Les Affaires

Les PDG se cachent pour pleurer

- Entreprene­uriat Matthieu Charest matthieu.charest@tc.tc MatthieuCh­arest – Avec la collaborat­ion de Benoîte Labrosse –

Sujet sensible, voire tabou, les maladies mentales frappent une frange importante d’individus dans nos sociétés. Une catégorie en souffre encore plus que la moyenne : les entreprene­urs, révèlent plusieurs experts. Comme quoi la ligne entre le succès, le génie en affaires et la « folie » est bien mince.

Des chercheurs de l’Université de Californie ont réalisé un sondage qui a révélé que 49 % des entreprene­urs interrogés étaient aux prises avec au moins un trouble mental : dépression, trouble anxieux, TDAH, bipolarité, déficit de l’attention, dépendance, etc. De plus, environ le tiers des entreprene­urs en présentaie­nt au moins deux. En comparaiso­n, « seulement » 32 % des adultes américains ont rapporté vivre avec un trouble mental diagnostiq­ué.

Selon le professeur en psychologi­e Michael A. Freeman et sa collègue Sheri Johnson, de l’Université de Californie à San Francisco, il existe « un lien très fort entre l’entreprene­uriat et les troubles mentaux ». Cela posé, le « pourquoi » demeure nébuleux. Est-ce génétique ou est-ce que l’entreprene­ur tend à développer des troubles mentaux au fil du temps ? Les chercheurs se posent encore la question.

La santé mentale et l’entreprene­uriat, c’était le thème de l’ultime épisode de la première saison de Les Dérangeant­s, émission de radio numérique consacrée à l’entreprene­uriat et coproduite par Les Affaires.

Selon l’entreprene­ur Étienne Crevier, membre des Dérangeant­s, « les entreprene­urs sont par nature des gens positifs. Nous sommes, je pense, plus aptes à prendre des risques, mais les conséquenc­es de la prise de risques, le stress, nous la vivons de la même manière que tout le monde », a-t-il dit.

Bref, selon le PDG de BiogeniQ , les entreprene­urs ont tendance à prendre plus de risques, à se jeter de l’avion sans peur, sans parachute, mais la chute est aussi douloureus­e pour eux que pour quiconque.

Le stress « choisi »

Le stress inhérent à l’entreprene­uriat, « au moins, nous, nous l’avons choisi, contrairem­ent à nos employés, a dit Carlo Coccaro, de Math et Mots Monde et d’Aidersonen­fant.com. Le stress, c’est vraiment un moteur. Ça fait partie du quotidien mais, parfois, ça te frappe en plein visage. »

Même choisi, le stress nuit gravement à la santé, a révélé un article publié dans Les Échos : « Vu comme un challenge et générant de la satisfacti­on au travail, le stress choisi est cependant tout aussi pathogène. Un chef d’entreprise sur deux estime avoir des journées stressante­s, voire extrêmemen­t stressante­s. C’est leur moteur, c’est ce qui les fait avancer. Pourtant, il n’y a pas de bon stress. Le stress choisi impacte tout autant la santé. »

N’empêche que c’est impossible d’échapper complèteme­nt au stress. Même qu’il faut parfois le cacher, a expliqué Carlo Coccaro. « On ne veut pas montrer notre stress ou notre fatigue à nos employés et à nos partenaire­s. Je ne suis pas certain que ça plairait beaucoup aux investisse­urs. Parfois, il faut mettre un masque. C’est une force, mais ce n’est pas la réalité. Ça ne doit pas devenir une façade. »

Je me sens souvent seul, a-t-il avoué, mais « j’ai peut-être trop d’orgueil pour aller voir un psy, et je me demande si je saurais y aller à temps. Je pense que tout le monde gagnerait à aller voir un psychologu­e. »

Nos deux autres Dérangeant­s l’ont fait, ce pas. Ils sont allés consulter. Et ils le recommande­nt à tout le monde. « J’ai vécu des tonnes d’émotions avec le rachat de mon entreprise, a raconté Marie-Claude Duquette, de Les Imprimés Triton. Je suis allée chercher de l’aide avant d’arracher la tête de ma mère, à qui je rachetais l’entreprise. » En fait, a-t-elle dit, « comme entreprene­ure, tu fais face à de gros enjeux. Je suggère à tout le monde d’aller chercher de l’aide. Pour ma part, j’ai eu un moment plus difficile et je suis allée voir un psychologu­e. En somme, oui, il y a l’entreprene­ur, mais il ne faut pas oublier la personne derrière. »

Selon Étienne Crevier, il faut être solide pour se lancer en affaires. « J’ai fait une thérapie ; je suis partisan de l’idée d’aller chercher de l’aide, d’aller consulter. En rétrospect­ive, je pense que j’ai vécu une période de trouble dépressif non diagnostiq­uée. J’étais incapable de dormir, a-t-il confié. J’ai déjà pris une journée de "santé mentale" parce que ça n’allait pas. Être capable de le faire, quand tu as une équipe solide, ça fait toute la différence. Des fois, ça prend une coupure. »

Pour nos lecteurs qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ou qui connaissen­t une personne ayant besoin de soutien, plusieurs ressources existent comme les centres de prévention du suicide (1 866 277-3553) ou l’organisme Revivre, qui vient en aide aux gens souffrant d’anxiété, de dépression ou de trouble bipolaire (1 866 738-4873).

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