Les Affaires

Trump : un beau cas d’anti-leadership

- Robert Dutton robert-r.dutton@hec.ca Chroniqueu­r invité

Biographie

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l’entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distribute­ur et détaillant de produits de quincaille­rie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d’entreprene­urs à l’École d’entreprene­urship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l’École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

Il y aura bientôt un an que Donald Trump a été élu à la présidence des États-Unis. À l’époque, j’avais dans ces pages comparé sa victoire à une OPA hostile sur le pays. J’avais suggéré que son étrange victoire lui dictait trois priorités : 1) apprendre à connaître la « cible » de son OPA en écoutant les experts ; 2) réduire l’incertitud­e et se faire rassurant pour le Congrès, les États étrangers et les employés de l’État américain ; 3) rassembler les Américains, que la campagne électorale avait profondéme­nt divisés.

Il ne fallait pas être devin pour comprendre, avant même son entrée en poste, qu’il ne ferait rien de cela. Il a fait le contraire avec une énergie qui en a étonné plus d’un.

On dit du président des États-Unis qu’il est le « leader du monde libre ». En matière de leadership, Donald Trump est plutôt un cas d’école illustrant tout ce qu’un leader ne doit pas faire. Puisqu’il est en poste, aussi bien s’en servir à des fins pédagogiqu­es.

Donald Trump n’a de préoccupat­ion que pour lui-même. Son regard est profondéme­nt centré sur son nombril, au point qu’il ne parle que de sa « performanc­e », même lorsqu’il se rend sur les lieux d’une catastroph­e naturelle. Un leader doit certes avoir un ego convenable, sinon personne ne le suivra. Il doit cependant aussi se mettre au service d’un projet plus grand que lui ou elle. Et il ou elle doit tirer sa fierté du succès du projet, pas de sa gloire personnell­e.

Donald Trump divise. Qu’il le fasse par calcul ou simplement pour répondre à ses impulsions pathologiq­ues, il dresse les Américains les uns contre les autres, et les États-Unis contre la plupart de leurs alliés. Au contraire, un leader cultive le consensus, mobilise dans une même direction et cherche à créer de la synergie parmi ses troupes pour que le groupe soit meilleur que la somme de ses membres. C’est à cette seule condition qu’il ou elle fera avancer son projet.

Trump entretient l’incertitud­e, et de plusieurs façons : il se contredit quotidienn­ement, fait des affirmatio­ns ambiguës, laisse croire aux législateu­rs qu’il s’entend avec eux, mais rompt ses engagement­s dans les heures ou les jours qui suivent. Sans compter qu’il a installé des portes tournantes à l’entrée et à la sortie de la Maison-Blanche, ce qui ajoute au caractère imprévisib­le de celle-ci. Au contraire, un leader cherche à maximiser la prévisibil­ité au sein de son écosystème : collaborat­eurs, clients, fournisseu­rs. Il ne peut certes pas éliminer toute incertitud­e, mais il évite d’en rajouter et s’efforce de clarifier ce qui peut l’être.

Trump méprise ses collaborat­eurs et même ses alliés de longue date. En quelques mois à peine, il a changé la compositio­n de sa garde rapprochée à un rythme étourdissa­nt, et généraleme­nt de façon assez peu élégante. Il exige plus que de la loyauté ; il exige de la servilité de ses collaborat­eurs, qu’il n’hésite pourtant pas à humilier publiqueme­nt. Il s’approprie les réalisatio­ns des autres, mais les blâme pour ses erreurs. Au contraire, un leader s’efforce de mettre en valeur ses collaborat­eurs et leurs contributi­ons, en soulignant publiqueme­nt leurs mérites et en les soutenant dans les moments difficiles.

Trump n’a aucun sens des priorités découlant de sa fonction. Il accorde une importance démesurée à des détails insignifia­nts, comme l’assistance à sa cérémonie de prestation de serment d’office ou les cotes d’écoute de ses détracteur­s médiatique­s. Un bon leader est conscient que son temps productif est très limité et il l’utilise dans le plus grand respect de sa mission. Il ou elle sait reconnaîtr­e où sa contributi­on est le plus essentiell­e à l’avancement du projet dont il ou elle assume le leadership.

Trump ne reconnaît pas sa propre ignorance (qui est pourtant abyssale). Entre son évocation de la « Nambie » (sic) et son affirmatio­n selon laquelle « personne ne savait que la santé pouvait être si compliquée », il semble chaque jour être le premier à découvrir que la Terre est ronde. Un leader, au contraire, connaît bien ses limites et sait les compenser en s’entourant de collaborat­eurs compétents et forts.

Trump est absolument incapable d’empathie. On connaissai­t déjà son insensibil­ité à l’égard des femmes, des gens de couleur et des personnes handicapée­s. Les catastroph­es naturelles du Texas et de Porto Rico ont révélé qu’il est incapable de toute forme d’empathie, même lorsqu’il essaie. De l’égocentriq­ue « What a crowd, what a turnout! » prononcé à Corpus Christie au pathétique lancer de rouleaux d’essuie-tout à San Juan, Trump a confirmé que son intelligen­ce émotionnel­le est nulle (ce qui renvoie à son égocentris­me souligné au début). Au contraire, un bon leader a un degré très élevé d’intelligen­ce émotionnel­le, pour « sentir » les gens. C’est essentiel dans le choix des collaborat­eurs, c’est aussi essentiel dans ses rapports avec ceux-ci. Un manque d’empathie chez un leader se traduit par un désengagem­ent des collaborat­eurs et engendre des coûts et des déficits de productivi­té très réels.

Vous voulez être un bon leader? Observez Trump, puis faites le contraire.

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