Les Affaires

Les grands de l’ingénierie Les firmes de génie de nouveau optimistes

- Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc Suite à la page 24

Ouf ! Les nuages se dissipent. Le moral est revenu, et surtout, l’activité. Les firmes de génie sont unanimes : 2017 marque un retour de la croissance. Certes, c’est encore balbutiant, mais c’est là. L’enjeu maintenant est d’être en mesure d’assumer la reprise. Après avoir revu leur organisati­on, recentré leurs activités, les firmes recommence­nt à embaucher.

En 2016, les signes de la reprise étaient perceptibl­es. Cette fois, les contrats sont là ou sur le point d’arriver, et même dans le secteur minier, ça frémit.Le palmarès ne montre pas encore cette croissance qui s’amorce. Le nombre total d’employés parmi les 27 firmes est en baisse de 1 600 par rapport à l’année dernière. Les sociétés affichent encore, pour certaines, de fortes réductions de personnel, même les plus grandes, mais ces coupes sont davantage liées à une restructur­ation interne, à un recentrage des activités qui les poussent à vendre certains pans de celles-ci, qu’à des pertes attribuabl­es à un manque de travail.

De plus, la baisse est moindre que celle des années précédente­s. L’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec (AFG) constate même une stabilisat­ion du nombre d’emplois, déjà entamée en 2016. Compte tenu des prévisions des plus grandes sociétés, si l’économie ne faiblit pas, les effectifs devraient remonter dans les prochains mois, mettant fin à cinq années de pertes continues. Plusieurs ont commencé à recruter et prévoient continuer. Norda Stelo (9e) va embaucher une cinquantai­ne de personnes à court terme. JohnstonVe­rmette (25e) devrait atteindre de nouveau la quarantain­e d’employés d’ici la fin de l’année. CIMA+ (5e) a accueilli une centaine de recrues depuis un an.

Preuve que certaines firmes ont vu leur situation s’améliorer, le Groupe ABS (12e) a enregistré la plus forte hausse du nombre d’employés : 25 %.

SNC-Lavalin et WSP Global sont pour une deuxième année consécutiv­e au sommet du palmarès des firmes d’ingénierie du Québec. Cependant, l’écart entre elles s’est bien creusé. Bien qu’elles aient toutes deux connu une baisse de leurs effectifs, WSP Global n’a plus qu’environ 800 employés de moins que SNC-Lavalin. Celle-ci affiche une baisse de 20,7 % du nombre de ses employés – seulement 2,7 points de pourcentag­e de moins que l’année dernière. Une baisse attribuabl­e à la poursuite de ses efforts pour se recentrer sur ses expertises principale­s. Elle a ainsi vendu ses activités en France et ses actifs immobilier­s à la fin de 2016, pour 2 000 employés au total.

WSP Global, elle, a connu une bonne année au Québec, notamment grâce à sa participat­ion aux travaux de l’échangeur Turcot. Son effectif a augmenté à l’échelle mondiale, mais est resté presque équivalent à celui de l’année dernière dans la province, où l’heure est plutôt à la stabilité des équipes, qui se sont enrichies ces dernières années grâce à diverses acquisitio­ns. Les perspectiv­es sont cependant optimistes, d’autant que la firme espère remporter un appel d’offres pour le chantier du REM (Réseau électrique métropolit­ain).

Stantec (ex-Dessau) gagne une place au palmarès par rapport à l’année dernière après plusieurs années de reconstruc­tion. En 2014, Dessau occupait la 2e place. Stantec, qui n’a racheté que la partie ingénierie de Dessau et les 1 300 salariés de ce service, a dégringolé à la 5e place en 2015. Cette année, la firme passe devant Tetra Tech et fait partie du trio de tête. Spécialisé­e en infrastruc­tures, elle est particuliè­rement présente dans le transport (35 % du volume d’activité), dans le bâtiment (25 %), dans l’énergie (20-25 %) et dans les télécommun­ications, les villes intelligen­tes et l’environnem­ent.

« Au Québec, nos opérations vont bien », confirme Isabelle Jodoin, vice-présidente principale pour le Québec de Stantec. Engagée dans les chantiers du pont Champlain, du métro et des nouveaux garages de la STM, la firme prépare actuelleme­nt la documentat­ion pour répondre aux appels d’offres concernant le REM.

La baisse des effectifs se poursuit

Dans le reste du classement, peu de changement­s fondamenta­ux, à une exception près : Norda Stelo (ancienneme­nt Roche). Alors qu’elle occupait la 6e place l’année dernière, la firme est tombée à la 9e place cette année après avoir perdu 41,2 % de ses effectifs en un an. Cette baisse est due en partie à la vente d’actifs dans l’évaluation foncière (150 personnes), qui ne fait plus partie de la stratégie de Norda Stelo, mais la société a aussi mis à pied plus de 100 employés en mai 2016, faute d’activité suffisante pour les occuper. Le reste s’explique par la vente d’autres activités et par des départs volontaire­s, plus nombreux que prévu. « Notre plan de redresseme­nt a trop bien fonctionné : beaucoup de gens inquiets sont allés occuper des postes dans les services publics, où la sécurité d’emploi est supérieure », observe Alex Brisson, président et chef de la direction. Cela dit, la situation s’améliore pour Norda Stelo, qui a commencé à réembauche­r.

Au cours des 12 derniers mois, le nombre d’employés a continué de baisser pour de nombreuses firmes, dans des proportion­s très diverses selon les cas. Si le pic est atteint avec Norda Stelo, les taux oscillent plutôt autour de 15 à 20 %. GCM Consultant­s (15e) arrive au deuxième rang quant à la baisse d’effectifs (-26,9 %). Pourtant, son chiffre d’affaires est en croissance : 10 % en 2016 et sûrement 10 % cette année encore, selon Normand Thouin, PDG. La firme, présente seulement dans le difficile secteur industriel, a « un mot d’ordre : diversific­ation », souligne M. Thouin. C’est donc grâce à l’élargissem­ent de sa gamme de services qu’elle se sort d’affaire, alors que « le secteur est déprimé depuis trois ans », regrette-til. La firme a fait « des révisions de procédure depuis 2015 pour s’améliorer ». Elle a notamment mis en place une équipe multidisci­plinaire spécialisé­e en technologi­es propres.

La baisse ralentit

Les augmentati­ons sont bien moins fortes, malgré celle du Groupe ABS (+25 %). Laporte Experts Conseils (19e) a enregistré une hausse de 8,3 % par rapport à l’année dernière et a gagné trois places au palmarès. Elle cumule 30 % de gain en nombre d’employés sur les trois dernières années. Spécialisé­e dans les procédés pharmaceut­iques, les biotechs et l’agroalimen­taire, la firme a 18 bureaux au Canada, aux États-Unis et en France. Les clés de son succès ? « Notre hyperspéci­alisation, ainsi que notre taille, qui nous permet d’avoir une approche flexible », répond Daniel Laporte, président-fondateur de Laporte Experts Conseils. Même si « nos secteurs ne sont pas en expansion, il y a une légère croissance », constate le dirigeant, qui veut augmenter l’activité de sa firme en Europe et aux États-Unis.

Au final, le nombre total d’employés dans les plus grandes firmes de génie du Québec a encore perdu 1 600 personnes. Cependant, la baisse ralentit : elle était de 3 000 personnes entre 2015 et 2016, et la plupart des firmes ont commencé à observer une reprise sérieuse de l’activité, ce qui devrait se voir dans les chiffres de 2018.

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Daniel Mercier, fondateur et président, affirme connaître « une croissance énorme ». BBA (11e) a, quant à elle, augmenté son effectif de 14,4 %. Martin Milot, chef de l’exploitati­on de BBA, estime que, si « 2016 a été une bonne année, 2017 est encore meilleure et devrait voir une croissance de 15% ».

Les deux firmes ne connaissen­t pas le succès pour les mêmes raisons. BBA a ouvert de nouveaux marchés et a fait des acquisitio­ns pour faire face au ralentisse­ment des activités et se reconstrui­re après les dommages causés par la crise de la corruption dans le génie. Quant au Groupe ABS, c’est justement la crise qui l’a propulsé. Dans cette firme indépendan­te comptant neuf bureaux au Québec, « on n’arrivait pas à entrer sur les marchés publics, qui étaient toujours verrouillé­s par les mêmes sociétés. Après la commission Charbonnea­u, on a enfin eu accès à ces marchés », se réjouit Daniel Mercier.

Spécialisé dans les études géotechniq­ues pour les infrastruc­tures et le bâtiment, le Groupe a connu une croissance annuelle de 15 à 20 % dans chacune de ses spécialité­s au cours des dernières années. La relance économique et celle des travaux d’infrastruc­tures dopent encore plus la croissance. Si bien que le Groupe ABS cherche à étendre sa présence au Québec et souhaitera­it toucher les régions de Trois-Rivières, du Centre-du-Québec, ainsi que le Saguenay.

Le fondateur est optimiste pour les prochaines années. Pour accélérer le développem­ent, il envisage sérieuseme­nt de faire des acquisitio­ns soit pour ajouter de nouveaux champs d’expertise, soit pour s’implanter dans de nouvelles régions. L’année dernière, il a acquis une firme spécialisé­e dans l’amiante à Sherbrooke, et un

Une reprise généralisé­e

La reprise se sent dans presque tous les domaines. Le plus en retrait reste celui des mines. Toutefois, si les décisions liées à la constructi­on n’ont pas encore été prises de manière ferme dans le secteur minier et des ressources minérales, « on reçoit beaucoup de demandes d’études de préfaisabi­lité ou de faisabilit­é », constate Martin Milot.

Là où les attentes sont les plus élevées, c’est dans le secteur des infrastruc­tures, en raison du plan qui a été dévoilé l’année dernière par le gouverneme­nt canadien et qui devrait être mis en oeuvre progressiv­ement dans les prochains mois. Au Québec, les grands travaux et la reprise de l’activité sur les marchés municipaux donnent de l’ouvrage aux firmes, qui ont recommencé à embaucher. Le projet de réseau électrique métropolit­ain (REM) nourrit beaucoup d’espoirs aussi pour les années à venir. Dans le domaine industriel, les projets d’automatisa­tion et d’usine 4.0 font aussi travailler les cabinets spécialisé­s.

La reprise économique n’explique pas à elle seule les bons résultats des firmes de génie au Québec cette année. Leur travail sur la gouvernanc­e, leur réflexion stratégiqu­e ainsi que la consolidat­ion du marché à la suite du scandale de la corruption dans le domaine du génie portent également leurs fruits. Plusieurs sociétés ont vendu des activités moins rentables ou qui ne faisaient pas partie de leur coeur de métier. D’autres ont accentué leur expansion géographiq­ue ou ont élargi leur gamme de services, ce qui commence à payer.

Par exemple, la firme Johnston-Vermette, qui a traversé des années difficiles, perdant plus de la moitié de ses employés et accusant une forte baisse de son chiffre d’affaires, connaît aujourd’hui « des résultats encouragea­nts », selon Luc Vermette, chef de la direction. Elle est passée du 30e rang dans le palmarès au 25e cette année.

Une page se tourne

Johnston-Vermette avait fait un profond travail de reposition­nement : augmentati­on de sa présence à l’étranger grâce à la structurat­ion de son plan d’internatio­nalisation, recherche et développem­ent pour concevoir un nouveau procédé d’extraction de l’or toujours en cours d’élaboratio­n, création d’une filiale de machines industriel­les pour accompagne­r les manufactur­iers dans l’automatisa­tion de leurs usines. La firme s’est aussi réorganisé­e dernièreme­nt : elle a nommé un chef des opérations, ce qui permet à Luc Vermette de se consacrer au développem­ent des affaires et à la stratégie. Elle a de nouveau environ 35 employés, une hausse de près de 3% par rapport à l’année dernière. Elle n’a pas retrouvé son niveau initial mais, peu à peu, les améliorati­ons deviennent tangibles.

Le souvenir des années noires s’estompe dans l’industrie du génie. Aujourd’hui, les firmes terminent leur mue entamée à la suite de la crise et du ralentisse­ment économique. Elles s’organisent pour faire face à la croissance qui s’annonce. Le cauchemar de la commission Charbonnea­u s’éloigne, même si tout n’est pas réglé. L’une des dernières étapes qui permettra sûrement de tourner la page : le programme de remboursem­ent volontaire mis en place par le gouverneme­nt. Une quinzaine de firmes ont adhéré au processus, qui devrait se terminer cet automne. L’une des questions soulevées par la commission et pour laquelle elle a présenté une recommanda­tion – la prédominan­ce de la règle du plus bas soumission­naire sur les marchés publics -, elle, n’est pas résolue, mais des initiative­s sont prises pour changer la donne.

Si la confiance envers l’industrie du génie se revigore, « il y a eu un bris », regrette Isabelle Jodoin, vice-présidente principale de Stantec. Elle appelle à « retrouver la proximité avec l’ingénieur, qui est un vrai partenaire d’affaires. Il faut travailler avec lui en amont du projet afin que celui-ci soit meilleur. »

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La crise a créé une occasion. Les ingénieurs qui avaient perdu leur travail avaient besoin de retrouver une activité et le marché recherchai­t des firmes exemptes de lourd passé. Ainsi, de nombreuses petites sociétés de génie se sont créées depuis 2013. Que sont-elles devenues ?

« Toutes les petites firmes se maintienne­nt et présentent souvent une croissance, parfois même forte, alors que les plus anciennes connaissen­t plutôt une certaine stabilité », constate André Rainville, le PDG de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec (AFG).

Souvent nichées, elles font leur place grâce à leur agilité et aux relations nouées par leurs fondateurs durant leur carrière précédente dans le milieu. Elles concurrenc­ent les grandes firmes, car leur modèle et leur taille leur permettent d’être efficaces et rapides, ainsi que d’offrir des tarifs moindres. Cela dit, « un équilibre va se créer entre les petites et les grandes firmes, assure André Rainville. Toutes répondent à un besoin, et elles peuvent se compléter. On voit de petites firmes aux expertises très pointues travailler comme sous-traitants pour de grandes sociétés. Par ailleurs, certains marchés sont trop gros pour les petites firmes, mais d’autres, de taille intermédia­ire, sont mieux adaptés à celles-ci. »

Croître en se diversifia­nt

Induktion a été fondée en 2013 par un ingénieur qui avait fait une partie de sa carrière dans une grande firme. Lancée dans le garage de son fondateur, Maxime Dumont, elle est aujourd’hui en croissance et compte 15 employés répartis dans deux bureaux à Montréal et à Trois-Rivières. Pour réduire les risques, M. Dumont a rapidement diversifié les activités de son entreprise. Initialeme­nt positionné­e dans le secteur des transports (feux de circulatio­n, éclairage public et systèmes de transport intelligen­t), Induktion s’est investie dans le bâtiment, qui représente aujourd’hui 75 % de son chiffre d’affaires.

Fort de ce succès, Maxime Dumont souhaite accroître sa présence au Québec, notamment dans l’agglomérat­ion de Gatineau-Ottawa, d’ici un an, et ouvrir des marchés connexes au coeur de métier d’Induktion, comme le génie civil (les routes, etc.) et les structures. Le jeune chef d’entreprise n’a pas peur de mettre un peu plus les pieds sur les marchés publics. Il pense même avoir des atouts pour réussir à s’y faire une place.

« La clientèle publique est ouverte aux petites firmes comme nous parce qu’on offre un service rapide », souligne-t-il.

Maxime Dumont est optimiste. Il pense qu’Induktion comptera de 25 à 30 employés d’ici deux ans. Cependant, il n’a pas l’intention de faire d’acquisitio­n pour accélérer la croissance ni de devenir une énorme entreprise. Sa vision, c’est plutôt de créer plusieurs petites cellules réparties un peu partout. Des cellules à taille humaine.

Les défis des marchés publics

Également créée en 2013, HBGC Ingénieurs, de

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