stratégie du côté de la défense est de miser sur des services de formation intégrés, complets et plus complexes, puisqu’ils impliquent de la formation en direct et de façon virtuelle. Nous connaissons déjà beaucoup de succès de ce côté. C’est le coeur de notre offre, et c’est comme ça que nous voulons que CAE soit reconnue à l’international », résume M. Parent.
L’internationalisation est un point important de la stratégie à venir pour l’entreprise. Dans le secteur de la défense, au-delà des États-Unis, elle compte des partenariats avec une quinzaine de pays. Les pressions du président Trump sur l’OTAN et la résurgence de la Russie sur l’échiquier géopolitique sont de bon augure pour CAE.
« L’administration en place aux États-Unis s’est avérée positive pour nous, car elle stimule l’activité de plusieurs acteurs dans le secteur de la défense », résume M. Parent.
Reconversion militaire
Cette nouvelle course à l’armement est encore difficile à chiffrer, mais elle fera des heureux ailleurs que chez CAE. Plusieurs entreprises québécoises devraient en effet en profiter pour élargir leur marché. C’est d’ailleurs le cas de Bombardier, qui ne fait pas directement des affaires dans le secteur de la défense, mais qui vend des avions à des spécialistes qui, eux, les modifient afin de satisfaire des acheteurs de ce créneau.
« Il y a un terme pour ça en anglais : missionizing. Des entreprises comme Lockheed Martin ou même SAAB achètent des avions civils et les modifient selon les besoins de leurs propres clients. Ce n’est pas une énorme source de revenus pour nous, mais elle pourrait croître », estime Sylvain Lévesque, vice-président Stratégie d’entreprise chez Bombardier.
Comme son homologue chez CAE, ce dirigeant d’un des poids lourds de l’industrie aérospatiale canadienne est optimiste quant à l’avenir de son entreprise. « Du côté de l’aviation commerciale, on s’attend à une hausse annuelle de 3 % du nombre de passagers, ce qui entraînera une augmentation de la demande pour de nouveaux avions. Dans le secteur des avions d’affaires, où la croissance est liée à la santé de l’économie mondiale, on voit aussi une croissance soutenue à l’horizon », dit-il.
Vingt années de croissance soutenue
Malgré les retards associés à sa production initiale et en dépit de la controverse entourant le salaire de ses dirigeants, Bombardier estime que la réputation internationale de sa C Series est demeurée intacte et qu’elle se traduira par des ventes solides pour « au moins les 20 prochaines années ».
« Quand on compare avec ce qui se fait chez Airbus ou Boeing, on constate que le temps de développement de la C Series n’a été ni plus court ni plus long que le temps moyen normal dans l’industrie, explique M. Lévesque. En plus, le segment des avions de 100 à 150 places, dans lequel se situe la C Series, demeure encore fortement sous-exploité par les lignes aériennes. On pense qu’il y aura, à terme, de la demande pour 7 000 avions dans ce créneau. » En conséquence, Bombardier prévoit accélérer sa cadence de production annuelle de 30 à 100 avions par année d’ici cinq ans.
Une grappe reconnue mondialement
Avec ses usines en Europe et aux États-Unis, Bombardier n’est pas exactement un acteur local. Toutefois, l’entreprise insiste sur son rôle dans la croissance de l’industrie aérospatiale canadienne et québécoise. « Nous comptons pas moins de 1 000 fournisseurs au pays. En grandissant, nous désirons toujours aider la grappe industrielle d’ici », dit M. Lévesque.
En ayant une mission internationale, l’avionneur québécois joue un double rôle : d’abord, en comparant l’efficacité des différentes industries régionales un peu partout sur la planète, il peut profiter des travailleurs les plus productifs. À ce titre, il estime que la main-d’oeuvre québécoise spécialisée en aérospatiale n’a rien à envier à personne. « Ce n’est pas un hasard si nos usines se trouvent là où elles sont », dit son vice-président.
Ensuite, un intégrateur comme Bombardier peut à son tour agir comme pôle d’attraction pour des entreprises étrangères, tel qu’en témoignent les nombreuses nouvelles usines apparues en bordure de l’autoroute 13 entre Saint-Laurent et Mirabel.
« Elles ne sont pas là par hasard elles non plus », ajoute M. Lévesque.
Si on se fie aux prévisions de l’industrie, elles seront là pour au moins 20 années encore...
la
Aucun secteur d’activité ne semble échapper à la quatrième révolution industrielle. Pas même l’aviation ! Automatisation, mégadonnées et intelligence artificielle (IA) vont radicalement transformer ce secteur. Ça tombe bien, l’industrie québécoise a un plan pour en tirer profit.
« Il y a trois grands courants qui redéfinissent toutes les industries à l’heure actuelle, et on n’y échappe pas non plus : les mégadonnées, les objets connectés et l’intelligence artificielle, résume Denis Faubert, président du Consortium de recherche et d’innovation en aérospatiale au Québec (CRIAQ). Ce sont des phénomènes intersectoriels, c’est-à-dire qu’ils vont au-delà des frontières de secteurs précis. Ça peut avoir l’air d’une menace, mais les entreprises québécoises spécialisées en aérospatiale voient ce changement de manière positive. Elles se préparent pour en profiter. »
Le CRIAQ en sait quelque chose : en partenariat avec HEC Montréal et Polytechnique, l’organisme à but non lucratif a commandé une étude à ce sujet, en vue d’aider ses partenaires à se positionner avantageusement. Ils sont nombreux : en ajoutant aux grands intégrateurs (Bombardier, CAE, Bell Helicopter, Pratt & Whitney) les multiples PME qui leur fournissent produits et services, l’aérospatiale québécoise totalise plus de 200 entreprises. Elles représentent un peu plus de la moitié des 172 000 travailleurs de l’industrie canadienne, elle-même au troisième rang mondial en aérospatiale. Derrière la santé, celle-ci représente le secteur où il s’investit la plus grande somme en R-D au pays. Alors, quand il est temps de parler de tendances émergentes, ces entreprises sont aux avant-postes. De la réalité virtuelle à l’assemblage Montréal a la chance de compter sur une des sociétés les plus influentes dans son industrie : CAE. Après tout, la formation des pilotes définit comment les avions se comportent. Avec la réalité virtuelle, la formation des professionnels de l’aviation peut toutefois aller plus loin. CAE, qui utilise déjà la réalité virtuelle pour certains programmes de formation dans le secteur de la santé, pourrait le faire aussi dans l’aviation. En fait, en combinant cette technologie à la vision informatique, on pourrait faire bien plus que former des pilotes.
La vision par ordinateur permet d’analyser en temps réel les émotions sur le visage des gens. Un système de formation virtuel et immersif pourrait s’adapter à la réaction des individus et ajuster la formation en conséquence. Il serait donc possible à un futur pilote moins à l’aise dans certains contextes d’améliorer ses Voyager sans passeport... et sans crainte Des avions cargo sans pilote Des avions moins énergivores Le cycle de vie des avions suivi de près Pour en finir avec le triangle des Bermudes
pratiques dans un cadre plus spécifique.
Ultimement, ça rendra le secteur plus sûr et plus efficace. « En combinant l’intelligence artificielle [dont un des éléments est la vision informatique] avec les mégadonnées, on est capable de traiter une vaste quantité d’information en accéléré. Dans l’avion, ça signifie qu’on peut mieux gérer les moteurs pour réduire leur charge, accroître leur durabilité et optimiser leur consommation, poursuit Denis Faubert. En fait, l’impact se fait sentir jusque dans la chaîne de montage : en automatisant les appareils de la chaîne et en introduisant une IA adaptée à ce contexte, il sera possible de fabriquer des avions plus rapidement et de façon moins coûteuse. »
Un avionneur pourra aussi mieux prévoir ce qu’il advient de ses produits une fois leur vie utile terminée. À l’heure où l’industrie de l’aérospatiale est appelée à faire sa part en environnement, c’est un atout qui fera la différence entre une vente de plusieurs exemplaires d’un modèle précis et la perte d’un contrat au profit d’un concurrent.
« Le temps et l’argent que feront épargner ces technologies feront la différence, conclut le porte-parole du CRIAQ. C’est ahurissant la vitesse à laquelle elles vont débouler dans notre industrie. Ce qu’il y a de bien au Québec, c’est qu’on est en train de se préparer à ces changements. »
la