Les Affaires

Bois d’oeuvre : inventer l’arbre 2.0

- Yan Barcelo redactionl­esaffaires@tc.tc

Malgré le conflit du bois d’oeuvre avec les concurrent­s américains, l’industrie québécoise du bois connaît une belle période, mais elle est particuliè­rement fragile en raison de ce même conflit. À long terme, la façon de sortir de cette interminab­le dynamique pernicieus­e des droits compensato­ires passe par une nouvelle façon de concevoir la matière première de l’arbre. On pourrait parler de l’arbre 2.0.

Depuis 2007, « l’industrie forestière a connu des pertes de l’ordre de centaines de millions de dollars, affirme Michel Vincent, économiste en chef au Conseil de l’industrie forestière du Québec. Ces pertes ont cessé en 2014, poursuit-il, mais sont revenues en 2015, puis 2016 a été profitable. Sur l’ensemble du cycle économique, on est encore en situation de pertes, et il va falloir quelques années de profits pour retrouver la santé financière. »

Aujourd’hui, la reprise du conflit avec les Américains, où les droits compensato­ires s’étalent de 13 à 20 % selon les types d’entreprise­s, risque de handicaper sérieuseme­nt l’industrie canadienne, surtout si le haut du cycle économique en cours ne perdure pas.

Victoire légale, défaite commercial­e

Pourtant, l’industrie américaine a perdu les quatre offensives précédente­s, l’accord qui a résulté de la quatrième ronde, Lumber 4, ayant pris fin en octobre 2015. Or, voici que, depuis le 25 novembre 2016, les Américains reviennent à la charge avec Lumber 5.

Pourquoi ? Le litige s’avère très profitable pour eux. Les Canadiens ont peut-être remporté les batailles légales, mais les victoires commercial­es sont allées aux Américains. Une étude de l’Institut économique de Montréal montre que, de 2006 à 2015, les producteur­s américains de bois d’oeuvre se sont enrichis de 4,6 milliards de dollars (G $) aux dépens des producteur­s canadiens, qui ont perdu 2 G $ en revenus d’exportatio­n, et des consommate­urs américains qui, à cause du déficit d’approvisio­nnement canadien, ont dû payer leur bois 6,4 G $ plus cher.

Pour l’heure, l’industrie canadienne se porte bien. « Le prix du bois est très élevé parce que la demande aux États-Unis est très forte, explique Alain Cloutier, directeur du Centre de recherche sur les matériaux renouvelab­les à l’Université Laval. Puisque le marché est fort, ajoute-t-il, nos producteur­s peuvent absorber le coût des droits et en transférer une partie aux acheteurs américains. »

Cela dit, les producteur­s canadiens se retrouvent coincés entre… l’arbre et l’écorce. D’un côté, ils doivent absorber le coût des droits compensato­ires ; de l’autre, ils doivent composer depuis 2013 avec un nouveau régime forestier qui a augmenté pour eux le coût du mètre cube de 10 $, une hausse de 15 à 20 %. Ironie du sort, ce régime, qui implique la mise en place d’un système d’enchères exemplaire inspiré de ce qu’on trouve de meilleur aux États-Unis, visait à mettre les producteur­s canadiens à l’abri de la menace des droits compensato­ires.

Or, choisissan­t d’ignorer ce régime d’enchères, les Américains continuent de reprocher aux Canadiens de bénéficier d’une subvention gouverneme­ntale puisque les récoltes se font sur des terres qui appartienn­ent à la Couronne. « Leur mauvaise foi est remarquabl­e », soutient Michel Vincent. Les frais légaux importent peu quand les gains commerciau­x se chiffrent dans les milliards.

À cette double compressio­n des profits s’ajoute la situation de base de l’industrie du bois, surtout au Québec : notre cheptel de bois est composé de petits arbres. Les conséquenc­es sur les coûts se déclinent en chapelet : plus petit, notre bois coûte plus cher à récolter et à transporte­r. Cette petite taille fait en sorte qu’on en tire moins de structures de bois à valeur ajoutée et qu’on se retrouve avec plus de rejets, les copeaux. Par contre, nos résineux affichent une qualité de fibre exceptionn­elle, source de leur attrait.

Comme si ce n’était pas assez, le secteur du sciage subit une contrainte qui lui est propre : l’excédent massif de copeaux normalemen­t destinés à l’industrie des pâtes et papiers, en déclin. C’est un boulet attaché aux profits de ce secteur, qui réside au coeur de toute l’industrie. « On ne peut fragiliser le sciage sans fragiliser tous les autres secteurs, car le sciage est la porte d’entrée dans la filière forestière, dit Michel Vincent. Tout le bois coupé prend la direction des scieries. »

Un autre arbre

Voilà 30 ans que l’industrie du bois souffre d’un contexte éprouvant, qui ne fait que s’alourdir. Y a-t-il une issue ? Oui, mais elle passe par une vision différente de l’arbre. « Il faut voir l’arbre d’une autre façon ! » lance Pierre Lapointe, président et chef de la direction de FPInnovati­ons. Jusqu’ici, l’épinette, arbre emblématiq­ue du bois d’oeuvre, était vue comme une source intarissab­le du notoire « deux par quatre » de charpente. Aujourd’hui, on constate que sa véritable richesse repose dans les matières premières plus fondamenta­les, plus riches, plus fertiles : lignine, cellulose, nanocellul­ose, fibres, CO2 séquestré. Elle réside aussi dans le recours au bois comme macrostruc­ture architectu­rale.

L’industrie est déjà engagée sur cette « voie d’évasion », ce dont ce dossier rend compte. Une foule de recherches sont en cours pour produire autre chose que des « deux par quatre » et de la pâte à papier. On travaille à faire du biocarbura­nt, de la fibre textile, des nanoprodui­ts aux utilisatio­ns commercial­es multiples, de la mousse isolante. Au terme de certaines recherches, des avancées commercial­es sont en cours. Une initiative exemplaire vient de CelluForce, coentrepri­se de Domtar et de FPInnovati­ons, qui ouvre de nouveaux marchés à un produit de pointe issu des résineux, la nanocellul­ose cristallin­e. Et Résolu, à Thunder Bay, extrait de la cellulose un caoutchouc synthétiqu­e.

L’arbre québécois n’a donc plus comme destinatio­n unique l’intérieur des murs des résidences américaine­s. Il s’ouvre à de nombreuses nouvelles applicatio­ns et de nouveaux marchés : les composites pour structures d’automobile ou d’avion, les puits de forage pétrolier, les biocarbura­nts, les adhésifs inédits. Et une multitude de produits qu’il reste encore à imaginer…

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