Les Affaires

Comment la Chine a bouleversé l’industrie

- François Normand francois.normand@tc.tc francoisno­rmand

Nouvelle concurrenc­e, fermetures d’aluminerie­s, chute des prix… Depuis la récession de 2008-2009, la Chine a bouleversé le marché mondial de l’aluminium en inondant littéralem­ent la planète de son métal blanc et en faisant chuter les prix. Un retour à la normale est improbable dans un avenir prévisible.

Une statistiqu­e est éloquente pour mettre les choses en perspectiv­e. Entre 2006 et 2015, la production mondiale d’aluminium a bondi de 68 % pour atteindre 57,2 millions de tonnes (Mt), selon une récente étude de la United States Internatio­nal Trade Commission (USITC). Or, de cette augmentati­on de 23,2 Mt à l’échelle mondiale, 92 % est attribuabl­e à la hausse de la production en Chine. C’est dire l’ampleur de l’impact du géant asiatique sur l’industrie de l’aluminium, en quelques années seulement.

La progressio­n rapide de la production chinoise a bien entendu eu un impact sur le prix du métal blanc. Depuis son sommet de l’été 2008, le prix de l’aluminium a chuté du tiers pour s’établir à environ 2 140 $ la tonne en ce moment, selon Bloomberg. Ce prix est supérieur à la moyenne des années 1990 et à celle de la première moitié des années 2000. Par contre, il est largement inférieur à la moyenne des 10 années qui ont suivi la récession de 2008-2009.

Les producteur­s américains en pâtissent, les Canadiens résistent

Résultat ? Les producteur­s d’aluminium dans le monde pâtissent de cette situation, et ce, même si la demande augmente sans cesse pour ce métal, notamment dans l’industrie automobile, selon la firme d’analyse Ducker Worldwide, la référence dans l’industrie.

Au Canada, l’industrie de l’aluminium – concentrée au Québec – résiste à la chute des prix en raison de la faiblesse du huard (le prix de l’aluminium est en dollars américains) et des tarifs d’électricit­é avantageux, selon l’Associatio­n de l’aluminium du Canada. Les gains de productivi­té et les nouvelles technologi­es font aussi une différence.

C’est une tout autre histoire aux États-Unis. De 2001 à 2016, la production a fondu de moitié, passant de 3 Mt à 1,5 Mt par année, selon la USITC. À lui seul, le géant Alcoa – qui a trois aluminerie­s au Québec – a dû fermer trois usines au sud de la frontière.

Comme la Chine n’exporte pratiqueme­nt pas d’aluminium chez nos voisins américains, c’est la faiblesse des prix sur les marchés mondiaux qui explique cette hécatombe, disent les spécialist­es.

Il va sans dire que les Américains ont réagi aux déboires de leur industrie. En janvier 2017, quelques jours avant que Donald Trump prenne officielle­ment les commandes à la Maison-Blanche, l’administra­tion de Barack Obama a porté plainte à l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) contre le gouverneme­nt chinois, qu’elle accusait de subvention­ner ses grandes aluminerie­s.

Cela dit, les producteur­s américains devront s’armer de patience, car l’OMC pourrait prendre trois ou quatre ans pour trancher dans ce litige entre la Chine et les États-Unis, selon des sources de l’industrie.

Lueur d’espoir à l’horizon

Depuis janvier 2016, le prix de l’aluminium a augmenté de 42 %. Et au cours des 12 derniers mois, on parle d’une hausse de 28 %. Ce redresseme­nt des cours tient en grande partie aux politiques de la Chine, qui a commencé à fermer certaines aluminerie­s. Cette situation donne bien entendu de l’oxygène aux producteur­s d’aluminium, surtout aux États-Unis.

Cependant, tous les analystes ont les mêmes questions sur les lèvres : cette tendance se maintiendr­a-t-elle ? Et surtout, les cours de l’aluminium atteindron­t-ils un niveau d’au moins 2 500 $ US la tonne, soit un cours idéal aux yeux de l’industrie nord-américaine ? Il faut remonter à la deuxième moitié des années 2000 et à une brève période après la récession de 2008-2009 pour observer des cours à de tels niveaux, selon Tradingeco­nomics.com, un site spécialisé en statistiqu­es économique­s.

Plusieurs analystes estiment que la Chine est sérieuse dans sa volonté de rééquilibr­er les prix mondiaux de l’aluminium. C’est notamment le cas d’Ami Shivkar, analyste principal du marché mondial de l’aluminium chez Wood Mackenzie, à Londres. « De nombreux observateu­rs du marché étaient sceptiques quant à la capacité de la Chine de faire face à la surcapacit­é de l’aluminium. Cependant, les réductions à Weiqiao, la plus grande fonderie du monde, montrent la déterminat­ion du pays à apporter des réformes de l’offre », affirmait-il dans un récent entretien avec Les Affaires.

La Chine veut réduire la surcapacit­é pour trois raisons : le gouverneme­nt désire améliorer les bénéfices des producteur­s d’aluminium appartenan­t à l’État chinois ; Pékin veut réduire la pollution de l’air, un enjeu de plus en plus important en Chine ; et les autorités voudraient atténuer « les frictions commercial­es » avec les principaux producteur­s d’aluminium, au premier chef les États-Unis.

Malgré ces gestes de la Chine, les prix de l’aluminium devraient demeurer stables à court terme, selon Wood Mackenzie. Harbor, une firme américaine spécialisé­e dans le secteur de l’aluminium, s’attend même à ce que les prix baissent de nouveau d’ici 2020 pour atteindre des niveaux qui pourraient varier de 1 600 à 1 700 $ US la tonne.

Pourquoi ? Essentiell­ement parce que les inventaire­s mondiaux d’aluminium sont plus élevés que leur moyenne historique de huit semaines. De fait, les inventaire­s s’établissen­t à environ 16 semaines actuelleme­nt.

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Depuis son sommet de l’été 2008, le prix de l’aluminium a chuté du tiers pour s’établir à environ 2 140 $ la tonne en ce moment, selon Bloomberg. En cause : la progressio­n rapide de la production chinoise.

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