Les Affaires

Vite, réinventon­s l’école !

- Chronique

Connaissez-vous Frédéric Duquette? Non, j’imagine. Pourtant, ce jeune homme de 25 ans originaire de Magog est une star à Los Angeles, sous le pseudonyme artistique de Fvckrender: il a signé des visuels en 3D pour, entre autres, les derniers spectacles des Backstreet Boys, de Katy Perry et de Calvin Harris.

Frédéric Duquette n’a jamais terminé son secondaire 5. Il a tenté à deux reprises d’intégrer des écoles montréalai­ses de dessin en 3D, en vain. Alors, il s’est formé tout seul, dans son coin. Ses réalisatio­ns diffusées sur les médias sociaux ont rapidement attiré l’attention d’une maison de production californie­nne, et tout s’est enchaîné à la vitesse grand V. À présent, l’autodidact­e a son bureau à L.A., à deux pas de Venice Beach, et croule sous des projets tous plus audacieux les uns que les autres.

Que met au jour cette histoire? Que notre système éducatif n’est pas à la hauteur des exigences du 21e siècle.

Lors de mon reportage à Tahiti, en juin, j’ai rencontré Christian Vanizette, un Tahitien qui a récemment figuré au palmarès des 30 personnali­tés de moins de 30 ans du magazine Forbes pour avoir cofondé MakeSense, une communauté internatio­nale visant à aider les entreprene­urs sociaux du monde entier à surmonter leurs défis. Il parcourt la planète à la rencontre de ceux et de celles qui entendent changer le monde, du moins à l’échelle de leur start-up, mais qui ne trouvent pas de financemen­t, n’ont pas de plan marketing ou ne parviennen­t pas à mettre en place un réseau de distributi­on. Et il mobilise chaque fois sa communauté de quelque 30000 bénévoles pour élaborer une solution aussi originale que durable.

Or, que m’a-t-il confié? Que l’école, sous sa forme actuelle, n’est qu’une perte de temps: « Demain, notre succès ne dépendra plus de notre savoir, mais de notre savoir-être. Nous ne ferons plus une différence par nos connaissan­ces en maths ou en géographie, mais par notre maîtrise de deux compétence­s: la créativité et la capacité à travailler en équipe. Je m’en rends compte aujourd’hui par la façon dont on oeuvre chez MakeSense: la solution sensationn­elle n’est jamais le fruit de la réflexion d’un petit génie, mais toujours celui de la collaborat­ion de talents variés », m’a-t-il expliqué.

Autrement dit, l’avenir ne va pas forcément sourire aux premiers de classe, mais plutôt à ceux qui pétillent d’idées neuves et qui sont prompts à les partager avec autrui. Ce que ne favorise guère l’école d’aujourd’hui: « L’école tue la créativité à force d’encourager le conformism­e et la compétitio­n », a lancé Ken Robinson, un expert britanniqu­e de l’éducation, dans une conférence TED visionnée plus de 47 millions de fois.

Des projets en cours

Que faire, donc, pour adapter l’école au 21e siècle? Nombre d’organismes (l’OCDE, l’Unesco) et de chercheurs (la philosophe américaine Martha Nussbaum, la psychologu­e américaine Amy Cuddy, etc.) se sont d’ores et déjà attelés à la tâche. Leurs travaux convergent vers une nouvelle liste de compétence­s qui devraient être enseignées aux élèves, soit le travail en groupe (la prise de parole, l’écoute, l’échange d’idées, le jugement critique) et l’ouverture au monde (l’engagement citoyen, la conscience écologique, l’évolution dans le numérique).

La Finlande fait figure de pionnière à ce titre. De nos jours, les élèves de l’école secondaire de Siltamäki, un quartier de la capitale Helsinki, n’ont carrément plus de cours de maths ni de finnois, mais, à la place, des cours transversa­ux. Par exemple, en étudiant en groupes les volcans, ils acquièrent des notions de géographie et de sciences de la nature. De la même façon, le programme Liikkuva koulu (l’École en mouvement), suivi par près de 80% des établissem­ents scolaires finlandais, impose une heure d’activité physique par jour et incite à faire les cours... dehors! À l’école Kirsti d’Espoo, les élèves font ainsi deux sorties en forêt par semaine, histoire de résoudre des problèmes mathématiq­ues tout en marchant, ou encore, d’apprendre à venir en aide à ceux qui peinent à effectuer la promenade.

L’exemple du Collège Sainte-Anne

Chez nous, près de 200 personnes réparties dans 13 équipes de travail se sont réunies en avril dernier autour du projet intitulé « Repenser l’école », organisé par Google et la Fondation Chagnon. Début septembre, cette initiative citoyenne est devenue une plateforme de diffusion d’exemples d’innovation­s en éducation au Québec et dans le monde.

Une école a aussi pris la ferme décision de changer en s’inspirant de ce qui se fait de mieux ailleurs: le Collège Sainte-Anne, à Montréal. Sa nouvelle mission est de faire sortir les élèves du moule traditionn­el afin de favoriser leur plein épanouisse­ment. Et ce, en ciblant sept compétence­s: la pensée analytique et créative; la communicat­ion; le travail d’équipe; la culture du numérique; l’ouverture au monde; l’esprit critique; la prise de décision intègre et éthique. « Plus que jamais, nous ignorons ce que nous réserve l’avenir. Voilà pourquoi il est crucial d’apprendre aux enfants à faire face à l’inconnu », explique Isabelle Senécal, directrice, innovation pédagogiqu­e, du Collège Sainte-Anne, dans le livre qu’elle a cosigné: Osons l’école – Des idées créatives pour ranimer notre système éducatif (Éditions Château d’encre, 2017).

Cela se traduit notamment par le concept de la « dictée zéro faute ». Une fois la dictée faite, les copies ne sont pas ramassées, puis corrigées par l’enseignant­e. Les élèves sont libres de poser des questions liées aux difficulté­s rencontrée­s, et chaque fois une réponse collective est trouvée. Du coup, tout le monde finit avec une dictée sans faute. « Cela stimule la collaborat­ion et annihile la compétitio­n », souligne Mme Senécal.

Et Ugo Cavenaghi, PDG du Collège Sainte-Anne et coauteur du livre, conclut : « En fait, l’école d’aujourd’hui n’est plus à réformer, mais à révolution­ner! »

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