CE QUE VEULENT LES INVESTISSEURS
Carle, n Sylvai
Moins de 5 % des demandes de financement en capital de risque sont couronnées de succès. Pour que votre projet se démarque, il devra être innovant. Radicalement. Une révolution, sinon rien !
LLes investisseurs présents dans l’écosystème montréalais des start-up reçoivent chaque année des milliers de demandes d’investissement. Or, moins de 5% de ces jeunes pousses réussissent à obtenir du financement. Qu’est-ce qui les distingue des autres? « Décider d’investir dans une société en démarrage repose parfois sur des facteurs très subjectifs. Il peut s’agir d’une société qui veut percer un secteur dans lequel nous avons eu une sortie payante récemment ou d’une entreprise qui s’est démarquée par la qualité de son introduction », confie Chris Arsenault, associé principal chez iNovia Capital, un fonds de capital de risque qui compte 500 millions de dollars sous gestion. M. Arsenault dit regarder quelques facteurs dès le départ, dont l’expérience et le bagage de l’entrepreneur, de même que l’état du marché par rapport au produit qui sera lancé. « Le commerce électronique existe depuis une vingtaine d’années et il serait très difficile pour n’importe quelle start-up de s’y démarquer. Par contre, si le marché est jeune et potentiellement énorme, l’occasion est là », explique-t-il.
Du côté de BDC Capital, division de la Banque de développement du Canada, on examine surtout cinq critères avant de faire un choix. En plus de la qualité de l’équipe de direction, l’entreprise doit bien cadrer avec la stratégie d’investissement du fonds. « Nous cherchons un modèle d’affaires disruptif. Nous ne cherchons pas des améliorations de produits qui existent déjà, mais plutôt des innovations radicales », explique Dominic Bélanger, directeur général des investissements-fonds. Les dirigeants doivent également connaître les métriques de l’industrie et de leur produit. « Chaque industrie a ses unités de mesure. Le commerce électronique ne se mesure pas de la même manière que la fabrication de vêtements », illustre M. Bélanger.
Pour ce qui est des produits, les entrepreneurs devraient, par exemple, être capables d’évaluer le coût d’acquisition et de rétention d’un client, sa valeur durant sa relation avec la société et le ratio de perte de clients. Pour les entreprises qui offrent des services dans l’infonuagique, la croissance du revenu récurrent mensuel est un indicateur incontournable.
La particularité du modèle d’affaires de BDC Capital est qu’elle investit directement 50 M$ par année dans les entreprises technologiques au Canada, mais aussi 100M$ dans divers fonds (elle a entre autres des participations dans Real Ventures, iNovia et TandemLaunch).
Changement de paradigme
« Après un peu plus de quatre ans, on s’est rendu compte qu’il était très difficile de prévoir, au tout début du parcours, si une start-up allait avoir du succès ou non. La façon la plus simple de s’y prendre, c’est de laisser les jeunes pousses s’auto-éliminer », croit Xavier-Henri Hervé, directeur général chez District 3 Innovation Center, l’accélérateur de l’Université Concordia.
Certains dirigeants vont, par exemple, constater après quelques mois que leur modèle d’affaires ne tient pas la route. « On a tendance à créer un entonnoir assez fort et, quand huit équipes entrent à l’accélérateur, il est rare que plus de trois ou quatre d’entre elles terminent le programme », affirme-t-il.
M. Hervé, l’un des cofondateurs du fabricant de simulateurs de vol Mechtronix, ajoute que l’accélérateur cherche des entreprises offrant un produit qui comble un besoin non satisfait. « Nous voulons des gens qui peuvent nous expliquer à quel besoin ils répondent et en quoi ils auront une véritable valeur ajoutée. Il n’est pas question d’améliorer un peu un produit existant, il faut provoquer un changement de paradigme », dit-il.
Les dirigeants qui veulent entrer chez District 3 doivent être prêts à se remettre en question. « Nous cherchons des équipes de direction qui sont prêtes à retrousser leurs manches et à se mettre les mains dans le cambouis pour arriver à leurs fins », ajoute-t-il.
Sylvain Carle, directeur général de l’accélérateur FounderFuel, parle aussi de l’importance de l’équipe initiale de direction, qui comprend souvent deux ou trois personnes. « Pour te joindre à l’accélérateur, il faut que tu arrives au moment où tu commences à présenter ton produit à des clients potentiels. Il n’est pas nécessaire d’avoir généré des ventes, mais il faut trouver un objectif significatif en lien avec ce que les dirigeants sont en train de bâtir », explique-t-il.
Le dirigeant, aussi associé au fonds Real Ventures, donne l’exemple d’une entreprise de robotique dont l’objectif, au sein de l’incubateur, était de trouver 10 laboratoires universitaires prêts à essayer son kit de développement. Un autre objectif, dans un contexte de modèle d’affaires reposant sur le nombre d’utilisateurs, pourrait être d’aller chercher 10000, voire 100000 abonnés en trois mois. « Les objectifs
sont très différents selon les types d’entreprises », dit M. Carle.
Lorsque les entreprises ont leurs premiers clients et sont à l’étape de la croissance, elles peuvent aller frapper à la porte de Real Ventures pour tenter d’obtenir un montant variant de 500000$ à 1M$. À cette étape, les critères de sélection sont différents. « Chez Real Ventures, avant d’investir, il faut que je comprenne qu’un jour ta société va valoir 100M$. Bien sûr, le cheminement ne se fera pas en ligne droite, mais il faut que tu m’expliques comment tu penses te rendre là », raconte Sylvain Carle.
Une entreprise qui génère 5 cents de revenus par utilisateur aurait besoin de 2 milliards d’abonnés pour générer un chiffre d’affaires annuel de 100M$. Un bassin trop grand pour pouvoir atteindre cet objectif.
Sylvain Carle décrit les bons entrepreneurs en une petite formule: le potentiel multiplié par le momentum. « Le momentum, c’est ce que tu fais pour avancer dans la bonne direction, la vitesse à laquelle tu progresses. Je rencontre beaucoup de gens qui ont du potentiel, mais peu qui ont aussi du momentum. Ceux et celles qui possèdent cette combinaison seront capables de se faire financer », dit-il.
Apprendre à vivre avec l’échec
Le fonds d’investissement en capital de risque 500 Startups Canada, filiale de l’entreprise américaine 500 Startups, a annoncé à la fin du mois de mars la conclusion d’un financement de 30M$ qui servira à réaliser une cinquantaine d’investissements au pays au cours des trois prochaines années. L’un des associés de l’entreprise, David Dufresne, souligne aussi l’importance de négocier avec des entrepreneurs d’expérience, que ceux-ci aient connu le succès ou l’échec dans le passé.
« Nous avons une approche très américaine lorsque nous analysons un entrepreneur qui a vécu un échec commercial avec une entreprise. Nous ne voyons pas l’échec comme un handicap ou une faiblesse, pourvu que nous saisissions pourquoi ça n’a pas fonctionné. Il faut aussi que l’entrepreneur comprenne quelles erreurs ont été commises, afin d’éviter de les reproduire », dit-il.
M. Dufresne concède que, si un échec commercial est le résultat d’une « grossière incompétence » de l’entrepreneur, il ne sera pas intéressé à investir. Par contre, il sera plus indulgent s’il comprend que le marché n’était pas prêt pour le produit et la technologie. « Parfois, des compétiteurs profitant de plus gros investissements ont réussi à arriver en premier sur le marché et à le dominer. Nous pouvons alors faire la part des choses », explique-t-il.
L’entrepreneur doit avoir appris de cette expérience au moment de se constituer une nouvelle équipe de direction pour démarrer un autre projet. Lorsqu’un entrepreneur arrive à s’entourer des mêmes dirigeants et investisseurs que dans l’entreprise qui n’a pas fonctionné, il s’agit d’un signal fort que l’échec n’était pas attribuable à l’incompétence de l’individu, selon M. Dufresne.
la La région de Montréal est au deuxième rang au Canada en ce qui a trait aux pôles d’importance qui attirent le plus de capital de risque. Juste après la région de Toronto-Waterloo. Selon le rapport MoneyTree, réalisé conjointement par PwC et CB Insights, Montréal a attiré des investissements totalisant 334 millions de dollars américains (M$ US) en 2016, une hausse de 8% sur un an.
Le document précise que Toronto et Waterloo ont obtenu respectivement 578 M$ US et 253M$ US en capital de risque l’an dernier.
Au total, 41 transactions ont été conclues à Montréal en 2016, en hausse de 11% sur un an. Plus précisément, le document a répertorié 43 transactions au Québec, dont 11 en téléphonie mobile et télécoms (d’une valeur totale de 132 M$ US), 5 dans les soins de santé (116 M$ US), 10 dans Internet (25 M$ US), 4dans les logiciels (8M$ US) et 11 dans d’autres secteurs (56M$ US).
Un autre rapport, le « Portrait de l’écosystème start-up montréalais » (PESM), publié en novembre dernier, brosse un portrait du monde du financement des sociétés en démarrage de 2011 à 2016. Selon le document, le fonds Real Ventures a été l’investisseur le plus actif durant la période, avec 40 transactions, suivi de la Banque de développement du Canada (20) et des accélérateurs FounderFuel (17) et District 3 Innovation Center (13).
Ces données sont toutefois contestées, notamment par District 3, qui dit ne pas investir dans les sociétés qu’il accompagne, tout comme le Canadian Technology Accelerator Digital NYC, cité dans le document comme ayant participé à 7 transactions entre 2011 et 2016.
« Nous souhaitons toutefois réaliser un premier investissement d’ici juin », précise Xavier-Henri Hervé, de District 3.
Le PESM a été produit à partir de données recueillies sur les plateformes CrunchBase et PitchBook, qui répertorient les investissements dans les start-up. « Les bases de données ont défini ces investisseurs comme des acteurs clés dans les transactions », soutient Christian Bélair, président et cofondateur de la société montréalaise Credo, à l’origine de l’écriture