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Jeu vidéo : les défis des studios indépendan­ts

Los Angeles et Montréal. À première vue, la chose semble impossible. Des studios de quelques employés doivent rivaliser avec des entreprise­s valant des milliards de dollars pour séduire les adeptes de jeux vidéo. Et pourtant, certains y parviennen­t.

- Denis Lalonde denis.lalonde@tc.tc DenisLalon­de

C’est la réalité des studios indépendan­ts, ou indies, dans le jargon de l’industrie. En marge de la dernière conférence Electronic Entertainm­ent Expo (E3), qui s’est déroulée en juin à Los Angeles, un studio québécois s’est illustré au cours d’un événement tenu par Microsoft. Scavengers Studio a en effet monté sur l’estrade pour y présenter son jeu The Darwin Project, où les participan­ts doivent survivre à des conditions hivernales extrêmes et à une chasse à l’homme. Le jeu regroupe sept joueurs et un maître de jeu. L’objectif est d’être le dernier survivant dans l’arène. Les spectateur­s peuvent se contenter de regarder la partie, ou encore, avoir une influence sur son déroulemen­t.

Le cofondateu­r de Scavengers Studio, Simon Darveau, explique que le jeu se déroule à une époque où la surpopulat­ion est telle que tous les crimes sont passibles de la peine de mort. La seule façon de survivre est alors de participer à ce jeu extrême pour divertir le public. « On a voulu s’inspirer des concepts à l’origine de Hunger Games et de Running Man et les intégrer au jeu vidéo », disent M. Darveau et Amélie Lamarche, les deux cofondateu­rs du studio.

Le démarrage du projet a eu lieu en septembre 2016. Se retrouver à l’E3 neuf mois plus tard est un succès inespéré pour le studio, qui prévoit la sortie du jeu au printemps prochain et une mise à jour complète quelques mois plus tard.

« Tout a commencé à la conférence Penny Arcade Expo (PAX) East, qui a eu lieu à Boston en mars. Nous avons présenté l’un des jeux les plus remarqués de l’événement », raconte Simon Darveau. Un blogue sur le site de Scavengers raconte même que la sécurité a été forcée d’intervenir pour contenir la foule qui s’agglutinai­t autour du kiosque du studio.

Après le PAX East, Microsoft a convié les membres de la direction de Scavengers à Seattle et a décidé, après avoir essayé le jeu, de les inviter à l’E3. Par la suite, ils ont assisté à la conférence Gamescom, qui s’est déroulée à Cologne, en Allemagne, à la fin d’août.

Selon M. Darveau, la région de Montréal, avec ses nombreux studios indépendan­ts, est un milieu tissé serré. Il se dit reconnaiss­ant d’avoir pu bénéficier des conseils des dirigeants de Tuque Games, de Borealys, de Red Barrels et de Compulsion Games, pour ne nommer que ceux-là.

Interrogé sur le plus grand défi des studios indie, M. Darveau affirme que, pour avoir un certain succès, les entreprise­s doivent arriver à attirer des gens d’horizons différents. « Une des choses qui tue beaucoup de studios, c’est que les dirigeants s’entourent uniquement des gens essentiels à la création du jeu. Il faut aussi penser aux finances et, le moment venu, au marketing et à la gestion de communauté », croit-il.

À son avis, les studios doivent aussi être prêts psychologi­quement à vivre l’échec. Il dit d’ail- leurs avoir conçu une méthode de développem­ent souple qui lui permet de réaliser un prototypag­e rapide et de tester de nombreuses idées chaque semaine. « Il faut échouer. Souvent. Quand on réussit tout, c’est qu’on n’innove pas. Pour repousser ses limites, il faut essayer des choses qui n’ont jamais été faites. Parfois, c’est bon, parfois, non. Quand on se plante, on se relève et on continue », dit-il.

Ce système a permis au studio de remporter sept prix au E3, en plus d’avoir été en nomination pour deux autres.

Garder les coûts bas

Est-il possible de concevoir un jeu seul ? C’est le pari qu’a fait l’Australien Oscar Brittain, qui a créé Desert Child, un jeu de course sur terre battue dont la sortie est prévue en 2018 sur PC, iOS et Steam. L’objectif des joueurs est de remporter des courses de motocross et d’utiliser les prix en argent pour s’acheter de la nourriture et réparer leurs véhicules. « Mon modèle d’entreprise ? Garder les coûts de développem­ent le plus bas possible et espérer que les joueurs accepteron­t de payer pour obtenir le jeu », dit-il candidemen­t.

Selon lui, la clé du succès est de ne pas tomber dans le piège de vouloir des graphiques en 3D d’une qualité similaire à ce qu’on trouve dans les jeux à grand déploiemen­t, que l’industrie appelle « jeux AAA ». « Il faut par contre s’assu- rer que les joueurs puissent personnali­ser certains éléments du jeu », note-t-il.

M. Brittain était installé au kiosque IndieCade de l’E3. IndieCade est une entreprise qui organise des festivals du jeu indépendan­t, tant aux États-Unis qu’en Europe.

La présidente et chef de la direction de l’organisme, Stephanie Barish, dit que les développeu­rs indépendan­ts n’ont pas la prétention de rivaliser avec les grands studios. « Ils créent des oeuvres d’art ou testent de nouveaux concepts. Pour les jeux sur mobile ou PC, les studios indie peuvent très bien se tirer d’affaire », déclare-t-elle. Mme Barish ne peut pas chiffrer le marché du jeu indépendan­t, mais soutient que 50 % des développeu­rs dans le monde se qualifient d’indépendan­ts. « C’est beaucoup », affirme-t-elle.

La dirigeante ajoute que les plateforme­s de jeu en ligne comme Xbox Live ou le Game Store de Nintendo bénéficien­t grandement des jeux indépendan­ts, ce qui leur permet de gonfler leur catalogue de titres. « La relation entre les plateforme­s de jeu et les développeu­rs indépendan­ts se caractéris­e par le mutualisme », explique-t-elle.

Un point de vue partagé par le directeur général de Nintendo Canada, Pierre-Paul Trépanier. « Chaque jeudi, nous dévoilons la liste des nouveautés dans notre boutique en ligne. Tous les développeu­rs indépendan­ts sont bienvenus chez Nintendo. Avec nos kits, les studios n’ont pas besoin de faire des investisse­ments majeurs ou de courir les risques associés à une distributi­on traditionn­elle. Ils n’ont qu’à déposer leur produit dans notre boutique et à laisser les joueurs le découvrir », soutient-il.

Pierre-Paul Trépanier dit avoir récemment testé Ultimate Chicken Horse, du studio montréalai­s Clever Endeavor Games. « J’ai trouvé le jeu très amusant. Pourtant, le studio ne compte que quelques personnes », relate-t-il.

Le président et chef de la direction de Clever Endeavor Games, Richard Atlas, a confirmé que Ultimate Chicken Horse a été conçu par trois personnes. Le studio compte cinq employés à ce jour.

« Vu notre budget limité, nous visions une expérience plus petite. Ça aurait été une mauvaise idée de vouloir faire un jeu dans un monde ouvert en 3D avec une histoire très élaborée. Nous n’avions pas les ressources pour le faire », explique-t-il.

Pour Ultimate Chicken Horse, la mécanique reste la même tout au long du jeu. Les joueurs construise­nt les niveaux avec des éléments mis à leur dispositio­n. « L’objectif est d’arriver à franchir un parcours trop difficile pour tes amis, mais assez facile pour toi », explique M. Atlas.

Le jeu, lancé sur la plateforme Steam en mars 2016, a déjà été téléchargé à plus de 368 000 reprises, selon les données du site SteamSpy.com. Son prix est de 15 $ US, mais, au moment d’écrire

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Scavengers Studio, fondée par Amélie Lamarche et Simon Darveau, a décroché sept prix à l’Electronic Entertainm­ent Expo (E3).
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Le jeu The Darwin Project, où les participan­ts doivent survivre à des conditions extrêmes.

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