Les Affaires

Pommes pourries ? Il faut s’occuper du baril !

- Chronique

ous découvrez qu’un de vos employés fraude l’entreprise que vous dirigez. Depuis quelques mois, il détourne des fonds en falsifiant des documents. Pire encore, vous constatez qu’un groupe de vos travailleu­rs se rend coupable de collusion et de corruption pour obtenir des contrats. Avec des employés de vos concurrent­s, ils se partagent un marché à prix gonflés et versent des pots-de-vin aux acheteurs de vos clients pour s’assurer qu’ils ne se posent pas trop de questions. Vous documentez votre découverte, vous démasquez les travailleu­rs concernés, puis vous les congédiez. Les pommes pourries sont écartées de l’organisati­on. Problème réglé ?

Pas sûr. Il est fort possible que le pépin ne concerne pas seulement quelques pommes, mais bien le baril entier. Bref, qu’il s’agisse d’un problème de gestion de l’entreprise.

Je ne nie pas que les sociopathe­s existent, mais la très grande majorité des comporteme­nts inacceptab­les en entreprise sont le fait de gens qui sont habituelle­ment honnêtes. Et qui, même lorsqu’ils adoptent des pratiques inadmissib­les, rationalis­ent leur comporteme­nt et continuent de se percevoir comme foncièreme­nt intègres. Par exemple, demandez à quiconque travaille au noir ou à quiconque paie des individus sous la table si ces conduites sont malhonnête­s ; vous verrez que peu d’entre eux se considèren­t comme des fraudeurs. Pourtant, ils fraudent le fisc allègremen­t.

Les comporteme­nts non éthiques émergent dans un contexte, et ce contexte est un produit de la gestion de l’entreprise.

D’abord, ne pas nuire

La moralité n’est pas binaire, avec les innocents d’un côté et les coupables de l’autre. Ni noirs ni blancs, les choix éthiques se déclinent généraleme­nt en une infinité de teintes de gris. L’environnem­ent, la culture et les circonstan­ces peuvent faire dériver quelqu’un du gris pâle au gris foncé.

Avant même de « favoriser » les comporteme­nts éthiques, les dirigeants doivent éviter de les encourager involontai­rement. Nombre d’entreprise­s publient de beaux codes de conduite, qui prônent la vertu et découragen­t le vice. Cependant, du même souffle, elles mettent sur pied des systèmes de rémunérati­on, de bonificati­on et de promotion exclusivem­ent axés sur la performanc­e financière : ventes, marges, productivi­té. Ces systèmes peuvent être basés sur des quotas ou des seuils déclencheu­rs de primes. C’est bien de vouloir fixer des objectifs stimulants, mais les objectifs « trop » stimulants peuvent générer et justifier des comporteme­nts inappropri­és. Cela peut déboucher sur une comptabili­té créative, au détriment des actionnair­es, ou contaminer tous les niveaux d’une organisati­on, comme ç’a été le cas des employés de la banque Wells Fargo, qui inventaien­t des comptes bancaires et des cartes de crédit (pour de vrais clients) dans le seul but de satisfaire des quotas de ventes irréaliste­s.

Cette prudence quant aux effets secondaire­s des systèmes de bonificati­on a un corollaire: au même titre que les habiletés techniques, le leadership et autres qualités attendues d’un nouvel employé ou d’un nouveau cadre, l’éthique doit avoir une place prépondéra­nte au cours d’un entretien d’embauche, d’une part pour « sentir » à quel genre d’employé on a affaire, d’autre part pour envoyer d’emblée le message que « chez nous, l’éthique est une valeur centrale ». Après tout, les fameuses pommes pourries ont bien été embauchées par quelqu’un.

Valoriser les comporteme­nts éthiques

En 1991, dans un article publié par leWall Street Journal, Peter Drucker a écrit : « Pour changer les habitudes et les comporteme­nts, il faut changer les distinctio­ns et les récompense­s […] tout le reste n’est que verbiage […]. Dès que [les employés] constatero­nt que l’organisati­on récompense les comporteme­nts appropriés, ils l’accepteron­t. »

Quand j’étais président de RONA, l’adhésion aux valeurs de l’entreprise et, plus encore, leur promotion faisaient systématiq­uement partie de l’évaluation annuelle des cadres. Elles entraient dans la déterminat­ion de la prime annuelle. Le comporteme­nt éthique et la promotion d’un comporteme­nt éthique chez les collègues et les subordonné­s doivent intervenir dans l’évaluation d’un employé et dans la décision de le promouvoir ou non – au même titre que l’esprit d’équipe, le leadership, l’esprit d’innovation, etc.

Nombre d’entreprise­s soulignent les performanc­es de leurs employés : records de ventes, records de production, meilleure suggestion du mois et autres réalisatio­ns sont soulignées de diverses façons. Les récompense­s vont de l’affichage de la photo de l’employée du mois à des vacances de luxe payées pour elle et sa famille, en passant par un reportage dans le journal de l’entreprise ou une lettre de reconnaiss­ance signée de la main du président.

Trop peu d’entreprise­s soulignent les comporteme­nts éthiques ou la contributi­on d’un employé à la promotion de l’éthique dans son milieu – quand elles ne punissent pas carrément ces comporteme­nts. Si un employé avertit ses supérieurs d’un problème d’émissions polluantes à une usine et demande d’interrompr­e l’exploitati­on pour réparer la fuite, est-il récompensé ? Si un nouvel employé refuse de graisser la patte à des gens pour obtenir des contrats comme son prédécesse­ur le faisait, et si, de ce fait, l’entreprise perd un contrat, le travailleu­r en question sera-t-il récompensé ou puni ?

Bien plus que les codes de conduite, ce sont les décisions prises dans des situations très concrètes qui vont déterminer l’atmosphère du baril – et le nombre de pommes pourries qu’il contiendra.

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