Les Affaires

Le secteur public embauche plus d’ingénieurs

- Profession : ingénieur Anne Gaignaire redactionl­esaffaires@tc.tc

automatise­r leurs procédés et aller vers l’usine connectée », constate M. Mercier.

Dans le domaine du génie de la constructi­on, celui qui, avec le génie minier, a le plus souffert ces dernières années, le recrutemen­t va aussi bon train. « Il y a une forte croissance des demandes pour les génies mécanique, industriel, civil, etc. », observe M. Mercier. Il ne semble pas encore y avoir de pénurie, même si certaines firmes de génie, notamment celles qui ont été épinglées par la commission Charbonnea­u, ont parfois du mal à faire revenir les employés perdus.

Pas encore de pénurie généralisé­e

Le président de l’Associatio­n des firmes de génie-conseil du Québec, André Rainville, ne voit pas de surchauffe à l’horizon. « Nous sommes persuadés que les firmes pourront relever le défi des travaux actuels et prochains, car tous les emplois perdus ces dernières années n’ont pas encore été récupérés », explique-t-il. Des ingénieurs seraient donc encore en quête de travail. Par ailleurs, « si on ajoute la capacité des firmes internatio­nales à faire appel à de la main-d’oeuvre de leurs autres bureaux et la mobilité canadienne et étrangère, qui sera facilitée grâce aux démarches entreprise­s par l’Ordre des ingénieurs du Québec, l’industrie n’aura pas de problème à réaliser les projets qui se dessinent », poursuit-il.

Les firmes ne semblent en effet pas avoir trop de problème à recruter, mais elles s’attendent à ce que la situation se corse. « Ce n’est pas encore difficile de trouver des ingénieurs, d’autant que nous sommes dans une ville universita­ire, mais ça s’en vient, constate Luc Vermette, chef de la direction de Johnston-Vermette, dont le siège social est à Trois-Rivières. En raison du redresseme­nt des marchés et de la vague de départs à la retraite des baby-boomers, l’équilibre de l’offre et de la demande va pencher en faveur des ingénieurs se cherchant un emploi. »

Certains commencent déjà à voir le vent tourner. « Depuis quelques mois, c’est moins facile de recruter, mais on est tout de même sollicités, car on a des projets stimulants », explique Daniel Mercier, président-fondateur du Groupe ABS, en pleine croissance. Chez CIMA +, François Plourde appréhende « les problèmes de main-d’oeuvre si tous les grands chantiers (échangeur Turcot, pont Champlain, REM, etc.) ont lieu en même temps ». Et chez GCM Consultant­s, Normand Thouin est « préoccupé par la démographi­e », si bien que la firme a commencé à créer ses propres modules pour former les plus jeunes.

La pression sur le bassin de main-d’oeuvre est d’autant plus forte que tant le secteur public que les entreprene­urs généraux ont eux aussi commencé à embaucher plus d’ingénieurs. « Ils représente­nt 22% des embauches et accueillen­t 253 étudiants en stage, comparativ­ement à environ 150 les années précédente­s, note Pierre Rivet. Les entreprene­urs généraux ont compris qu’ils avaient besoin d’ingénieurs pour bien travailler, réduire les dépassemen­ts de délais et donc les pénalités. »

Hausse du nombre d’étudiants en génie

La pénurie pourrait être évitée puisque, d’après une étude d’Ingénieurs Canada, le nombre d’étudiants inscrits à des programmes de génie a fortement crû entre 2011 et 2015 au Canada. Les inscriptio­ns au premier cycle ont augmenté de 24% durant cette période pour atteindre plus de 81000 étudiants, et de 54% depuis 1990. Le Québec se situe tout de suite après l’Ontario pour le nombre d’inscrits au premier cycle dans des programmes de génie: la province représente 26% du total des inscrits au Canada. Elle affiche aussi l’une des plus fortes croissance­s (+33%).

Les ingénieurs sont de nouveau recherchés. Si ç’a toujours été le cas dans certains secteurs, c’est un soulagemen­t dans d’autres, où les dernières années ont été difficiles au point que plusieurs se sont lancés en affaires pour pallier les mises à pied généralisé­es.

La reprise est bien là avec ses perspectiv­es de surchauffe et de pénurie, accentuées par une démographi­e vieillissa­nte qui touche toutes les profession­s au Québec. Recrutemen­t à l’étranger, efforts de formation, les firmes cherchent activement des solutions avant que la pénurie les frappe de plein fouet. Les université­s, quant à elles, tentent d’attirer encore plus d’étudiants dans ces filières où le travail, bien que cyclique, ne manque jamais longtemps.

la Comme elles l’avaient annoncé dans la foulée de la commission Charbonnea­u, les institutio­ns publiques ont renfloué leurs équipes d’ingénieurs au cours des dernières années. Si ce n’est pas encore un réflexe naturel pour les diplômés en génie de briguer un poste dans le public, plusieurs en découvrent les avantages.

Après des années de vaches maigres, le recrutemen­t d’ingénieurs dans le domaine public est en plein essor. Au ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrific­ation des transports, les chiffres sont clairs : le nombre d’ingénieurs a augmenté de 65 % entre 2011 et fin septembre 2017, pour passer de 557 à 920. L’objectif : ramener l’expertise au ministère et suivre les contrats pour s’assurer que les fonds publics sont bien dépensés.

C’est une conséquenc­e directe du scandale de la corruption dans le domaine de la constructi­on. Les villes et le gouverneme­nt avaient alors annoncé qu’ils embauchera­ient plus d’ingénieurs dans leurs services afin de mieux superviser les entreprise­s sous-traitantes.

« Les villes embauchent beaucoup. Avant, la demande de leur part était bien moindre. La volonté de renforcer leurs équipes est très présente », constate Martin Mercier, associé de Technogéni­e, une agence de recrutemen­t d’ingénieurs.

Les université­s observent aussi la tendance. « Les municipali­tés veulent de plus en plus faire les chantiers par elles-mêmes et les superviser, donc elles souhaitent avoir des services de génie en interne », dit Pierre Rivet, directeur du développem­ent des affaires à l’École de technologi­e supérieure.

Reconquéri­r les diplômés

Cela dit, les institutio­ns publiques et les étudiants doivent réapprendr­e à s’apprivoise­r. Les premières font leur retour sur les campus après des années d’absence. « Dans les événements de réseautage ou de recrutemen­t, les personnes présentes sont en majorité du secteur privé », dit Julianne Desforges, ancienne étudiante en génie de Polytechni­que, qui a obtenu son diplôme en 2012, année où le public embauchait encore peu d’ingénieurs en interne.

Les institutio­ns publiques doivent donc se faire connaître, parler de leurs besoins et se reconnecte­r aux jeunes, qui n’ont pas l’habitude d’aller travailler dans ce secteur. Les étudiants en génie le connaissen­t mal et ont même parfois des préjugés à son égard. « Longtemps, les stages dans le secteur public étaient moins intéressan­ts : les étudiants faisaient beaucoup de relevés, par exemple, et peu de conception. Comme les salaires étaient aussi moins élevés que dans le secteur privé et que, de toute façon, l’offre d’emploi était réduite, ce n’était pas le réflexe des étudiants de se diriger vers les villes ou le ministère pour trouver un travail en sortant de l’école », explique Pierre Rivet.

Un bon équilibre entre défi et temps pour soi

Cependant, le vent tourne. Une petite firme de génie a récemment perdu un de ses ingénieurs, parti pour travailler à Hydro-Québec. Les étudiants voient aussi le secteur public sous un meilleur jour. Julianne Desforges, 28 ans, n’aurait jamais pensé y faire carrière. « Quand on obtient notre diplôme, tout le monde veut aller travailler au privé. Le public n’est pas un choix naturel. On a encore l’image d’un secteur où les syndicats sont forts, où les procédures administra­tives sont lourdes, où c’est difficile de progresser », relate la jeune femme. Elle a même fait une maîtrise pour se donner plus de chance de travailler au privé, car son domaine – le génie biomédical – l’orientait en fait plutôt vers le public, où elle ne voulait pas aller.

Finalement, elle a fait un stage passionnan­t dans un

centre de santé et de services sociaux et a été embauchée dès sa sortie de l’université par l’Hôpital général juif, comme chargée de projets. Elle a pris goût au public, au point de refuser plusieurs fois les sollicitat­ions de firmes privées. L’équilibre entre l’intérêt du travail et la possibilit­é d’avoir du temps pour sa vie personnell­e plaît à Julianne Desforges. « Les 35 heures par semaine et la stabilité des horaires me permettent de faire autre chose que mon travail : je sais que j’ai du temps pour faire ce qui me plaît. J’envisage de suivre un MBA à temps partiel. Dans une firme privée, avec des horaires de fou, je n’aurais pas pu imaginer le faire. Là, je sais que je suis libre le soir pour suivre mes cours et faire du travail personnel », explique l’ingénieure.

Une rémunérati­on pas forcément moindre

Mme Desforges sait que sa rémunérati­on serait supérieure dans le secteur privé, mais « pas en proportion suffisante pour contrebala­ncer la perte de ces conditions de travail, d’autant que l’ambiance est moins compétitiv­e entre collègues que dans le privé », poursuit-elle. De plus, les projets qu’elle mène au sein de l’hôpital sont stimulants. « Je les gère de A à Z, alors que les firmes privées qui sont embauchées pour faire nos plus gros projets n’en gèrent que des parties », dit-elle.

Seule ombre au tableau pour Julianne : tout est soumis à des procédures strictes, qui peuvent paraître lourdes et longues avant qu’une décision soit prise. « Toutefois, on est une équipe de jeunes motivés dans mon service et on arrive à bien travailler malgré les procédures », se réjouit la jeune femme.

Irène Biley, 37 ans, a pour sa part choisi tout de suite d’aller travailler à Hydro-Québec comme ingénieure en automatism­e. Elle avait déjà des enfants en sortant de l’université, et le fait que l’entreprise favorise la conciliati­on travail-famille tout en offrant à ses ingénieurs de travailler à des projets stimulants l’a convaincue de postuler. Elle ne regrette pas son choix. « D’ailleurs, de plus en plus d’ingénieurs viennent du privé, poussés à bout par la pression, les heures de travail interminab­les et la conciliati­on travail-famille difficile », constate-t-elle. Quant au salaire, « il est moindre les premières années, mais, ensuite, il est aussi intéressan­t que dans le secteur privé », affirme Irène Biley.

Projets stimulants, bonnes conditions de travail ; les atouts du public vont peu à peu se faire connaître. Ses besoins aussi. Il se pourrait que ce soit un nouveau concurrent sur le marché de la main-d’oeuvre pour les firmes privées à l’heure où la reprise de l’activité économique met déjà une forte pression sur le bassin d’emplois.

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