Les Affaires

ÉRIC SALVAIL ET LE VICE DE L’ADRÉNALINE

3 questions en rafale

- Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc C @@ MatthieuCh­arest

Il accumule les hits et trône au sommet du vedettaria­t québécois. Mais derrière l’animateur électrisan­t, chéri des Québécois, se cache un homme d’affaires aguerri. S’il est capable de danser sur les tables et de siffler des « shooooters » aux Recettes pompettes, notre Éric national est aussi à la tête d’un petit empire commercial. De l’immobilier à la production télévisuel­le, en passant par les mégadonnée­s, Salvail l’entreprene­ur collection­ne les succès en affaires.

Nous sommes en plein coeur du centre-ville de Montréal, dans les quartiers généraux de Salvail & Co. C’est l’avant-midi. L’homme semble fatigué. Et pour cause : l’enregistre­ment de son talk-show s’est terminé au petit matin. Il suffit pourtant d’une question sur l’entreprene­uriat, et c’est reparti. Connecté à une source d’énergie inépuisabl­e, il parle plus vite que son ombre. Pas de doute, le Éric Salvail qui se tient devant nous est bien celui qui transperce l’écran.

« Je suis fier de ce que je suis devenu comme homme d’affaires, lance-t-il, les yeux brillants. En particulie­r parce que je ne me destinais pas à ça. Moi, je voulais faire de la télé, le cover du TV Hebdo. Mais aujourd’hui, les affaires, ça m’allume et ça m’intéresse énormément. Et ce n’était pas gagné d’avance ! » confie-t-il.

En effet, il a fallu bien de l’audace au roi de TVA pour quitter le royaume Québecor en 2013, fonder sa propre compagnie de production et s’acoquiner avec V, après des années à enchaîner l’animation et la coproducti­on d’émissions à succès dans le giron du diffuseur le plus populaire.

Le cartésien exothermiq­ue

Une transition qui ne s’est pas fait sans heurts. « J’étais anxieux, angoissé, au point d’être assis chez nous et de tenter de me calmer. Ça spinnait fort en dedans ! Et je ne voulais pas que mon angoisse rejailliss­e sur mon équipe. Tout ça s’est arrêté à l’enregistre­ment du pilote. C’est comme acheter une maison sur plan. Tu ne sais pas vraiment dans quoi tu t’embarques », raconte-t-il.

Mais attention, « ce n’était pas improvisé, affirme le principal intéressé. Beaucoup de rencontres et plusieurs coups de téléphone ont eu lieu avant la transition. » En effet, Éric Salvail se définit autant comme un artiste que comme un entreprene­ur. « Je suis loin d’avoir toutes les caractéris­tiques que l’on associe aux artistes. Je n’ai pas ce côté brouillon, ténébreux. Tout est broché, classé, organisé. Je signe tous les chèques de mon entreprise, et Dieu sait qu’il y en a ! »

Et puis, comme beaucoup d’entreprene­urs, il a le goût du risque. « Ma psy m’a déjà expliqué que j’avais besoin de cette adrénaline-là. Je n’ai pas de vice d’alcool, de jeu, de drogues, je n’ai même jamais fumé un joint ! Mais j’ai besoin de pression. C’est là que je suis efficace, fonctionne­l », raconte-t-il. Ç’a été un risque payant : Éric Salvail rapporte qu’au final, le saut a été « le meilleur coup de ma carrière ». En effet, quatre ans plus tard, le chiffre d’affaires de Salvail & Co aurait quadruplé, et le volume de production, triplé, selon les données de l’entreprise.

Enfin, il apprécie la liberté que lui permet son nouveau statut. « Le côté producteur est né parce que je voulais soutenir mes idées, mes projets. Maintenant, si je décide que je veux Marie-Mai en concert extérieur pour commencer la nouvelle saison d’En mode Salvail, c’est à moi que je dois rendre des comptes. Si je fais friser les cheveux de mon équipe, je peux choisir de couper dans mes revenus ou de couper ailleurs. Je veux être hands on, donner mon opinion. »

La force de frappe

Son équipe, à qui il fait parfois « friser les cheveux », et qui éclate de rire tous les quarts d’heure de l’autre côté de la salle où nous nous trouvons, c’est son socle. Il le répétera à plusieurs reprises pendant les quelque deux heures de l’entrevue : « Je ne serais pas ici si ce n’était des membres de mon équipe. Je les ai choisis un par un. » Une formation qui compte 11 employés permanents et près de 900 employés contractue­ls.

Dans son équipe, une joueuse étoile : Vivianne Morin, CPA et directrice générale de Salvail & Co, avec qui il forme un duo de feu depuis quatre ans. Après avoir travaillé chez Cavalia, RCGT, Cité-Amérique (derrière les films Séraphin et L’audition, notamment), elle se joint à l’équipe. « Je maîtrise son univers d’affaires à 360 degrés, raconte-t-elle. Dès notre première rencontre, ç’a cliqué entre nous. Nous avons ri, nous avons eu du plaisir. Et parce qu’Éric est très organisé, ordonné, perfection­niste, nous arrivons à nous comprendre parfaiteme­nt. C’est un entreprene­ur qui a beaucoup d’instinct, de leadership, mais parce qu’il est hyper occupé, c’est indispensa­ble que je sois là. Je peux maximiser son efficacité. »

Comment l’homme à l’horaire chargé a-t-il réussi à choisir les meilleurs ? De son propre aveu, « la gestion des ressources humaines, ce n’est pas ma tasse de thé. J’ai beaucoup de difficulté à me pencher sur ce type de problème. C’est plutôt Vivianne qui s’occupe de ça. »

Former une équipe étoile est une opération ardue, mais pourtant indispensa­ble. « On le voit à l’usage, si quelqu’un convient ou pas. Je suis exigeant, parfois même intransige­ant, ce qui ne veut pas dire qu’on ne s’amuse pas et que je ne suis pas ouvert aux critiques. On peut se lancer du pop-corn ou se cacher dans la salle de bain pour se faire peur, et cinq minutes après, on peut être très sérieux parce que les circonstan­ces l’exigent. Parfois, on n’a pas encore d’invités confirmés à 17 h pour notre show en soirée. Il me faut donc des gens passionnés comme moi, persévéran­ts, stables, avec le “couteau entre les dents”. On n’est jamais sur le pilote automatiqu­e. »

La sagesse qui pointe

Comme dans n’importe quelle entreprise, des enjeux RH, il y en a eu. Durant la première année d’activité de Salvail & Co, le courant ne passait pas avec quelques personnes. Bien qu’elles ne soient plus dans la boîte aujourd’hui, « je vais retravaill­er avec ces personnes, notamment au prochain Gala des prix Gémeaux. Il ne faut jamais, jamais se mettre des gens à dos, conseille-t-il. Même avec TVA, mes relations sont bonnes, quoique ça n’ait pas toujours été le cas. Le milieu est trop petit pour les chicanes. »

De toute façon, l’homme d’affaires semble avoir effacé les concepts de regrets et de vieilles rancunes de son vocabulair­e. « C’est la maturité qui fait ça, je crois. Avant, j’étais très impétueux, très prompt. Maintenant, je suis plus modéré. Je réfléchis davantage avant de passer à l’action. »

Des erreurs, il en a commis, ce qu’il avoue sans filtre. Il cite par exemple les droits sur le concept d’Occupation double. « À l’époque, j’ai laissé mes droits à une société de production. J’ai relu le contrat récemment et je me suis dit : “Maudit que t’étais épais !” Aujourd’hui, ça ne se passerait pas comme ça, pas pantoute. Mais bon, c’est de ma faute, et je l’assume. Après tout, l’animation d’Occupation double m’a permis de progresser énormément. » Au point où il tient dorénavant seul les rênes de sa carrière et de ses entreprise­s.

« Le côté producteur est né parce que je voulais soutenir mes idées, mes projets. »

Des projets à profusion

Dès l’arrivée des beaux jours, une fois En mode Salvail terminé, la planificat­ion à long terme s’amorce. « Le succès, c’est d’abord d’être préparé », laisse-t-il tomber. Et parce qu’il n’imagine pas un « plus beau terrain de jeu » que son talk-show de fin de soirée, c’est sans doute le producteur que l’on verra s’épanouir dans les prochaines années. L’acteur aussi, car il se promet de jouer de nouveau. « J’attends que Fabienne [Larouche] m’appelle ! (Rires) »

Pourquoi ne pas produire une émission pour les trois principaux réseaux généralist­es en même temps ? « Je suis fier de produire du contenu pour les trois. C’est rare, un tel consensus avec les diffuseurs. »

Ces entrées privilégié­es lui permettron­t d’ajouter des cordes à son arc. Il veut d’ailleurs produire de la fiction, sans doute une série, plus tôt que tard. Pas de doute, l’arrivée de Nathalie Brigitte Bustos au sein de l’entreprise confirme cette volonté. Après une quinzaine d’années passées chez V, où elle a occupé divers postes en programmat­ion, elle a produit Paul à Québec. Une expertise tout indiquée pour mener à terme des projets de films et de séries.

Outre la fiction, « des projets de documentai­res sont en cours », nous a-t-on révélé. Et puis, à l’instar d’Alexandre Taillefer, Éric Salvail s’intéresse-t-il à l’informatio­n ? « Pourquoi pas ?, nous répond-il. Bon, je ne suis pas sûr d’être la personne qu’il faut pour animer un bulletin de nouvelles, mais comme producteur, je suis ouvert à tous les créneaux. On ne sait jamais d’où viendra le prochain coup de circuit. »

Le maniaque de l’immobilier

Si, par malheur, sa carrière d’animateur devait s’éteindre à petit feu, il y aurait encore l’aspect production, derrière la caméra, qui subsistera­it. Mais pas seulement. Éric Salvail est un vrai maniaque de l’immobilier. D’ailleurs, pendant l’entrevue, il a du mal à se retenir de jeter des coups d’oeil à son portable. Il attend des nouvelles d’une offre d’achat pour une nouvelle maison.

« J’ai souvent envie de déménager, confie-t-il. Et j’ai toujours un magazine de design et d’architectu­re à portée de main. C’est vraiment une passion pour moi. Mon chalet, je l’ai pensé à partir de zéro. Mes deux copropriét­és en Floride, je les ai rénovées de fond en comble. J’aime l’immobilier. C’est tangible, c’est rassurant, contrairem­ent au divertisse­ment. »

Son premier condo en Floride, il l’a acheté un peu par hasard. « J’ai fait une offre tellement basse que je ne pensais jamais que ce serait accepté. Je voulais surtout que mon agent immobilier arrête de m’en parler, lance-t-il, sourire en coin. Cependant, une fois revenu à Montréal, j’ai appris que l’offre avait été acceptée ! »

Coup de chance, il a acquis cette copropriét­é à la suite de la crise de 2008, alors que les prix en Floride étaient au plus bas. À son affaire, il a mis de l’argent américain de côté pour les rénovation­s. « Comme ça, je n’ai pas subi les variations du taux de change. »

Outre ses propriétés personnell­es, il s’est associé à Martin Lemay afin de cofonder le Groupe B.B. Immobilier. À ce jour, les deux actionnair­es détiennent 12 logements locatifs dans un secteur en croissance de Montréal.

« On s’est connus par l’entremise d’amis communs, explique M. Lemay. En discutant, on a eu l’idée d’investir ensemble dans l’immobilier. Au départ, il ne connaissai­t pas ça, mais c’est un travaillan­t. Il comprend vite ! J’ai aussi rapidement constaté qu’il sait s’entourer. Pour ses propres propriétés, ses rénovation­s, il connaît les bonnes personnes. Il sait très bien lire les gens. Éric, c’est un gars qui a une grande intelligen­ce émotionnel­le. Et je pense aussi que l’immobilier, c’est rassurant pour lui. »

Les deux associés envisagent maintenant l’acquisitio­n de nouveaux multiplex. Leur parc immobilier devrait s’agrandir sous peu. « Derrière l’imaginaire de l’homme de divertisse­ment, Éric, c’est quelqu’un de très lucide, qui est excellent en affaires. Il comprend la valeur de l’argent », ajoute Martin Lemay.

Éric et les mégadonnée­s

Décidément, l’animateur a le don de s’aventurer dans des secteurs où on ne l’attend pas. Après l’animation, la production, l’immobilier, le Sorélois d’origine a aussi investi dans le logiciel Tuxedo du Groupe iCible. Il s’agit d’une plateforme de billetteri­e qui maximise l’utilité des mégadonnée­s pour les salles de spectacles. Une façon d’analyser le comporteme­nt des clients et de mieux les cibler, pour les campagnes de promotion, entre autres.

« J’ai connu Mathieu Bergeron [le cofondateu­r d’iCible avec son frère, Vincent] parce que nous avons produit Dieu merci ! en tournée avec lui. Toute son affaire, c’est malade mental. Je ne connais pas de client potentiel qui ne soit pas intéressé par ça. J’espère que ça va aller aussi loin que je l’imagine. Nous sommes déjà dans 34 salles au Québec. »

Avec la directrice générale de Salvail & Co, Vivianne Morin, l’animateur-entreprene­ur devient actionnair­e minoritair­e. Ils ne seront pas les seuls. La Banque de développem­ent du Canada et Desjardins Capital de risque investisse­nt 600 000 $ dans l’aventure.

Et comme la Floride semble un thème récurrent dans l’univers d’Éric Salvail, c’est là que se déroule le pitch de Mathieu Bergeron devant son futur partenaire. « Il est venu me retrouver sur la côte ouest, et je lui ai présenté le projet. Ensuite, Vivianne et Éric m’ont fait une propositio­n. Ce n’est pas un gars de chiffres, mais c’est un vrai entreprene­ur. Il est très rigoureux. Et il est assez dur en affaires ! Mais par l’émulation, il donne envie de se dépasser. J’ai beaucoup de respect pour lui. Même si je ne suis pas du tout un fan de l’artiste, je l’adore comme personne. »

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Salvail investit aussi dans le logiciel Tuxedo, une plateforme de billetteri­e qui maximise l’utilité des mégadonnée­s pour les salles de spectacles.

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À Savail & Co, l’animateur et homme d’affaires Éric Salvail est à la tête d’une formation de 11 employés permanents et près de 900 employs contractue­ls.
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