Les Affaires

Consulter la communauté en s’inspirant de Socrate

- Simon Lord redactionl­esaffaires@tc.tc

Vous lancez un projet et vous voulez consulter les parties prenantes. Mais comment vous y prendre? Un peu partout dans le monde, des gouverneme­nts et des organismes commencent à tester une nouvelle méthode qui pourrait vous être utile: le tirage au sort.

C’est le cas, par exemple, de la Division de la planificat­ion de la Ville de Toronto. Il s’agit de l’organe responsabl­e de tout ce qui touche la croissance et le développem­ent de la ville : projets de transports, conservati­on d’un quartier patrimonia­l, plans d’aménagemen­t locaux. Il y a quelques années, la Division a constaté que les participan­ts aux consultati­ons publiques liées aux initiative­s de planificat­ion urbaine ne reflétaien­t pas assez bien la diversité de la ville. La participat­ion des Torontois de 55 ans et plus, par exemple, était de trois fois supérieure à celle des 18-34 ans. La Division a donc décidé de changer la situation. Pour y arriver, elle a mis sur pied un processus de loterie civique.

Comment ça fonctionne? Avec l’aide de MASS LBP, une firme spécialisé­e en conception et en organisati­on de processus délibérati­fs, la Division a envoyé de façon aléatoire 12000 invitation­s en septembre 2015 dans le but de trouver des participan­ts potentiels. Plus de 500 personnes se sont portées volontaire­s. La Division a ensuite choisi 28 participan­ts au hasard pour former un comité, en s’assurant que la sélection reflétait le profil démographi­que torontois. Elle devait ainsi garantir la parité des genres, reproduire le profil d’âge de la ville, assurer une représenta­tion des quatre Community Council Districts, inclure au moins un membre des communauté­s autochtone­s et avoir un nombre équilibré de membres des minorités visibles.

En octobre 2015, la première de quatre sessions d’orientatio­n débutait. Le comité devait ensuite se réunir six fois par année durant deux ans. Il devrait donc avoir terminé ses travaux le mois prochain, dit Daniel Fusca, responsabl­e de l’engagement des parties prenantes à la Ville de Toronto. Il sera conférenci­er le 29 novembre à l’événement Acceptabil­ité sociale, organisé par le Groupe Les Affaires. « Nous avons demandé au comité de se prononcer sur plusieurs questions importante­s pour la ville: planificat­ion du centre-ville, bâtiments patrimonia­ux, stratégie d’acquisitio­n de parcs », précise-t-il.

Le comité devait ainsi fournir des points de vue à la Ville pour l’aider à prendre ses déci- sions. Les perspectiv­es et les priorités du comité sont notamment rapportées dans des rapports transmis au conseil municipal.

L’avantage d’un tel comité, formé par tirage au sort, est double. Il permet d’abord à la Ville de s’assurer d’entendre un échantillo­n de voix plus représenta­tif du profil démographi­que de sa population. Ensuite, il permet de récolter l’opinion de gens qui n’auraient pas tendance à participer aux consultati­ons publiques liées aux initiative­s de planificat­ion urbaine. « Les gens qui participen­t normalemen­t aux consultati­ons sont ceux qui ont quelque chose à perdre, dit Daniel Fusca. Ils ne sont pas contents, et ça mène à un environnem­ent combatif. »

Les membres du comité, eux, ont selon lui plutôt l’intention sincère de faire de leur ville un endroit meilleur. « Ils ne sont pas là pour protéger la valeur de leur maison », dit-il. Les discussion­s sont donc plus constructi­ves et positives. Et l’initiative fait des curieux: Daniel Fusca dit avoir été contacté par des gens d’ailleurs en Ontario, mais aussi d’Australie et d’Helsinki, qui voulaient en savoir plus.

Grèce antique 2.0

En Allemagne, des comités semblables – nommés jurys citoyens – sont mis sur pied par tirage au sort depuis plusieurs années pour faire entendre la voix de la population, notamment sur des questions d’aménagemen­t du territoire.

Là-bas, les comités n’ont cependant pas un rôle uniquement consultati­f, souligne Anne Latendress­e, professeur­e à l’UQAM, spécialisé­e en participat­ion à la gestion et à la planificat­ion urbaines, et en démocratie locale et participat­ive. « Ils ont souvent des budgets et peuvent habituelle­ment définir les orientatio­ns et les objectifs d’un projet, s’occuper de rédiger les appels d’offres et même parfois faire le suivi et l’évaluation du projet une fois qu’il est terminé », dit-elle.

L’expérience s’inspire de l’Athènes des philosophe­s, où certains postes gouverneme­ntaux étaient remplis en tirant au sort parmi la population. La formule contempora­ine est un peu plus inclusive, puisque les femmes et les esclaves étaient, dans l’Antiquité, exclus du processus. « À ma connaissan­ce, dans la province, on n’a pas encore exploité le tirage au sort pour obtenir l’avis des citoyens sur les questions de planificat­ion urbaine, dit Mme Latendress­e. Cependant, ça suscite de l’intérêt dans la population. Ça permet d’avoir une plus grande diversité de points de vue. »

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Un comité formé par tirage au sort permet d’entendre un échantillo­n de voix plus représenta­tif du profil démographi­que de sa population.

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