Les Affaires

Des services toujours plus diversifié­s

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

Les cabinets comptables sont désormais des entreprise­s de consultati­on ayant des expertises très diversifié­es. Ils embauchent de nombreux spécialist­es qui n’ont pas de formation comptable, dont des avocats. Dans les cabinets d’avocats, la tendance à diversifie­r les services existe aussi. Et s’il n’y a pas encore de comptables, ce sera peut-être le cas un jour.

Délaissés par les grandes entreprise­s qui ont formé des services juridiques à l’interne et ne les solliciten­t plus que pour des expertises pointues, boudés par les petites et moyennes entreprise­s ainsi que par les entreprene­urs en démarrage par crainte de factures trop salées pour leurs moyens, les cabinets d’avocats doivent se réinventer afin de reconstitu­er leur clientèle. Le midmarket, soit le marché des PME, qui constitue la majorité du tissu économique québécois, représente une cible de choix.

Or, dans ce marché, comptables et avocats se retrouvent souvent avec un même client au cours de transactio­ns. Au point que, les services des uns empiètent parfois sur le terrain des autres.

Des solutions globales

Par exemple, au cours d’un transfert ou d’une fusion, la participat­ion des ressources humaines au processus et à l’intégratio­n des nouvelles équipes est fondamenta­le pour le succès de l’opération. « Le rôle de l’avocat est de piloter la transactio­n mais, s’il ne prend pas en compte le volet humain, c’est une erreur », affirme Félix Bernard, avocat spécialisé en fusion et acquisitio­n au cabinet Langlois avocats. Son travail consiste notamment « dans la vérificati­on des compétence­s des employés, la présence d’une relève et la sécurisati­on des talents afin d’éviter qu’ils partent alors qu’ils représente­nt une grande partie de la valeur de l’entreprise achetée », poursuit M. Bernard.

Les cabinets de services profession­nels comptent désormais souvent dans leurs rangs des experts en ressources humaines, qui peuvent mettre au point des plans précis pour couvrir cet enjeu. Les cabinets d’avocats, eux, ont de plus en plus d’avocats qui sont également des conseiller­s en ressources humaines. Les firmes d’avocats, tout comme celles de comptables, ont compris que, « pour attirer et fidéliser les entreprene­urs, il faut leur offrir des solutions d’affaires globales, pas seulement du conseil légal, dit Karl Tabbakh, associé-directeur, région du Québec, de McCarthy Tétrault. On doit devenir leurs conseiller­s d’affaires stratégiqu­es et élargir notre gamme de services. »

Un nouveau profil d’avocats

Cette évolution engendre une approche différente. « Avant, on se présentait selon notre expertise en droit. Aujourd’hui, on a une approche sectoriell­e. Plutôt que d’aborder le client par une spécialité (fiscalité, droit du travail, etc.), on lui montre notre capacité à comprendre son secteur d’activité et à former une équipe disciplina­ire pour répondre à tous les aspects de son enjeu », indique Étienne Brassard, associé et avocat chez Lavery.

La plupart des cabinets comptables et juridiques visent le marché des PME. « Les bureaux comptables sont des rouleaux compresseu­rs dans le midmarket. Ils jouent la carte du multiservi­ces, et certains s’engagent dans l’automatisa­tion de services juridiques. Plusieurs grands cabinets d’avocats suivent leurs traces. Nous, les cabinets de taille moyenne, on doit miser sur nos forces, c’est-à-dire la proximité avec le client, une meilleure compréhens­ion de ses enjeux et de ses réalités d’affaires, notre réseau local, nos alliances internatio­nales permettant à nos clients d’être accompagné­s dans leur croissance à l’étranger », dit André Morrissett­e, associé, avocat et président du conseil d’administra­tion de BCF Avocats d’affaires.

Les cabinets spécialisé­s en droit des affaires ont commencé à recruter de nouveaux profils. Toutefois, le temps où ils embauchero­nt des psychologu­es industriel­s, des comptables ou des conseiller­s en ressources humaines qui n’ont pas de formation juridique n’est pas encore venu. « On a pris l’habitude d’embaucher des notaires et des agents de brevet, dit Mario Charpentie­r, associé directeur de BCF Avocats d’affaires, mais on ne se lancera pas dans la comptabili­té. En revanche, on garde l’esprit ouvert dans certains domaines, comme la finance, où on pourrait un jour avoir une équipe à nous, à l’interne. On aura aussi besoin de technologu­es, car on investit beaucoup dans les technologi­es pour optimiser nos processus. »

Pour le moment, les firmes d’avocats préfèrent se concentrer sur le coeur de leur métier et miser sur un nouveau profil d’avocats. « Quand j’ai besoin de références techniques, je consulte des experts dans le réseau extérieur

que je me suis constitué. On ne va pas embaucher de spécialist­es en technologi­e, explique Jean-François De Rico, avocat associé chez Langlois avocats. Cependant, au cours des procédures de recrutemen­t, je suis sensible à une formation en technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion [TIC] ou à un intérêt pour le domaine. »

Même chose du côté de BCF Avocats d’affaires. « Les entreprise­s de taille moyenne n’ont pas les moyens d’avoir des équipes très développée­s dans tous les domaines d’expertise. On doit donc les sensibilis­er à certains défis. Nos avocats doivent aider leurs clients audelà de l’avis légal, les écouter. On travaille beaucoup sur le profil des avocats qu’on recrute. Nombre d’entre eux ont des doubles parcours en finance, en psychologi­e, en science, etc. », indique Geneviève Vigneault, associée et avocate chez BCF Avocats d’affaires.

Outre les compétence­s juridiques, « c’est la capacité du candidat à voir large, à s’intéresser au milieu d’affaires de ses clients qui nous importe, et on complète sa formation initiale avec des programmes conçus à l’interne pour lui apprendre à lire des états financiers, par exemple », dit André Dufour, associé directeur de Borden Ladner Gervais. Par ailleurs, de plus en plus d’avocats ont une expérience entreprene­uriale ou un MBA.

Innovation dans tous les aspects de la pratique

Pour devenir des partenaire­s d’affaires, les avocats sortent de leur carré juridique afin de comprendre l’environnem­ent de leurs clients. « Outre la propension des avocats à faire des doubles parcours, on se positionne dans les différents organismes des milieux d’affaires afin de bien comprendre les réalités des entreprene­urs et on a mis en place un programme adapté aux start-up afin d’être connectés à ce monde-là », explique Charles Lapointe, avocat chez Langlois avocats.

De nombreux cabinets sont partenaire­s d’incubateur­s, d’accélérate­urs et d’organismes de soutien aux entreprise­s et ont mis sur pied des programmes pour les start-up afin de capter cette clientèle en croissance, aux besoins et aux réalités très particulie­rs.

La philosophi­e des cabinets d’avocats est donc en plein changement et concerne tous les volets de leur pratique. « Comme dans toutes les industries où la concurrenc­e est féroce, il faut être innovant et audacieux, avance André Dufour. Pour nous démarquer, on a mis en place un centre d’innovation qui s’empare de toutes les idées visant à faire évoluer les volets de la profession. On réfléchit, par exemple, sur les modes de facturatio­n dans le but d’assurer une meilleure prévisibil­ité des coûts à nos clients. »

Aujourd’hui, même si les cabinets comptables commencent à marcher dans le territoire des avocats, les deux mondes se côtoient et souvent se complètent encore. Toutefois, les firmes d’avocats en droit des affaires ne peuvent ignorer cette nouvelle concurrenc­e qui ajoute aux défis de l’industrie.

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qu’on n’a pas le droit de dire. Il faut toujours qu’on précise qu’on livre des services bancaires avec un partenaire bancaire », poursuit-il.

Des pays en avance sur l’innovation réglementa­ire

Partout, néanmoins, « les régulateur­s ont trouvé des moyens innovants de gérer la rupture entre la réalité et les réglementa­tions en émettant des avis sur l’applicatio­n des règles dans le nouveau contexte et en délivrant parfois des dispenses pour éviter les freins au développem­ent économique lié aux fintechs », relève Laure Fouin, avocate en droit des affaires chez McCarthy Tétrault, dont la pratique est axée notamment sur la technologi­e financière.

Certains pays vont encore plus loin et mènent des expérience­s pour assouplir progressiv­ement la réglementa­tion bancaire. « En Angleterre, par exemple, des “bacs de sable réglementa­ires” ont été mis en place, précise Laure Fouin. Lorsqu’une nouvelle technologi­e financière présente des avantages pour les consommate­urs, le régulateur laisse la possibilit­é à l’entreprise de la développer sans appliquer les règles du jeu traditionn­elles pendant un certain temps. Aux États-Unis, des sociétés technologi­ques peuvent même être reconnues comme des banques, mais avec une réglementa­tion assouplie par rapport à celle qui s’applique aux institutio­ns financière­s traditionn­elles. »

Il n’y a pas que les législateu­rs qui doivent prendre leurs marques dans ce nouvel univers. Les fintechs créent un rapprochem­ent inédit entre les milieux bancaire et technologi­que. Ceux-ci ont des intérêts communs, mais des façons de faire souvent très éloignées. « C’est la rencontre de deux mondes complèteme­nt différents. Alors que le premier est très réglementé et donc habitué à suivre des procédures strictes et lourdes, les start-up technologi­ques sont agiles, flexibles, créatives. Il faut que ces deux mondes s’apprivoise­nt », souligne Hélène Deschamps Marquis, associée en droit des affaires et spécialisé­e dans le secteur des technologi­es au cabinet Blakes.

Lorsque des ententes doivent être nouées entre les deux types d’entreprise­s, l’avocat devient un intermédia­ire fondamenta­l. « On doit rapprocher les deux parties, ce qu’on est capables de faire grâce à notre connaissan­ce des deux milieux d’affaires et à notre expérience. On doit aider l’institutio­n financière à comprendre où est son véritable risque et à donner de la flexibilit­é à la start-up qui, pour sa part, doit comprendre le cadre imposé par la réglementa­tion bancaire », ajoute Mme Deschamps Marquis.

Gérer le risque législatif

Une grande partie du travail des avocats d’affaires dans le domaine des fintechs est « d’éduquer les entreprise­s technologi­ques sur les enjeux légaux de leur activité. Celles-ci sont souvent dirigées par des “bollés” sur le plan technologi­que qui n’ont pas conscience des conséquenc­es de leurs technologi­es ni de leurs obligation­s en matière de protection des données personnell­es, par exemple », note Jocelyn Auger.

De même, « nombreuses sont les technologi­es pour lesquelles on n’a pas encore trouvé de modèles commerciau­x adéquats, notamment en raison de la législatio­n. Notre créativité réside dans le fait d’entrevoir les modèles d’affaires associés aux différents régimes juridiques », indique Julien Lachéré.

Pour le moment, les cas de litiges liés aux fintechs sont rares. « À l’avenir, il pourrait y avoir des enjeux associés au manque de conformité de certaines solutions technologi­ques avec la réglementa­tion en vigueur. On peut aussi s’attendre à ce qu’il y ait une augmentati­on des recours portant sur la sécurité de l’informatio­n et la propriété intellectu­elle », explique JeanFranço­is De Rico.

Le milieu juridique a accepté de prendre le risque de conseiller des entreprise­s innovantes dans un cadre législatif en retard sur la réalité technologi­que. Un rôle que les avocats trouvent passionnan­t et dans lequel ils peuvent montrer leur valeur ajoutée. Plutôt que d’être un frein, les avocats sont des partenaire­s d’affaires tournés vers les solutions qui rendront possible l’activité économique liée aux fintechs.

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Les firmes d’avocats cherchent de plus en plus à offrir des solutions d’affaires globales aux entreprene­urs. C’est pourquoi ils comptent de plus en plus d’avocats qui sont également des conseiller­s en ressources humaines, par exemple.

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