Les Affaires

BLESSÉ AU HAUT DU CORPS…

- Chronique

Agression hier soir dans un commerce de Montréal. L’employé a été blessé au haut du corps… Au haut du corps ? A-t-il un hématome à l’oeil ? Un poignet cassé ? Est-ce beaucoup plus grave ? On nous rassurera en nous disant qu’on ne craint pas pour sa vie. Ce n’est vraiment pas le genre d’informatio­n dont je raffole, mais si on est incapable de me dire quelle est la nature des blessures reçues par cet employé, qu’on me dise simplement qu’il a été blessé. Pourquoi vouloir absolument ajouter « au haut du corps », une précision inutile et sujette à interpréta­tion ? Si j’évoque cette expression exagérémen­t utilisée dans le monde du hockey, mais aussi par la police et les médias, c’est parce qu’elle est à l’image du langage que l’on nous tient et de l’informatio­n que l’on nous donne quotidienn­ement.

Qu’il s’agisse de politicien­s, de dirigeants, d’observateu­rs ou encore de certains journalist­es ou d’animateurs radio, on effleure les sujets difficiles, on évite ceux qui fâchent et, parce que le Québec se targue d’être pacifique, hospitalie­r et peu enclin à l’affronteme­nt, on en arrive à éluder des débats aussi sérieux que nécessaire­s dans un monde en mouvance. C’est vrai dans tous les domaines, et cette prétendue bienséance affecte autant le monde de la politique que ceux de la culture, de l’environnem­ent, de la finance ou encore de l’économie. On pratique allègremen­t la langue de bois et on évite de nous communique­r certains renseignem­ents sous prétexte qu’ils sont confidenti­els ou qu’ils pourraient entraver une enquête en cours. Finalement, à l’image de la formule « blessé au haut du corps », on fait semblant de nous donner l’heure juste sans jamais nous la donner. On sait que c’est le matin ou le soir, mais on ne sait jamais s’il est 9h42 ou 18h15.

Notre éducation ne s’arrête pas au sortir de l’école ou de l’université, elle se poursuit toute notre vie et elle passe notamment par l’informatio­n que nous recevons chaque jour en lisant, en regardant, en écoutant les autres partager leurs expérience­s et exprimer leurs idées. C’est aussi cela que l’on appelle la culture générale.

Bien sûr, l’informatio­n est la plupart du temps accessible et il existe de nombreux supports spécialisé­s dans tous les domaines – notamment celui des affaires –, mais la majorité d’entre nous s’abreuve à des sources généralist­es pas toujours capables de soulever de grands débats de société, faute de participan­ts sincères et de bonne foi.

Parmi nous, il y a des entreprene­urs, des cadres, des commerçant­s et des employés qui représente­nt le tissu actif et dynamisant de notre économie et à qui on propose un monde non pas en « réalité augmentée », pour utiliser une formule technologi­que en vogue, mais en « réalité diminuée » en taisant l’essentiel de ce que nous devrions savoir.

C’est comme si nous nous fabriquion­s un frêle cocon qui nous mettrait à l’abri des incertitud­es économique­s créées par les dernières élections américaine­s, la montée des extrémisme­s de tous bords, les problèmes environnem­entaux, le terrorisme et même l’analphabét­isme fonctionne­l, qui ne fait qu’augmenter dans la province. Autant de sujets qui pourraient avoir un impact majeur sur notre économie et notre développem­ent.

Est-ce la faute des journalist­es ? Bien sûr que non ! Nous en avons de très compétents, et certains, de très haut calibre, ont même su mettre le doigt sur des dysfonctio­nnements majeurs et dévoiler des affaires sulfureuse­s qui ont fait la une de nos médias pendant des mois… Puis ? Après d’interminab­les enquêtes et des commission­s spéciales sans fin, la poussière retombe, le tout semble être relégué aux oubliettes et, comme d’habitude, on passe à autre chose.

Comme vous, j’ai dans la tête une multitude de sujets qui ont fait la une de tous les journaux au cours des derniers mois, des sujets auxquels on a accordé des heures et des heures de radio et de télévision. Pourtant, je n’en entends plus du tout parler. Ont-ils été traités ? Quelles mesures ont été prises ? Je n’en sais strictemen­t rien. Cette impression de travail non fini et ce manque de transparen­ce ne font qu’accroître le manque de confiance que nous éprouvons envers nos institutio­ns et probableme­nt aussi envers nos dirigeants.

Un manque de confiance qui pourrait très vite se transforme­r en méfiance, voire en défiance. Une spirale dont les effets se sont traduits lors d’élections dans de nombreux pays où l’on n’a pas voté pour un candidat ou un parti historique, mais pour un changement radical des méthodes traditionn­elles.

Devant les non-dits et l’utilisatio­n beaucoup trop répandue d’une langue de bois que certains pratiquent avec beaucoup plus d’aisance que le bon français, les débats sur les grands sujets qui nous préoccupen­t sont devenus inintéress­ants. C’est probableme­nt la raison pour laquelle les Québécois s’en détournent, raison qui explique aussi pourquoi l’on nous abreuve de nouvelles sur le hockey, de bulletins météo et de faits divers qui passent en boucle sur tous les canaux.

On nous plonge inconsciem­ment dans une ignorance qui, à l’ère de la mondialisa­tion, peut rapidement s’avérer très préoccupan­te pour notre développem­ent social, économique et politique. On nous infantilis­e alors que nous sommes tous capables de comprendre et même d’accepter… pour autant qu’on nous donne simplement l’heure juste.

Ces réflexions m’inspirent cependant une question que nous devrions tous nous poser: est-ce nos dirigeants qui ne sont pas capables de nous dire les choses ou est-ce nous qui ne voulons pas les entendre ? À méditer…

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