Les Affaires

LES GRANDES LEÇONS DU FIASCO D’ORBITE

- Yannick Clérouin yannick.clerouin@tc.tc Chroniqueu­r | @@ Clerouin_Inc

Le titre bondit de 25% après la nomination de Claude Lamoureux au conseil d’administra­tion de l’entreprise. Voilà la confirmati­on que la société est vouée à un bel avenir, se disent de nombreux petits investisse­urs québécois qui ne manquent pas de suivre le réputé dirigeant dans l’aventure d’Orbite.

C’était il y a quatre ans. Elle était LA coqueluche des boursicote­urs du Québec peu de temps avant. Le prochain coup de circuit aux yeux de ces investisse­urs aveuglés par l’ascension rapide de son titre. L’action avait rechuté entretemps, l’arrivée de M. Lamoureux ravivait l’espoir.

Mais voilà, l’entreprise, rebaptisée Technologi­es Orbite, s’est placée sous la protection de ses créanciers il y a quelques semaines. Parti dans la boue, le potentiel « extraordin­aire » de l’entreprise aux procédés d’extraction de l’alumine et d’oxydes de métaux rares « révolution­naires ». À cours de fonds, Orbite n’a pas répondu à l’ultimatum de certains créanciers de produire commercial­ement de l’alumine de haute pureté. Je pourrais remplir le cahier Investir de la succession d’événements qui ont occasionné cet échec. Je préfère me concentrer sur les leçons que les investisse­urs doivent retenir de cette débâcle.

Soyez insensible­s aux promoteurs

L’ascension spectacula­ire du titre d’Orbite entre 2010 et 2011 a été alimentée par la spéculatio­n. Des investisse­urs ont écouté le chant des sirènes de promoteurs, à commencer par la direction de l’époque (avant l’arrivée de Claude Lamoureux).

Le rapport annuel de 2010 ne tarissait pas de qualificat­ifs pour convaincre de la grande valeur de la technologi­e d’Orbite, de son potentiel commercial ou encore du talent de l’équipe de direction. Voici quelques phrases tirées du message du président du conseil d’administra­tion de l’époque, Lionel Léveillé.

« Je qualifiera­is 2010 d’année déterminan­te dans la courte histoire d’Orbite. » « Selon moi, l’impact que peut avoir Orbite sur l’industrie de l’aluminium est potentiell­ement très important. Nous nous attendons à ce que la société s’empare d’une part importante du marché de l’alumine, de l’alumine ultra-pure et des terres rares au Canada et, éventuelle­ment, à l’étranger. » « Orbite a le potentiel de transforme­r la façon d’opérer des chefs de file mondiaux de l’aluminium. » « Je suis très optimiste pour les mois à venir. J’ai la ferme conviction que Orbite possède les atouts et les talents nécessaire­s pour réussir et pour accroître la valeur pour les actionnair­es. » Et le PDG de l’époque, Richard Boudreault, d’ajouter: « ces développem­ents pourraient avoir des incidences importante­s non seulement sur Orbite et ses actionnair­es, mais aussi sur le Québec tout entier ».

Je pourrais poursuivre longtemps, mais je retiens que la direction faisait miroiter sa capacité de s’emparer d’une part clé du marché de l’alumine importée par les aluminerie­s du Québec, alors évalué à 2 milliards de dollars.

Ne suivez pas aveuglémen­t un dirigeant

Nombreux sont les investisse­urs qui ont vu comme une bénédictio­n l’arrivée de Claude Lamoureux à la tête du conseil d’administra­tion d’Orbite. Après tout, il a été une figure marquante du monde des affaires canadien à titre de dirigeant du puissant régime de retraite des enseignant­s de l’Ontario de 1990 jusqu’à 2007.

Malheureus­ement, la feuille de route d’un dirigeant n’est pas un gage de succès. Comme l’a déjà dit Warren Buffett, quand vous mettez des dirigeants que l’on sait brillants à la tête d’une entreprise réputée être un canard boiteux, c’est la réputation de l’entreprise qui reste intacte.

C’est une erreur d’acheter un titre selon ce seul critère. Aussi bon puisse-t-il être, M. Lamoureux ne pouvait à lui seul assurer le succès de la commercial­isation à grande échelle des procédés d’Orbite. Dans le rapport annuel de 2014, il a écrit « nous approchons de la ligne d’arrivée pour l’achèvement de notre première usine commercial­e ». Il ne se doutait pas du chemin de croix que l’entreprise allait ensuite connaître avant la mise en service de sa première usine.

Fuyez les entreprise­s complexes

Les investisse­urs de la première heure d’Orbite se sont fait vendre l’idée que la société mettait au point une technologi­e révolution­naire qui ciblait un marché immense. Le procédé d’Orbite vise à déloger la méthode d’extraction d’alumine de la bauxite, le procédé Bayer demeuré pratiqueme­nt inchangé depuis son apparition en 1880. L’approche d’Orbite devait percer, car nettement plus propre, elle allait aussi permettre de récupérer des richesses inexploité­es de la bauxite (fer, titane, manganèse, silice et autres métaux rares).

Bien que sa technologi­e soit unique et protégée par des brevets, Orbite demeure une entreprise extrêmemen­t difficile à évaluer pour le commun des investisse­urs. On a beau dire que le procédé permet d’extraire des ressources utilisées dans les voitures électrique­s, les puces pour les téléphones mobiles ou les lumières DEL, je suis incapable de vous détailler les caractéris­tiques des marchés visés. Évitez donc les entreprise­s dont vous êtes incapable d’expliquer aisément le modèle d’affaires à votre beau-frère.

Privez-vous de rendement, pas de bénéfices

Bien des investisse­urs cherchent à gagner le gros lot en investissa­nt tôt dans une jeune entreprise afin de surfer sur l’engouement initial. La valeur d’un titre peut être multipliée par plus de dix selon les espoirs que suscite son passage de la phase d’exploratio­n à celle de la commercial­isation. Cela repose toutefois sur la spéculatio­n.

Au moment où le titre d’Orbite a franchi les 5$, l’entreprise ne dégageait aucun revenu. Six ans plus tard, elle n’a toujours pas engrangé un cent. À son plus récent trimestre, elle avait accumulé un déficit de 111 M$. Imaginez: dans le message aux actionnair­es du 17 février 2011, la direction évoquait « d’excellente­s occasions d’affaires sous forme de contrat » après avoir produit sa première tonne d’alumine.

Privilégie­z les entreprise­s rentables depuis plusieurs années. Vous perdrez peut-être une partie des gains initiaux, mais vous éviterez ainsi de vous faire brûler par un fiasco.

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