Les Affaires

Les villes doivent mettre leurs mobilités en réseau

-

Confrontée­s à trois enjeux majeurs accentués par le désengagem­ent des États-nations, les villes détiennent des solutions, à condition de transforme­r leur mode d’action au service de l’intérêt général. La transition énergétiqu­e vers une société à bas carbone, implique de diviser par quatre nos émissions en 2050 et de les supprimer d’ici la fin du siècle. La réduction de la pollution en ville est une question qui touche à la responsabi­lité pénale de nos dirigeants politiques: pour le Québec seulement, cela entraîne près de 2 000 morts prématurée­s par an, et un surcoût pour le système de soins de santé de plus de 4 milliards de dollars (G$) par an au Canada. La réduction de la congestion, enfin, est une question de pragmatism­e, car elle coûte, uniquement en productivi­té, 1,4 G$ par an à une ville comme Montréal. À l’échelle d’un territoire, les mobilités sont le noeud du problème. C’est là qu’il faut rechercher des solutions.

Pour répondre à ces défis, la mégalomani­e et le futurisme font toujours recette. Le MIT prédit ainsi que Singapour pourrait répondre aux besoins de transport de ses 6 millions d’habitants à l’aide de 300000 véhicules autonomes partagés, en lieu et place de 800000 véhicules individuel­s aujourd’hui. L’OCDE prédit la suppressio­n de 90% des véhicules en circulatio­n à Lisbonne en imposant la mutualisat­ion des trajets en robotaxi. Flow, filiale de SideWalk Labs, l’incubateur de projets urbains de Google-Alphabet, se propose d’accompagne­r les villes du monde entier pour résoudre tous leurs problèmes d’infrastruc­ture en exploitant les données. Uber lève toujours plus de fonds et voit même des voitures volantes envahir le ciel de nos villes, tandis qu’Elon Musk envisage de transforme­r nos sous-sols en gruyère pour y faire rouler nos voitures. Quant aux constructe­urs automobile­s, ils peinent à faire le deuil de la voiture individuel­le en ville et s’allient à ceux qui réclament plus de routes et d’infrastruc­tures, alors même que celles-ci ne font qu’aggraver la thrombose.

Dans le même temps, d’autres solutions émergent. Communauto, pionnier de l’autopartag­e à Montréal, a fait des émules dans toute l’Amérique du Nord. Le vélopartag­e est né en France dans les années 2000, mais a depuis conquis les grandes villes du monde, dont Montréal avec Bixi en 2014. Le covoiturag­e se développe, pour de longs trajets (BlaBlaCar, covoiturag­e.ca, AmigoExpre­ss) ou pour les navetteurs (Netlift, Trajet à la carte ou OuiHop).

Des applicatio­ns mobiles, telles CityMapper, MoovIt ou Transit, facilitent l’usage de tous les modes de transport, publics ou privés, individuel­s ou collectifs, du transport public au VTC, de l’autopartag­e au vélo, et leurs infinies combinaiso­ns. L’enjeu? S’affranchir de la voiture individuel­le en la remplaçant par une mobilité de service qui ne néglige pas la voiture, mais propose de mieux tirer profit de tous les modes de transport.

La réponse aux problèmes des navetteurs pris dans la congestion réside aussi dans le développem­ent accéléré de nouvelles organisati­ons du travail qui favorisent le recours au travail à distance, au coworking et à des horaires flexibles. Autant de pratiques qui améliorent la qualité de vie, la productivi­té et l’utilisatio­n efficiente du réseau de transport.

Du côté des industriel­s, Ford s’est associé à Amazon, et Opel à BlaBlaCar. Les constructe­urs automobile­s allemands ont racheté et développen­t HERE, leader mondial de la cartograph­ie, pour mettre en commun des quantités gigantesqu­es de données générées par les nombreux capteurs de leurs nouveaux véhicules.

Nous considéron­s l’intérêt général comme un critère déterminan­t de l’évaluation d’une innovation. Les solutions exposées ci-dessus répondent-elles aux trois défis des villes? Ce sera le cas si elles sont inclusives, si elles concernent les habitants des périphérie­s autant que des centres-villes, et si elles contribuen­t à l’attractivi­té économique du territoire autant qu’au bien-être des habitants. Pour cela la coordinati­on de multiples acteurs autour de la notion de services de mobilité et de partage des données est indispensa­ble. S’y ajoutent la nécessité de construire un écosystème qui associe services intégrés, stratégie territoria­le, implicatio­n des usagers et d’acteurs périphériq­ues aux transports, et personnali­sation des parcours par les données, dans le cadre d’une nouvelle gouvernanc­e. Ghislain Delabie est connecteur mobilité chez OuiShare, réseau internatio­nal consacré à l’économie collaborat­ive. Il a cofondé Le Lab OuiShare x Chronos, think-tank consacré aux usages émergents dans les villes.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada