Des services toujours plus diversifiés
Les cabinets comptables sont désormais des entreprises de consultation ayant des expertises très diversifiées. Ils embauchent de nombreux spécialistes qui n’ont pas de formation comptable, dont des avocats. Dans les cabinets d’avocats, la tendance à diversifier les services existe aussi. Et s’il n’y a pas encore de comptables, ce sera peut-être le cas un jour.
Délaissés par les grandes entreprises qui ont formé des services juridiques à l’interne et ne les sollicitent plus que pour des expertises pointues, boudés par les petites et moyennes entreprises ainsi que par les entrepreneurs en démarrage par crainte de factures trop salées pour leurs moyens, les cabinets d’avocats doivent se réinventer afin de reconstituer leur clientèle. Le midmarket, soit le marché des PME, qui constitue la majorité du tissu économique québécois, représente une cible de choix.
Or, dans ce marché, comptables et avocats se retrouvent souvent avec un même client au cours de transactions. Au point que, les services des uns empiètent parfois sur le terrain des autres.
Des solutions globales
Par exemple, au cours d’un transfert ou d’une fusion, la participation des ressources humaines au processus et à l’intégration des nouvelles équipes est fondamentale pour le succès de l’opération. « Le rôle de l’avocat est de piloter la transaction mais, s’il ne prend pas en compte le volet humain, c’est une erreur », affirme Félix Bernard, avocat spécialisé en fusion et acquisition au cabinet Langlois avocats. Son travail consiste notamment « dans la vérification des compétences des employés, la présence d’une relève et la sécurisation des talents afin d’éviter qu’ils partent alors qu’ils représentent une grande partie de la valeur de l’entreprise achetée », poursuit M. Bernard.
Les cabinets de services professionnels comptent désormais souvent dans leurs rangs des experts en ressources humaines, qui peuvent mettre au point des plans précis pour couvrir cet enjeu. Les cabinets d’avocats, eux, ont de plus en plus d’avocats qui sont également des conseillers en ressources humaines. Les firmes d’avocats, tout comme celles de comptables, ont compris que, « pour attirer et fidéliser les entrepreneurs, il faut leur offrir des solutions d’affaires globales, pas seulement du conseil légal, dit Karl Tabbakh, associé-directeur, région du Québec, de McCarthy Tétrault. On doit devenir leurs conseillers d’affaires stratégiques et élargir notre gamme de services. »
Un nouveau profil d’avocats
Cette évolution engendre une approche différente. « Avant, on se présentait selon notre expertise en droit. Aujourd’hui, on a une approche sectorielle. Plutôt que d’aborder le client par une spécialité (fiscalité, droit du travail, etc.), on lui montre notre capacité à comprendre son secteur d’activité et à former une équipe disciplinaire pour répondre à tous les aspects de son enjeu », indique Étienne Brassard, associé et avocat chez Lavery.
La plupart des cabinets comptables et juridiques visent le marché des PME. « Les bureaux comptables sont des rouleaux compresseurs dans le midmarket. Ils jouent la carte du multiservices, et certains s’engagent dans l’automatisation de services juridiques. Plusieurs grands cabinets d’avocats suivent leurs traces. Nous, les cabinets de taille moyenne, on doit miser sur nos forces, c’est-à-dire la proximité avec le client, une meilleure compréhension de ses enjeux et de ses réalités d’affaires, notre réseau local, nos alliances internationales permettant à nos clients d’être accompagnés dans leur croissance à l’étranger », dit André Morrissette, associé, avocat et président du conseil d’administration de BCF Avocats d’affaires.
Les cabinets spécialisés en droit des affaires ont commencé à recruter de nouveaux profils. Toutefois, le temps où ils embaucheront des psychologues industriels, des comptables ou des conseillers en ressources humaines qui n’ont pas de formation juridique n’est pas encore venu. « On a pris l’habitude d’embaucher des notaires et des agents de brevet, dit Mario Charpentier, associé directeur de BCF Avocats d’affaires, mais on ne se lancera pas dans la comptabilité. En revanche, on garde l’esprit ouvert dans certains domaines, comme la finance, où on pourrait un jour avoir une équipe à nous, à l’interne. On aura aussi besoin de technologues, car on investit beaucoup dans les technologies pour optimiser nos processus. »
Pour le moment, les firmes d’avocats préfèrent se concentrer sur le coeur de leur métier et miser sur un nouveau profil d’avocats. « Quand j’ai besoin de références techniques, je consulte des experts dans le réseau extérieur
que je me suis constitué. On ne va pas embaucher de spécialistes en technologie, explique Jean-François De Rico, avocat associé chez Langlois avocats. Cependant, au cours des procédures de recrutement, je suis sensible à une formation en technologies de l’information et de la communication [TIC] ou à un intérêt pour le domaine. »
Même chose du côté de BCF Avocats d’affaires. « Les entreprises de taille moyenne n’ont pas les moyens d’avoir des équipes très développées dans tous les domaines d’expertise. On doit donc les sensibiliser à certains défis. Nos avocats doivent aider leurs clients audelà de l’avis légal, les écouter. On travaille beaucoup sur le profil des avocats qu’on recrute. Nombre d’entre eux ont des doubles parcours en finance, en psychologie, en science, etc. », indique Geneviève Vigneault, associée et avocate chez BCF Avocats d’affaires.
Outre les compétences juridiques, « c’est la capacité du candidat à voir large, à s’intéresser au milieu d’affaires de ses clients qui nous importe, et on complète sa formation initiale avec des programmes conçus à l’interne pour lui apprendre à lire des états financiers, par exemple », dit André Dufour, associé directeur de Borden Ladner Gervais. Par ailleurs, de plus en plus d’avocats ont une expérience entrepreneuriale ou un MBA.
Innovation dans tous les aspects de la pratique
Pour devenir des partenaires d’affaires, les avocats sortent de leur carré juridique afin de comprendre l’environnement de leurs clients. « Outre la propension des avocats à faire des doubles parcours, on se positionne dans les différents organismes des milieux d’affaires afin de bien comprendre les réalités des entrepreneurs et on a mis en place un programme adapté aux start-up afin d’être connectés à ce monde-là », explique Charles Lapointe, avocat chez Langlois avocats.
De nombreux cabinets sont partenaires d’incubateurs, d’accélérateurs et d’organismes de soutien aux entreprises et ont mis sur pied des programmes pour les start-up afin de capter cette clientèle en croissance, aux besoins et aux réalités très particuliers.
La philosophie des cabinets d’avocats est donc en plein changement et concerne tous les volets de leur pratique. « Comme dans toutes les industries où la concurrence est féroce, il faut être innovant et audacieux, avance André Dufour. Pour nous démarquer, on a mis en place un centre d’innovation qui s’empare de toutes les idées visant à faire évoluer les volets de la profession. On réfléchit, par exemple, sur les modes de facturation dans le but d’assurer une meilleure prévisibilité des coûts à nos clients. »
Aujourd’hui, même si les cabinets comptables commencent à marcher dans le territoire des avocats, les deux mondes se côtoient et souvent se complètent encore. Toutefois, les firmes d’avocats en droit des affaires ne peuvent ignorer cette nouvelle concurrence qui ajoute aux défis de l’industrie.
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qu’on n’a pas le droit de dire. Il faut toujours qu’on précise qu’on livre des services bancaires avec un partenaire bancaire », poursuit-il.
Des pays en avance sur l’innovation réglementaire
Partout, néanmoins, « les régulateurs ont trouvé des moyens innovants de gérer la rupture entre la réalité et les réglementations en émettant des avis sur l’application des règles dans le nouveau contexte et en délivrant parfois des dispenses pour éviter les freins au développement économique lié aux fintechs », relève Laure Fouin, avocate en droit des affaires chez McCarthy Tétrault, dont la pratique est axée notamment sur la technologie financière.
Certains pays vont encore plus loin et mènent des expériences pour assouplir progressivement la réglementation bancaire. « En Angleterre, par exemple, des “bacs de sable réglementaires” ont été mis en place, précise Laure Fouin. Lorsqu’une nouvelle technologie financière présente des avantages pour les consommateurs, le régulateur laisse la possibilité à l’entreprise de la développer sans appliquer les règles du jeu traditionnelles pendant un certain temps. Aux États-Unis, des sociétés technologiques peuvent même être reconnues comme des banques, mais avec une réglementation assouplie par rapport à celle qui s’applique aux institutions financières traditionnelles. »
Il n’y a pas que les législateurs qui doivent prendre leurs marques dans ce nouvel univers. Les fintechs créent un rapprochement inédit entre les milieux bancaire et technologique. Ceux-ci ont des intérêts communs, mais des façons de faire souvent très éloignées. « C’est la rencontre de deux mondes complètement différents. Alors que le premier est très réglementé et donc habitué à suivre des procédures strictes et lourdes, les start-up technologiques sont agiles, flexibles, créatives. Il faut que ces deux mondes s’apprivoisent », souligne Hélène Deschamps Marquis, associée en droit des affaires et spécialisée dans le secteur des technologies au cabinet Blakes.
Lorsque des ententes doivent être nouées entre les deux types d’entreprises, l’avocat devient un intermédiaire fondamental. « On doit rapprocher les deux parties, ce qu’on est capables de faire grâce à notre connaissance des deux milieux d’affaires et à notre expérience. On doit aider l’institution financière à comprendre où est son véritable risque et à donner de la flexibilité à la start-up qui, pour sa part, doit comprendre le cadre imposé par la réglementation bancaire », ajoute Mme Deschamps Marquis.
Gérer le risque législatif
Une grande partie du travail des avocats d’affaires dans le domaine des fintechs est « d’éduquer les entreprises technologiques sur les enjeux légaux de leur activité. Celles-ci sont souvent dirigées par des “bollés” sur le plan technologique qui n’ont pas conscience des conséquences de leurs technologies ni de leurs obligations en matière de protection des données personnelles, par exemple », note Jocelyn Auger.
De même, « nombreuses sont les technologies pour lesquelles on n’a pas encore trouvé de modèles commerciaux adéquats, notamment en raison de la législation. Notre créativité réside dans le fait d’entrevoir les modèles d’affaires associés aux différents régimes juridiques », indique Julien Lachéré.
Pour le moment, les cas de litiges liés aux fintechs sont rares. « À l’avenir, il pourrait y avoir des enjeux associés au manque de conformité de certaines solutions technologiques avec la réglementation en vigueur. On peut aussi s’attendre à ce qu’il y ait une augmentation des recours portant sur la sécurité de l’information et la propriété intellectuelle », explique JeanFrançois De Rico.
Le milieu juridique a accepté de prendre le risque de conseiller des entreprises innovantes dans un cadre législatif en retard sur la réalité technologique. Un rôle que les avocats trouvent passionnant et dans lequel ils peuvent montrer leur valeur ajoutée. Plutôt que d’être un frein, les avocats sont des partenaires d’affaires tournés vers les solutions qui rendront possible l’activité économique liée aux fintechs.